L’article 3 de l'ébauche de la constitution tunisienne stipule que « l’État garantit la liberté de croyance et de pratique religieuse et criminalise toute attaque au sacré », sans définir ni ce qui est « sacré » ni ce qui constitue une « attaque » envers lui, ouvrant la porte à des lois criminalisant l’expression.
(Human Rights Watch/IFEX) – Le 13 septembre 2012 – L’Assemblée nationale constituante devrait modifier les articles de la constitution qui fragilisent les droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans une lettre aux membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC). Certaines dispositions préoccupantes risquent d’affaiblir les droits humains, notamment la liberté d’expression, les droits des femmes, le principe de non-discrimination ainsi que la liberté de pensée et de conscience.
Le texte de la constitution, rédigé par six commissions de l’assemblée et rendu public le 8 août 2012, est actuellement devant une commission de coordination de l’assemblée qui va le préparer pour être proposé au débat et au vote en séance plénière. Les lacunes en termes de protection des droits humains intéressent en grande partie la position de conventions internationales sur les droits humains ratifiées par la Tunisie, la liberté d’expression, la liberté de pensée et de croyance, l’égalité entre hommes et femmes ainsi que la non-discrimination, a conclu Human Rights Watch après avoir analysé le projet de constitution.
« Si elle est adoptée avec ces articles tels quels, la constitution amoindrira la liberté d’expression au nom de la protection de ‘valeurs sacrées’, fournira une base pour grignoter les acquis en termes de droits des femmes dont le pays peut être fier, et à d’autres égards affaiblira l’engagement de la Tunisie à respecter les traités internationaux sur les droits humains qu’il a signés », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
L’Assemblée nationale constituante, élue le 23 octobre 2011, a pour mission principale de rédiger et d’adopter une nouvelle constitution, avant l’organisation d’élections législatives et présidentielle.
Une commission de coordination de l’assemblée, formée du président de l’assemblée et des six présidences des commissions chargées de rédiger la constitution, a reçu la tâche d’harmoniser les sections du texte soumises par ces commissions et d’en faire une version complète à présenter à l’assemblée en séance plénière.
Les règles établies par l’assemblée pour adopter la constitution exigent que l’ébauche de texte soit discutée par l’assemblée entière, avant de procéder à un vote séparé de chaque article de la constitution, avec l’exigence d’une majorité absolue – 109 votes sur 217 membres – pour qu’il soit adopté. Puis l’assemblée doit approuver le texte entier par un vote séparé, à une majorité des deux tiers.
Si l’assemblée échoue à adopter un texte, la commission de coordination doit revoir le texte et le soumettre à nouveau à l’assemblée en séance plénière. Si l’assemblée échoue à nouveau à approuver le texte à une majorité des deux tiers, le texte doit être soumis à un référendum national, où une majorité des votants est exigée pour qu’il soit adopté.
Dans son analyse de l’ébauche de constitution, Human Rights Watch conclut que l’article 17, qui énonce que « le respect des conventions internationales est obligatoire si elles ne vont pas à l’encontre de cette constitution », crée un doute juridique sur l’applicabilité des conventions internationales sur les droits humains précédemment ratifiées par la Tunisie. Avec cette disposition, les juges et les législateurs pourraient être tentés de ne pas prendre ces traités en considération sous prétexte qu’ils contredisent la nouvelle constitution, a déclaré Human Rights Watch.
L’article 3 menace la liberté d’expression en stipulant que « l’État garantit la liberté de croyance et de pratique religieuse et criminalise toute attaque au sacré ». Cette disposition, qui ne définit ni ce qui est « sacré » ni ce qui constitue une « attaque » envers lui, ouvre la porte à des lois criminalisant l’expression, a déclaré Human Rights Watch. En outre, l’ébauche de constitution contient un autre article qui criminalise toute forme de « normalisation » avec « le sionisme et l’État sioniste », ce qui pourrait mener à la répression de formes variées de discours pacifiques et d’échanges avec des citoyens israéliens.
Les autres dispositions inquiétantes sont :
L’article 3, qui déclare que « l’État garantit la liberté de croyance et de pratique religieuse », mais où manque une formulation qui affirmerait les libertés de pensée et de conscience, y compris le droit d’adopter une autre religion que la sienne ou de devenir athée. Les droits humains seraient mieux protégés si la constitution garantissait de façon explicite le droit de changer de religion ou de ne pas en avoir, a déclaré Human Rights Watch.
L’article 28 sur les droits des femmes invoque lanotion de complémentarité des rôles des femmes et des hommes au sein de la famille, omettant le principe d’égalité entre les sexes.
L’article 22, qui énonce que « tous les citoyens sont égaux en droits et en libertés devant la loi, sans discrimination d’aucune sorte », est contredit par un autre article qui énonce que seul un musulman peut devenir président de la République.
« L’ébauche de constitution contient de nombreuses lacunes qui permettraient aux autorités de confisquer à leur guise les droits proclamés dans la constitution », a conclu Eric Goldstein. « L’ANC devrait s’attaquer à ces problèmes avant de voter la constitution.»
Lire une lettre de Human Rights Watch aux membres de l’Assemblée constituante