Depuis la seconde moitié de l'année 2009, la chape de plomb s'est considérablement alourdie, a souligné RSF dans sa lettre.
(RSF/IFEX) – Le 8 décembre 2010 – A l’occasion de la visite en France du président de la République arabe syrienne, Bachar el-Assad, le 9 décembre 2010, et de sa rencontre avec le président français, Reporters sans frontières a adressé le courrier suivant à Nicolas Sarkozy, afin d’attirer son attention sur la dégradation de la liberté d’expression en Syrie.
Monsieur Nicolas Sarkozy
Président de la République
Présidence de la République
55 rue Faubourg Saint Honoré
75008 Paris
Paris, le 7 décembre 2010
Monsieur le Président,
A l’occasion de votre déjeuner avec le président de la République arabe syrienne, Bachar el-Assad, le 9 décembre prochain, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur la dégradation de la situation de la liberté d’expression en Syrie.
Si depuis son arrivée au pouvoir en 2000 le président syrien a multiplié les discours d’ouverture, les réformes politiques et législatives sont restées au point mort. L’état d’urgence est en vigueur depuis 1963, annulant toutes les dispositions de la Constitution syrienne relatives aux libertés publiques. Si le nombre de médias a augmenté, le pluralisme n’est pas au goût du jour. Le parti Baas conserve une mainmise totale sur l’information. Le retour de la Syrie sur la scène internationale n’a pas changé cette situation de fait.
La plus grande opacité règne sur la réalité sociale et politique en Syrie. Il est extrêmement difficile pour des organisations internationales de défense des droits de l’homme de recueillir des témoignages. La population vit dans la peur constante des forces de sécurité, notamment des services de renseignements (moukhabarat) qui ont transformé la Syrie en une immense prison.
Depuis la seconde moitié de l’année 2009, la chape de plomb s’est considérablement alourdie. Le ministère de l’Information, sous l’influence des services de renseignements, a procédé à une vague de convocations et d’arrestations de militants des droits de l’homme, d’avocats et de journalistes. Nombre d’entre eux ont été interrogés sur le contenu de leurs articles considérés comme « portant atteinte à la Nation » ou menaçant « la sécurité de l’Etat ». Mais rares sont ceux qui osent témoigner, même anonymement. Le 13 septembre 2009, le bureau du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression de Mazen Darwish a été placé sous scellés. Ce centre était le seul observatoire de la presse et de l’Internet.
Ali Abdallah, journaliste et écrivain, est détenu. Incarcéré depuis le 17 décembre 2007 pour avoir signé la Déclaration de Damas, il devait être libéré le 16 juin 2010, au terme d’une peine de deux ans et demi de prison. Mais les autorités syriennes ont décidé de le poursuivre pour « publication de fausses informations dans le but de porter atteinte à l’Etat » (article 286 du code pénal) et « volonté de nuire aux relations de la Syrie avec un autre Etat » (article 276 du code pénal). Ces nouvelles accusations font suite à la publication sur Internet, le 23 août 2009, alors même qu’il était en prison, d’un article dans lequel le journaliste critiquait la doctrine du Wilayat al-Faqih en Iran (doctrine qui assure un pouvoir absolu du religieux sur le politique). Le troisième tribunal militaire de Damas a émis de nouveaux chefs d’accusation à son égard, qui ont été confirmés par la Cour de cassation le 1er décembre 2010. Ali Abdallah risque d’être condamné à une nouvelle peine d’incarcération. Cette nouvelle affaire est d’autant plus inquiétante qu’elle montre qu’il est dangereux pour les journalistes de critiquer le régime, mais également ses alliés.
De son côté, la jeune étudiante et blogueuse Tal Al-Mallouhi est incarcérée depuis près d’un an. Arrêtée par les services de renseignements syriens à la fin du mois de décembre 2009, elle a comparu, le 10 novembre 2010, devant la Haute Cour de sécurité de l’Etat, un tribunal d’exception dont les jugements sont sans appel, Elle serait accusée d’espionnage au profit des Etats-Unis et maintenue en isolement à la prison de Douma, près de Damas.
En outre, nous attirons votre attention sur un projet de loi sur la communication sur Internet, élaboré par le Premier ministre Mohammad Naji Otri, et approuvé à la fin du mois d’octobre 2010 en Conseil des ministres. Selon les dispositions de cette loi, tout journaliste incriminé devra comparaître devant la Cour pénale. Tout auxiliaire de justice pourra conduire une enquête sur les journalistes coupables de « crimes » définis par ladite loi, et de décider de l’arrestation de journalistes et de la saisie de leurs ordinateurs, au sein même de leur rédaction. Malgré la censure, plusieurs sites d’actualité avaient vu le jour ces dernières années. Ce projet de loi est destiné à restreindre davantage la circulation de l’information sur Internet.
La Syrie occupe la 173e place (sur 178) dans notre classement mondial de la liberté de la presse et figure sur notre liste des « Ennemis d’Internet », en raison du blocage de centaines de sites et de la traque aux net-citoyens. Bachar el-Assad est considéré comme l’un des quarante prédateurs de la liberté de la presse dans le monde.
Monsieur le Président, votre rôle central dans la reprise du dialogue avec les autorités syriennes, dans le cadre de la promotion de l’Union pour la Méditerranée, fait de vous un interlocuteur privilégié des Syriens pour la défense de leurs droits fondamentaux. À ce titre, Reporters sans frontières vous prie de bien vouloir intercéder auprès de votre homologue syrien pour demander la libération de ces journalistes et net-citoyens, et le retrait des dispositions légales visant à criminaliser la liberté d’expression en ligne. Le développement des relations économiques avec la Syrie ne doit pas se faire aux dépens des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à nos demandes et je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Jean-François Julliard
Secrétaire général