La fermeture de Twitter est survenue six semaines après que le Parlement turc eut adopté une série d’amendements à la législation en vigueur sur Internet, amendements connus sous l’appellation de Loi 5651, qui impose des restrictions alarmantes aux libertés numériques et à la liberté d’expression.
Le pinson universel aux chansons en 140 caractères est muselé en Turquie. Peu après minuit le 21 mars, Twitter a été fermé sur ordre du Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, qui décrit Twitter comme une « menace pour la sécurité nationale ».
La décision a été annoncée le 20 mars pendant la campagne électorale dans la ville de Bursa, rapporte le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). D’après le quotidien Hürriyet, le premier ministre a fait état d’une ordonnance non précisée du tribunal et a proclamé « Nous allons éradiquer Twitter. Je me fous de ce que peut dire la communauté internationale. Tout le monde sera témoin du pouvoir de la République turque. »
La fermeture survient six semaines après que le Parlement turc a adopté une série de modifications à la législation en vigueur sur l’Internet, amendements connus sous l’appellation de Loi 5651, qui impose des restrictions alarmantes aux libertés numériques et à la liberté d’expression.
Les amendements adoptés le 5 février permettraient aux autorités de bloquer tout contenu sur Internet susceptible de « violer la vie privée » ou d’être « discriminatoire ou insultante », rapporte Reporters sans frontières (RSF). Le blocage pourrait bientôt aussi s’étendre à Facebook et à YouTube, selon Erdoğan, qui le 7 mars a menacé publiquement de fermer ces sites web populaires.
Les groupes de défense de la liberté de la presse, comme la Fédération internationale des journalistes (FIJ), font remarquer que la fermeture de Twitter survient après plusieurs semaines pendant lesquelles les utilisateurs ont affiché des documents et fait entendre des enregistrements sonores « …qui présenteraient des preuves de corruption parmi les proches et dans la famille d’Erdoğan ».
D’après le Conseil des Technologies de l’information et des Communications de Turquie (BTK), cependant, la « suspension préventive » de l’accès à Twitter est en fait une réponse à des plaintes selon lesquelles certains contenus « violaient la vie privée » et « s’en prenaient aux personnes », indique RSF.
Quelle que soit la motivation derrière la fermeture de ce populaire site de réseautage social, les défenseurs de la libre expression de partout dans le monde ont dénoncé cette dernière manœuvre d’Erdoğan.
Un auteur turc et membre du PEN, Elif Shafak, a dit récemment que « l’interdiction de Twitter est une autre tentative pour étouffer la liberté de parole dans un pays où les livres peuvent être censurés, les traducteurs poursuivis, les journalistes visés, et où penser peut être un crime. Les gens en Turquie, notamment les jeunes, les femmes, les minorités, méritent tous une démocratie adulte. Il est inacceptable, et en fin de compte impraticable, d’imposer une telle interdiction à l’ère numérique. »
Dans le même esprit, Barbara Trionfi, chef du Bureau de la Liberté de la presse à l’Institut international de la presse (IIP) fait remarquer que « les efforts pour fermer Twitter afin de contrôler les nouvelles sont non seulement futiles en dernière analyse – ils ont le fâcheux effet d’éloigner la Turquie de l’étreinte des droits de la personne et de la règle de droit, et de la rapprocher de l’autocratie. On dit que la censure est l’antichambre de la dictature. Qu’est-ce que la démocratie, sinon la possibilité pour les électeurs de faire des choix éclairés ? »
Les hauts cris contre la suspension de Twitter ne se limitent pas à des déclarations formelles, cependant.
Twitter in Ankara. People are tweeting in the street. #ErdoganBlockedTwitter #DictatorErdogan pic.twitter.com/AOz6wpB0yN” via Andre Sprang
— Melanie Majeski (@mellmaj) March 23, 2014
Le 24 mars, la Fondation de Communication IPS (Bianet) rapportait que l’Association des journalistes turcs entamait des procédures judiciaires contre le BTK — le Conseil des Technologies de l’information et des Communications de Turquie. La poursuite vise à faire lever l’interdiction qui frappe Twitter au motif que cet « interdit va à l’encontre des libertés de presse et d’expression ».
Les artistes également ont exprimé leur profond mécontentement devant les dernières restrictions imposées à l’expression numérique en Turquie. Se répandent sur Internet des dessins montrant Erdoğan en train de se faire déféquer dessus ou être poursuivi par des oiseaux ressemblant au symbole de Twitter, souvent accompagnés de mots-clés précédés d’un dièse comme #TwitterisbannedinTurkey #OccupyTwitter et #DictatorErdogan. Voir sur Bianet une compilation de ces diverses illustrations.
De nombreux utilisateurs de Twitter ont pu contourner l’interdit en Turquie au moyen de réseaux privés virtuels (RPV) ou du Routeur Onion (TOR). En fait, le Wall Street Journal rapporte que le nombre des tweets envoyés en Turquie était en hausse de 138 % le 21 mars, selon les données publiées par Brandwatch, une firme qui analyse des données sur les médias sociaux.
#TwitterisBannedinTurkey but in the early hours of #censorship, there were millions of protest tweets… « show is over » :)
— gztrn ✌ (@Obefintlig) March 21, 2014
Parmi ceux qui utilisent la plateforme Twitter elle-même pour dénoncer l’interdit se trouve le President de la Turquie Abdullah Gül, qui qualifie l’interdiction de Twitter d’inacceptable, indique Reuters. Le CPJ rapporte que Gül a déclaré dans un tweet :que « rien ne peut justifier la fermeture des plateformes de médias sociaux ».
À l’intention des personnes de Turquie qui n’ont pu trouver un moyen de contourner l’interdiction de Twitter, RSF a dressé une liste de conseils sur la façon d’accéder à la plateforme de ce média social. Voir la liste ici.
Heureusement, les utilisateurs de Twitter peuvent n’avoir pas besoin de mesures de contournement encore bien longtemps. Le New York Times rapporte qu’un tribunal d’Ankara a statué le 26 mars, que le gouvernement ne pouvait interdire Twitter, et a ordonné à l’autorité du pays responsable des télécommunications de rétablir l’accès à la plateforme.
Pendant que les juristes affirment que l’autorité responsable des télécommunications a le droit d’interjeter appel de la décision du tribunal, celle-ci doit entre-temps s’y conformer en levant l’interdit, fait remarquer le New York Times. Le ministère de la Justice a déclaré que l’autorité responsable des télécommunications dispose de 30 jours pour se conformer à la décision.
Des membres de l’Union de la jeunesse de Turquie brandissent des dessins montrant le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan lors d’une manifestation à Ankara contre l’interdiction de Twitter, le 21 mars 2014AP Photo/Burhan Ozbilici