Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Turquie: les journalistes de « Cumhuyire en procès, les défenseurs des droits humains détenus
Le mois de juillet a coïncidé avec le premier anniversaire de l’état d’urgence en Turquie (décrété immédiatement après le coup d’Etat manqué de l’année dernière), qui a vu plus de 50.000 personnes arrêtées et une répression massive contre des voix discordantes. À l’heure actuelle, plus de 160 journalistes sont en prison; parmi ceux-ci, on retrouve certains des 17 employés de Cumhuyiret (principalement des journalistes) dont le procès a commencé le 24 juillet et qui sont accusés – absurdement – de soutenir le terrorisme par leur travail dans le journal. S’ils sont reconnus coupables, ils risquent jusqu’à 43 ans de prison.
A l’ouverture du procès, 11 des accusés étaient en détention et six étaient libres. Le 28 juillet, à la fin de la première phase de la procédure, le tribunal a décidé que sept des onze pouvaient être libérés (en attendant le procès), mais que quatre resteraient en prison – Murat Sabuncu, Kadri Gursel, Ahmet Sik et Akin Atalay. La prochaine audience aura lieu en septembre.
Le procès était observé et / ou contesté par les membres de l’IFEX, dont ARTICLE 19, Cartoonists Rights Network International, Human Rights Watch, Index on Censorship, International Press Institute (IPI), International Publishers Association (IPA), Norwegian PEN, PEN International, PEN Canada, Reporters sans frontières, P24 Platform for Independent Journalism et l‘Association mondiale des journaux et des éditeurs de nouvelles. Les membres de l’IFEX et d’autres observateurs, dont le Centre européen pour la presse et la liberté des médias, la Fédération européenne des journalistes, les centres PEN en Belgique, PEN Pays-Bas et les centres PEN en Suisse, ont publié un communiqué conjoint qui détaille leurs vives inquiétudes au sujet de la carence de preuves contre les accusés et ont décrit le procès comme « un autre effort politiquement motivé pour criminaliser le journalisme ».
Tout au long de la procédure, des condamnations de la poursuite et des messages de soutien aux accusés venant des politiciens, des journalistes et des groupes de défense des droits n’ont pas arrêté de tomber. David Kaye, Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression, a tweeté ce qui suit le dernier jour de la première phase du procès:
as court in #Turkey ends week of #Cumhuriyet17, i urge the judges to consider my rpt https://t.co/1HD8Dc7buZ & others in intl community. pic.twitter.com/9jj1FtTfKb
— David Kaye (@davidakaye) July 28, 2017
Le procureur demande aussi qu’une plainte au pénal soit actée contre #AhmetŞık pour ses déclarations #Cumhuriyet #JournalismIsNotACrime
À la fin de cette première phase du procès, Harlem Désir – le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias – a simplement tweeté:
Release of 7 #Cumhuriyet journalists, important step. Must be followed by urgent release of others & dropping of charges
— Harlem Désir (@harlemdesir) July 28, 2017
Libération des 7 journalistes #Cumhuriyet, étape importante. Doit être suivi par la libération urgente des autres & l’abandon des charges
Un autre abus outrageant des droits a eu lieu au début du mois quand les autorités turques ont arrêté dix défenseurs des droits humains (DDH) qui participaient à un atelier sur la sécurité numérique. Les détenus, qui comprenaient le directeur d’Amnesty International pour la Turquie, auraient été soupçonnés d’être impliqués dans des activités liées au terrorisme. L’IFEX a condamné ces arrestations et a présenté un résumé des événements et des premières réactions de la communauté internationale des défenseurs des droits. Bianet a publié un communiqué signé par plus de 40 groupes de défense des droits des cinq continents appelant à la libération immédiate des DDH. Electronic Frontier Foundation a mis en exergue le sort dangereux de deux détenus, Ali Gharavi et Peter Steudtner – des formateurs en sécurité numériques de Suède et d’Allemagne – et a qualifié leur détention prolongée de signe du « déclin des institutions démocratiques en Turquie ».
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits humains avait condamné ces arrestations et exigé la libération immédiate des DDH. Cet appel avait été repris, entre autres, par la Chancelière allemande Angela Merkel, la Ministre suédoise des Affaires étrangères Margot Wallstrom, le Département d’Etat américain et la Commission européenne.
L’indignation face à ces arrestations a provoqué des manifestations devant diverses ambassades turques en Europe:
Happening now outside the Turkish Embassy in London #HumanRightsIsNotACrime #JournalismIsNotACrime #FreeTurkeyMedia #Turkey pic.twitter.com/Am6h3Ofypl
— Rebecca Vincent (@rebecca_vincent) July 12, 2017
Maintenant devant l’ambassade turque à Londres #HumanRightsIsNotACrime #JournalismIsNotACrime #FreeTurkeyMedia #Turkey
Selon le site Web Global Voices, huit des DDH sont toujours détenus. Deux – Nejat Tastan et Seyhmuz Ozbekli – ont été libérés sur parole vers la fin du mois.
Pologne, Hongrie et Ukraine: attaques contre le pouvoir judiciaire, la société civile et les journalistes
Des inquiétudes au sujet de la Pologne qui compromet l’Etat de droit étaient à la une ce mois-ci, lorsqu’un projet de législation – dont les membres de l’IFEX (y compris Human Rights Watch et Freedom House) ont dit qu’il voulaient donner au gouvernement le contrôle effectif de la magistrature – a été adopté par les législateurs polonais. Cela a provoqué des manifestations de masse à travers la Pologne, ce qui semblait produire un résultat positif, puisque le président Andrzej Duda a alors usé de son droit de veto pour bloquer deux des projets les plus controversées. Cependant, il a promulgué un troisième qui permet au ministre de la Justice (qui est également le procureur général) de nommer les chefs de tous les tribunaux inférieurs.
