Le 19 mai, les autorités ont arrêté Amina Sboui, alors qu’elle venait d’écrire le nom d’un groupe féministe international, "Femen", sur le mur d’enceinte d’un cimetière proche de la Grande Mosquée de la ville de Kairouan.
Le grand nombre de chefs d’inculpation contestables contre une activiste féministe détenue depuis le 19 mai 2013 suggère qu’ils pourraient être basés sur des motifs politiques. Les tribunaux devraient réexaminer ces inculpations en détail et accorder à la militante, Amina Sboui, la liberté provisoire à laquelle la loi lui donne droit.
Le 19 mai, les autorités ont arrêté Amina Sboui, également connue sous le nom d’Amina Tyler, alors qu’elle venait d’écrire le nom d’un groupe féministe international, « Femen », sur le mur d’enceinte d’un cimetière proche de la Grande Mosquée de la ville de Kairouan. Au départ elle a été accusée et reconnue coupable de possession illégale d’un aérosol d’auto-défense, mais elle doit maintenant répondre de plusieurs accusations supplémentaires, dont la dernière a été introduite le 10 juillet. Si elle était reconnue coupable de tous les chefs d’inculpation, elle risquerait jusqu’à neuf ans de prison. Une cour d’appel a refusé de la libérer en attendant son procès.
« Le ministère public a l’air accumuler contre Amina Sboui une masse d’accusations qui ne semblent pas avoir grand-chose à voir avec ce qu’elle a pu faire », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Si elle était condamnée, Amina Sboui pourrait rester en détention préventive jusqu’à 14 mois, puis rester longtemps en prison, tout cela pour un acte non-violent – quoique provocateur ».
Sboui, qui avait attiré l’attention des médias en mars, lorsqu’elle avait publié une photo d’elle-même torse nu sur Facebook, avait averti plusieurs médias, le 18 mai, qu’elle partait à Kairouan pour protester contre une manifestation de membres d’Ansar Chariaa, un groupe de l’aile dure salafiste.
A l’origine, le procureur avait inculpé Sboui pour possession non autorisée d’un aérosol de gaz poivré qu’elle avait sur elle pour son autodéfense, d’après une loi datant de 1894. Le 30 mai, le Tribunal de première instance de Kairouan la condamnait, lui infligeant une amende de 300 dinars (185 US$).
Pourtant, des politiciens ont avancé qu’ils auraient voulu la voir traduite en justice pour d’autres infractions. Par exemple Samir Dilou, le ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, a déclaré lors d’une interview télévisée, le 21 mai : « En écrivant sur le mur d’un cimetière, Amina a commis une grave infraction à la loi ». Lors d’une conférence de presse, le porte-parole du ministère de l’Intérieur a déclaré que sa provocation était une insulte envers les musulmans.
Le jour du verdict, le procureur a introduit de nouveaux chefs d’accusation contre Sboui : « profanation d’un cimetière », « appartenance à une organisation criminelle » et « outrage public à la pudeur ». Le tribunal l’a maintenue en détention préventive. Ces nouvelles accusations ont été introduites le lendemain du jour où trois activistes européennes de Femen ont protesté torse nu en face du Palais de justice de Tunis en signe de solidarité avec Sboui. Les activistes de Femen, un groupe fondé en 2008, ont déjà organisé de nombreuses manifestations torse nu.
Le 10 juillet, le procureur du Tribunal de première instance de Sousse a informé les avocats de Sboui qu’il la poursuivait également pour « insulte envers un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ». Les avocats ont déclaré qu’ils ne savaient pas encore sur quoi se basait cette accusation.
Le gouverneur de Kairouan, peu après l’arrestation de Sboui et avant que le procureur ait introduit d’accusations contre elle, a déclaré à la radio Shems FM que la police avait arrêté la jeune femme parce qu’elle était torse nu en face de la mosquée Okba Ibn Nafaa. Pourtant, deux journalistes qui accompagnaient Sboui lors de son voyage à Kairouanont déclaré dans des interviews qu’elle n’avait pas tenté de se déshabiller en public, d’ailleurs les vidéos qu’ils ont rendues publiques ne montrent rien de tel.
Sous le régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, les autorités utilisaient souvent ce crime d' »appartenance à une organisation criminelle » pour s’en prendre aux opposants politiques.
Le 5 juin, Sboui était entendue pour la première fois par le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Kairouan dans le cadre des nouvelles accusations. Le juge a décidé qu’elle devait demeurer en détention préventive, qui peut durer jusqu’à 14 mois selon le Code de procédure pénale. Le 5 juillet, la Cour d’appel de Sousse a écarté la requête de ses avocats de la placer en liberté provisoire, en se basant sur la soi-disant « gravité du crime imputé ».
Les actes d’Amina Sboui, qu’ils constituent ou pas une infraction en vertu du Code pénal tunisien, ne sont pas de ceux qui devraient appeler une détention préventive, a déclaré Human Rights Watch. À la connaissance de Human Rights Watch, aucune preuve n’a été présentée au tribunal qui puisse suggérer que, si Sboui était libérée en attendant son procès, elle ne se présenterait pas devant le tribunal, ou qu’elle chercherait à interférer avec des preuves à charge. Le Code de procédure pénale n’autorise la détention préventive que comme une « mesure exceptionnelle », dans le but d’« éviter de nouvelles infractions, comme une garantie de l’exécution de la peine ou comme un moyen d’assurer la sûreté de l’information ».
Les autorités tunisiennes ont également l’obligation de garantir à Sboui un procès équitable. Même si elles peuvent tout à fait la poursuivre pour une infraction administrative ou pénale bien définie par la loi tunisienne, elles ne devraient pas utiliser des articles de loi vagues et de portée trop large pour pénaliser l’activisme politique, aussi provocateur soit-il, a déclaré Human Rights Watch. Un tel usage du droit pénal viole les principes de légalité et de prévisibilité – c’est-à-dire l’obligation de définir précisément toute infraction pénale de façon à ce qu’une personne soit en mesure de déterminer à quel moment son comportement enfreint la loi. Àcet égard, l’accusation d' »appartenance à une organisation criminelle » pose tout particulièrement problème.
Halim Meddeb, un des avocats de Sboui, a déclaré à Human Rights Watch que le dossier de l’affaire ne contenait presque aucune preuve que sa cliente ait agi de façon répréhensible. Alors que le dossier contient trois déclarations de témoins selon lesquels Sboui a tenté de se déshabiller en face de la mosquée Okba Ibn Nafaa, a-t-il déclaré, les témoins se sont entièrement rétractés quand ils ont été entendus devant le juge d’instruction.
« Le tribunal devrait réexaminer avec soin les graves accusations contre Amina Sboui, qui semblent davantage motivées par un désir de punir son activisme provocateur que par l’existence de réelles preuves d’actions répréhensibles », a conclu Eric Goldstein.