Olfa Riahi est interdite de sortie du territoire après avoir publié des allégations sur son blog qui disaient que le minister des affaires étrangères avait utilisé de l’argent public pour rester à l’hôtel Sheraton à Tunis.
(RSF/IFEX) – le 17 janvier 2013 – Au lendemain du deuxième anniversaire de la révolution tunisienne, Reporters sans frontières suit avec attention le déroulement de l’enquête judiciaire ouverte par le Procureur de la République, à la demande du Ministère Public, et visant la blogueuse Olfa Riahi, suite à la publication sur son blog d’un travail d’investigation mettant en cause la probité du Ministre des Affaires Etrangères tunisien. L’enquête publiée par la blogueuse et traitant de l’usage illégal de l’argent public par le Ministre des Affaires Etrangères, Rafik Abdessalem, avait fait grand bruit à la fin de l’année 2012 et été rebaptisée par la presse tunisienne le “sheratongate”.
Deux jours après l’ouverture d’une instruction judiciaire par le Ministère Public, le 31 décembre 2012, la plainte déposée par les avocats du ministre des Affaires Etrangères, visant explicitement Olfa Riahi et fondée sur les articles 86 du code des télécommunications, 89 et 90 de la loi 63-2004 sur la protection des données personnelles, 126, 148 et 253 du code pénal et, enfin, 54 du DL 115-2011, avait été versée au dossier.
Olfa Riahi, auditionnée mardi 15 janvier au tribunal de première instance de Tunis, a été interrogée en tant que témoin et non en tant qu’accusée, contrairement à ce qui avait été annoncé. En effet, alors qu’elle ait été accusée, dans un premier temps, sur la base de la plainte déposée par les avocats du Ministre des Affaires étrangères, ses avocats ont fait état de nombreux vices de procédure et convaincu le juge d’instruction qu’il devait interroger leur cliente sur la base de l’article 31 du code de procédure pénale selon lequel « le procureur de la République, en présence d’une plainte insuffisamment motivée ou insuffisamment justifiée, peut requérir du juge d’instruction qu’il soit provisoirement informé contre inconnu, et ce, jusqu’au moment où peuvent intervenir de nouvelles inculpations ou, si il y a lieu de nouvelles réquisitions contre les personnes dénommées ». Bien qu’elle soit désormais considérée comme simple témoin, Olfa Riahi demeure interdite de sortie du territoire. Reporters sans frontières demande la levée immédiate de cette interdiction.
“Toutes les incriminations dont il est fait mention dans la plainte du Ministre sont passibles de peine de prison. Le cumul des peines aurait pu permettre d’atteindre plusieurs années d’incarcération, ce qui est une véritable aberration. Cette enquête a mal démarré en se trompant de cible et prouve malheureusement que la dépénalisation des délits de presse n’est toujours pas à l’ordre du jour en Tunisie. La justice tunisienne doit pourtant garder à l’esprit qu’en démocratie, l’usage de la liberté d’expression ne peut conduire en prison, y compris lorsqu’un abus est prouvé”, a déclaré l’organisation.
Reporters sans frontières condamne fermement le recours au code pénal, au code des télécommunications et à la loi de 2004 sur la protection des données personnelles alors même que le DL 115-2011 (nouveau code de la presse) est entré en vigueur et prévoit dans son article 13 qu’un journaliste « ne peut être poursuivi pour son travail à moins que la violation des dispositions du présent décret-loi ne soit prouvée ». Reporters sans frontières recommande qu’en plus de l’abrogation des dispositions contraires au décret-loi 115-2011, le caractère exclusif du texte soit consacré. Pour que les juges, qui le méconnaissent largement, appliquent le nouveau décret-loi et s’en imprègnent, l’organisation encourage vivement le ministère de la Justice à publier une circulaire.
« Nous ne pensons pas que les journalistes et les net-citoyens soient au dessus des lois mais nous sommes convaincus qu’il y a des lois adaptées à leur mission d’information. La logique répressive et la confusion existant entre délits de presse et délits de droit commun, heritées du temps de la dictature, sont toujours à l’esprit de ceux qui rendent la justice », a déclaré Christophe Deloire, secretaire général de l’organisation.
Une vision restrictive du DL 115-2011 conduirait à écarter Olfa Riahi du champs protecteur du DL 115-2011. Cette vision serait biaisée. D’une part, du fait de l’application partielle du DL 115-2011, l’attribution des cartes de presse n’est toujours pas encadrée conformément à ce que prévoit la nouvelle loi. D’autre part, il n’a pu échapper au procureur que la mission d’information d’Olfa Riahi, en tant que net-citoyenne, est avérée. Dans son analyse du décret-loi 115-2011, l’organisation avait d’ailleurs souligné le caractère restrictif du décret-loi 115 sur ce point arguant que”si la carte de presse est une condition administrative pour revendiquer le titre de journaliste, elle ne doit pas priver de protection une personne qui aurait exercé une mission d’information”.
Le DL 115-2011 doit couvrir le champ de la liberté d’expression et constituer un standard minimal de protection pour les journalistes et les net-citoyens tunisiens.