La décision des autorités tunisiennes de suspendre les activités du groupe de défense des droits LGBT Shams représente un recul des libertés individuelles et de l'égalité des droits en Tunisie. Shams milite en faveur des droits des minorités sexuelles.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 16 janvier 2016.
La décision des autorités tunisiennes de suspendre les activités du groupe de défense des droits LGBT Shams représente un recul des libertés individuelles et de l’égalité des droits en Tunisie. Shams milite en faveur des droits des minorités sexuelles.
Shams s’est immatriculé auprès du secrétaire général du gouvernement en mai 2015 en qualité d’organisation œuvrant pour la défense des droits des minorités sexuelles et de genre. Le 4 janvier 2016, le tribunal de première instance de Tunis a notifié le groupe de la suspension de ses activités pendant 30 jours par ledit tribunal. Cette suspension faisait suite à une plainte du secrétaire général du gouvernement qui a envoyé au groupe un avertissement de cessation des violations présumées de la loi d’association en décembre. À l’expiration des 30 jours, le tribunal de première instance de Tunis pourrait ordonner la dissolution de l’association.
« Shams cherche à remplir ses fonctions essentielles de protection des droits humains, comme le fait de prendre fait et cause pour les minorités sexuelles, victime de violence », a déclaré Amna Guellali, directrice pour la Tunisie de Human Rights Watch. « Cette suspension les prive de la possibilité de réaliser cet important travail. »
La plainte gouvernementale, déposée auprès du tribunal de première instance de Tunis le 15 décembre 2015 par Kamel Hedhili, chargé du contentieux de l’État, alléguait que l’association s’était écartée de son but affiché. La plainte, examinée par Human Rights Watch, cite une déclaration aux médias par les membres de l’association selon laquelle le but de Shams est de « défendre les homosexuels ». La plainte allègue que la formulation enfreint l’article 16 du décret-loi 88/2011 relatif aux associations qui oblige ces dernières à notifier les autorités de tout changement apporté à leurs statuts. Le chargé du contentieux de l’Etat fait également valoir que Shams n’avait pas achevé son immatriculation et que l’association était de ce fait dépourvue d’un statut juridique pour poursuivre son action.
Aucun de ces points ne paraît justifier la suspension et l’arrêt potentiel de l’organisation en vertu du droit international sur la liberté d’association selon lequel de tels actes draconiens devraient être limités aux seuls cas les plus extrêmes. En outre, Shams a présenté au tribunal des éléments de preuve suggérant qu’aucune des plaintes n’est factuelle. La loi sur les associations, adoptée par le gouvernement de transition en septembre 2011, exige des associations qu’elles « respectent les principes de l’état de droit, de démocratie, de pluralité, de transparence, d’égalité et de droits humains » énoncés dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Elle interdit aussi l’incitation à la violence, à la haine, à l’intolérance et à la discrimination fondée sur la religion, le genre ou la région.
Le statut de Shams, étudié par Human Rights Watch, se fonde sur ces principes, énonçant que le but de l’association est d’« apporter son soutien matériellement, moralement et psychologiquement et d’œuvrer pacifiquement pour la réforme des lois discriminatoires à l’égard des minorités sexuelles ». Le gouvernement ne soutient pas que Shams use de violence ou prône l’intolérance ou la haine, ce qui constituerait un motif légitime de dissolution.
En outre, Shams apporte des éléments de preuve quant à l’achèvement des étapes nécessaires à son immatriculation. Un reçu du Journal officiel de la République tunisienne, examiné par Human Rights Watch, montre que l’association s’est acquittée de ses frais d’annonce au journal le 19 mai 2015. L’article 11 de la loi sur les associations exige du journal qu’il publie automatiquement le statut du groupe « dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de dépôt ». Or, le Journal officiel n’a pas publié le statut de l’association selon des déclarations faites à Human Rights Watch par Ahmed Ben Amors, secrétaire général de l’association.
La loi sur les associations établit que l’ordre judiciaire a le pouvoir de déterminer si une association devrait être suspendue ou dissoute. Cela implique un processus en trois étapes, avec un avertissement initial, suivi d’une demande gouvernementale au tribunal de première instance à Tunis pour une suspension de 30 jours. Si l’association ne remédie pas aux présomptions d’infraction pendant cette période, le tribunal peut ordonner sa dissolution.
Shams a suscité des critiques de la part de certains responsables gouvernementaux pour son franc soutien en faveur de l’abrogation de l’article 230 du Code pénal qui prévoit une peine de prison de trois pour la sodomie. Shams a publiquement condamné les récentes arrestations et poursuites d’hommes accusés d’homosexualité, notamment la condamnation d’un jeune de 22 ans appelé Marwen dans la ville de Sousse en septembre et la condamnation de six étudiants pour cause de sodomie en décembre. Shams a également dénoncé le recours aux examens anaux médicolégaux visant à détecter les pratiques homosexuelles. Cette pratique n’a aucune justification médicale ou scientifique et peut s’apparenter à de la torture.
En novembre, Ahmed Zarrouk, secrétaire général du gouvernement, a demandé à ce que Shams soit dissous au motif que l’association prône activement les droits des homosexuels.
Shams a contesté sa suspension au tribunal administratif, une instance chargée de régler les litiges entre les citoyens et l’administration ; il attend la décision.
L’article 35 de la Constitution tunisienne de 2014 garantit « la liberté d’établir des partis politiques, des syndicats et des associations ». Conformément à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), dont la Tunisie est signataire, toute restriction du droit à la liberté d’association doit être « nécessaire dans une société démocratique » et « dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, de la protection de la santé ou de la moralité du public ou encore de la protection des droits et libertés d’autrui ». L’article 2 du Pacte fait obligation à tous les pays d’adhérer à l’ensemble des droits énoncés dans le Pacte, notamment la liberté d’association, sans discrimination d’aucune sorte.
Dans son rapport thématique de 2012 adressé au Conseil des droits de l’homme, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion et d’association pacifiques a déclaré que : « La suspension et dissolution involontaires d’une association constituent les types de restriction les plus sévères de la liberté d’association. Par conséquent, elles ne devraient être possibles qu’en cas de danger clair et imminent produisant une violation flagrante de la législation nationale conformément à la législation internationale des droits humains. Elles devraient être strictement proportionnelles au but légitime poursuivi et utilisées seulement lorsque des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes. »
« Le harcèlement gouvernemental à l’encontre de Shams constitue clairement une violation des normes internationales en matière de droits humains », a déclaré Amna Guellali. « Suspendre et fermer une organisation pour ces motifs présenterait un risque potentiel pour toutes les organisations de défense des droits. »