Le 29 juillet, en réaction à ces réformes judiciaires, la Commission européenne a engagé des procédures pour violation de l’accord contre la Pologne. C’est le début d’un processus qui pourrait aboutir à la Cour européenne de justice si la Pologne ne se conforme pas à la législation de l’UE.
Les journalistes polonais ont commencé à craindre qu’ils puissent également devenir des cibles de l’humeur populiste des conservateurs agitée par le gouvernement, a rapporté International Press Institute. Et il y avait des signes inquiétants à la fin du mois que cela pourrait se produire: la journaliste Dorota Bawolek – qui avait interrogé la Commission européenne sur les éventuelles sanctions de l’UE contre la Pologne – a été dépeint sur la télévision publique polonaise comme « nuisible à la Pologne » et a été par la suite soumise à un avalanche d’abus et de menaces de mort en ligne.
Le Premier ministre populiste et provocateur de la Hongrie, Viktor Orbán – qui a également été sous les critiques virulentes de l’UE pour sa récente répression législative contre les ONG financées par l’étranger – s’est engagé à soutenir la Pologne contre l’ « inquisition » de l’UE. L’une des ONG frappées par la répression de la Hongrie, le Syndicat hongrois des libertés civiles (HCLU), a écrit à la Commission européenne demandant que des mesures soient prises contre la Hongrie pour sa campagne contre la société civile. En quelques jours, la Commission a annoncé qu’elle lançait des procédures pour violation de l’accord contre la Hongrie.
La plupart des attaques du gouvernement d’Orbán contre des ONG financées à l’étranger se sont focalisées sur la personne de George Soros, le philanthrope hongrois dont la Fondation Open Society finance des projets de démocratie et des droits humains dans le monde entier. Le ton de la campagne anti-Soros est particulièrement dégoutant, comme l’ont noté PEN International et Freedom House. De manière inquiétante, Orbán a récemment menacé traquer les journalistes qui, selon lui, ont été soutenus par la « mafia Soros ».
Suivant le mauvais exemple de la Hongrie (et de la Russie), l’Ukraine légifère également pour restreindre les activités des ONG financées à l’étranger. ARTICLE 19 fournit une bonne analyse du projet de loi et appelle à son abrogation.
Juillet c’était le premier anniversaire du meurtre de Pavel Sheremet, un journaliste d’origine biélorusse qui a été tué par une voiture piégée au centre de Kiev, en Ukraine, le 20 juillet 2016 (personne n’a encore été arrêté ou poursuivi). Pour cet anniversaire, une déclaration publique a été adressée au président Poroshenko, l’appelant à donner la priorité à une enquête approfondie sur ce meurtre. Elle était signée par divers membres de l’IFEX: ARTICLE 19, le Comité pour la protection des journalistes, Index on Censorship, la Fédération internationale des journalistes, International Press Institute et Reporters sans frontières.
Quelques bonnes nouvelles
L’OSCE a finalement nommé son nouveau Représentant pour la liberté des médias – le politicien français Harlem Désir. Le poste était vacant depuis que le titulaire précédent, Dunja Mijatovic, a démissionné en mars. L’annonce a été chaleureusement accueillie par les membres de l’IFEX, y compris Reporters sans frontières et Index on Censorship, qui ne tardèrent pas à rappeler à Désir qu’il aurait fort à faire face à toutes les menaces actuelles contre les médias en Europe.
Comme signalé en mai, l’UE a maintenant accepté des mesures concrètes pour protéger les lanceurs d’alerte. La Fédération européenne des journalistes a signalé, fin de juin, que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait pris une résolution demandant aux Etats membres de « reconnaître le droit de lancer une alerte ».
Russie, Allemagne et Autriche: menaces à la libre expression en ligne
En juillet, la Russie a soufflé une autre vague violente sur la liberté de l’Internet. Comme l’a rapporté Isaac Webb sur le site Web Global Voices, le Parlement russe a adopté une loi qui restreindra drastiquement l’anonymat des utilisateurs, introduira d’autres mesures pour s’assurer que les sites Web interdits ne sont pas accessibles et forcera les fournisseurs de services à « permettre aux autorités d’utiliser leurs réseaux pour envoyer des messages de masse à toute leur base d’utilisateurs russes ».
Reporters sans frontières a décrit cette législation de la Russie comme le « dernier clou dans le cercueil de la liberté de l’Internet russe » et a souligné les similitudes avec la récente loi de l’Allemagne (soi-disant) la « loi Facebook » qui a été adoptée par le Parlement allemand à Fin juin et qui oblige les plateformes des médias sociaux à supprimer le discours illégal de haine posté par les utilisateurs. Cette loi a été sévèrement dénoncée par les défenseurs de la liberté d’expression, dont ARTICLE 19, pour avoir encouragé les entreprises à tomber dans la censure en cas de doute plutôt que de risquer des poursuites judiciaires.
Il y a eu de bonnes nouvelles de l’Autriche, où les sociaux-démocrates du gouvernement de coalition ont rejeté un projet de loi proposé par leurs partenaires conservateurs juniors qui aurait (en tant que mesure antiterroriste) donné à la police des pouvoirs pour surveiller les services de messagerie par l’utilisation du logiciel dit cheval de Troie. En mai, Privacy International a écrit au gouvernement autrichien, en émettant de nombreuses objections – à la fois sur le plan des droits et des aspects pratiques – à de telles mesures, et a appelé les législateurs à « s’abstenir de consacrer officiellement le piratage d’État ».