Les journalistes indépendants, dont Taoufik Bouachrine et Ali Amar, sont de plus en plus visés par les autorités.
(ANHRI/IFEX) – Soixante-huit organisations de défense des droits de la personne et groupes de la société civile ont lancé, lundi 28 juin 2010, la déclaration commune ci-dessus appelant le gouvernement maroccain à mettre fin aux poursuites contre les journalistes pour des raisons politiques:
Nous, 68 organisations soussignées de défense des droits de la personne et de la liberté de la presse, exprimons notre profonde inquiétude devant les attaques politiques récentes dirigées contre les journalistes marocains à cause de leurs reportages critiques.
Nous sommes alarmés par le fait que les autorités s’en prennent aux journalistes indépendants, en particulier dans les cas de Taoufik Bouachrine, directeur et rédacteur en chef du quotidien « Akhbar Al-Youm », et de Ali Amar, ancien directeur et rédacteur en chef du « Journal Hebdomadaire », maintenant suspendu.
Le 10 juin 2010, Bouachrine a été condamné à six mois de prison pour fraude immobilière. L’affaire consistait en un litige civil concernant la vente d’une maison achetée il y a trois ans par Bouachrine, maison qui avait déjà fait deux fois l’objet d’une décision du tribunal en faveur du journaliste. Nous nous opposons à la réouverture de ce dossier comme affaire criminelle, après avoir été déjà résolu selon le droit civil.
Nous croyons que les accusations criminelles portées contre Bouachrine ont un mobile politique, qu’elles sont le résultat de sa pratique d’un journalisme critique et de sa lutte pour la liberté de la presse. En 2009, le rédacteur en chef s’est vu décerner une peine de quatre ans de prison avec sursis et une amende de 270 000 euros après avoir publié une caricature jugée offensante pour la famille royale. Son journal a aussi été fermé arbitrairement par les autorités suite à la publication de la caricature en septembre 2009, mais il a été relancé en décembre de la même année sous un autre nom.
Nous attirons aussi l’attention sur une affaire alarmante de brutalité policière dans le cas d’Ali Amar, qui subit le harcèlement des autorités depuis qu’il a publié en avril 2009 un livre critique à l’égard du Roi, « Mohammed VI : Le Grand malentendu ». Le 4 juin, des agents de sécurité ont fait irruption au domicile de la journaliste Zainab El Ghazwi, avec qui Amar habitait, sur la foi d’allégations selon lesquelles il avait volé un ordinateur portable, à la suite d’une plainte déposée par un ancien employé du « Journal Hebdomadaire ». Les agents ont fouillé la maison sans en demander la permission à El Ghazwi, conformément à la loi, ils ont soumis les deux journalistes à un interrogatoire humiliant au sujet de leur vie personnelle et de leurs écrits, puis les ont détenus pendant douze heures. Amar a été arrêté de nouveau le 7 juin et détenu pendant 24 heures; il doit répondre à des accusations de vol qualifié. Il doit comparaître en cour le 29 juin.
Tandis que nous saluons la remise en liberté, le 11 juin 2010, de Driss Chahtan, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant « Al-Michaal », nous sommes d’avis qu’il n’aurait jamais dû être incarcéré en octobre 2009 pour avoir publié des articles sur la santé du Roi.
Nous attirons l’attention sur la tendance croissante au Maroc à punir et à discréditer les journalistes critiques à cause de leurs écrits et de leur militantisme, ce qui instaure un climat de peur et fait taire le journalisme indépendant. Nous prions instamment le gouvernement marocain de ne pas suivre la voie de la Tunisie voisine, qui recourt aux tribunaux pour persécuter injustement les journalistes critiques.
De plus, nous demandons que les journalistes soient traités équitablement aux termes de la loi, conformément aux obligations internationales du Maroc en tant que signataire des conventions internationales relatives à la liberté d’expression, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en plus des dispositions de l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Enfin, les organisations soussignées en appellent à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’occasion du onzième anniversaire de son couronnement le mois prochain, pour qu’il intervienne afin de faire cesser ce que même le Ministre marocain des Communications, Khalid Naciri, a qualifié de « campagne très sévère » menée contre les journalistes, si l’on en croit les reportages parus dans les médias en avril 2010.
Signés,