Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Turquie
En Turquie, les procès apparemment sans fin, les harcèlements et les intimidations des journalistes et des voix de l’opposition se sont poursuivis sans relâche. Il y a eu des développements importants dans deux cas d’intérêt particulier pour les membres de l’IFEX …
La troisième audience du procès des journalistes de Cumhuriyet (tous confrontés à des accusations liées au terrorisme) s’est terminée dans un mélange de déception et de farce le 25 septembre: déception, parce que, des cinq qui étaient encore détenus, seul Kadri Gursel a été libéré; farce, parce que le journal pro-gouvernemental Star a publié en ligne ce qui était (prétendument) la décision provisoire du juge avant que le juge ne l’ait apparemment rendue. Ce rapport préventif a été rapidement supprimé, mais pas avant que les captures d’écran n’aient été enregistrées et montrées autour de la salle d’audience, créant de la confusion et de l’indignation; le juge a demandé à voir l’article qui, en tout cas, s’est révélé inexact. Qu’il s’agisse d’une erreur honnête du journal ou de quelque chose de plus sinistre, elle a eu un effet désastreux dans la mesure où le juge a alors décidé d’ouvrir une action pénale contre le Star.
Plusieurs membres de l’IFEX, dont Reporters sans frontières, International Press Institute, Initiative pour la liberté d’expression – Turquie et ARTICLE 19, nous ont mis à jour via Twitter sur les développements au cours de cette troisième audience. Le procès reprendra le 31 octobre.
Septembre a également connu un développement décevant dans le procès des frères journalistes Ahmet et Mehmet Altan, arrêtés et accusés, avec beaucoup d’autres, de « tentative de prise de contrôle militaire » (lors du coup d’Etat manqué de 2016). Le juge a décidé de les garder en prison pendant que le procès se poursuit. La Plate-forme pour le journalisme indépendant fournit un excellent résumé des procès des journalistes turcs; pour en savoir plus sur le procès des Altan, prière de visiter son site Web.
Bianet a signalé que, devant la Cour européenne des droits humains, un certain nombre d’organisations des droits et des médias, dont de nombreux membres d’IFEX, ont eu leurs demandes de constitution de parties civiles acceptées dans des cas prestigieux de journalistes turcs emprisonnés. Ces organisations sont: ARTICLE 19, l’Association des journalistes européens, le Comité pour la protection des journalistes, le Centre européen pour la presse et la liberté des médias, la Fédération européenne des journalistes, Human Rights Watch, Index on Censorship, la Fédération internationale des journalistes, International Press Institute, PEN International et Reporters sans frontières.
Il y a eu quelques bonnes nouvelles au milieu du mois avec la libération du journaliste pigiste français, Loup Bureau. Il a été arrêté le 2 août, accusé d’infractions ridicules liées au terrorisme et libéré le 15 septembre.
Good news! Turkey has released French journo Loup Bureau, held on terror charges since July https://t.co/pjSSDpbW7S @bianet_eng @RSF_inter pic.twitter.com/yEnKbUwvSe
— IFEX (@IFEX) September 18, 2017
Bonne nouvelle! La Turquie a libéré le journ français Loup Bureau, détenu pour des accusations terroristes depuis juillet bit.ly/2w1NJ2U @bianet_eng @RSF_inter
Avec la criminalisation du cryptage, une préoccupation majeure pour les défenseurs des droits humains dans le monde entier et en Turquie en particulier, IFEX et Association for Progressive Communications ont soulevé la question à la 36ème session du Conseil des droits humains (CDH) de l’ONU. Leur action a été soutenue par plus de 60 ONG des droits du monde entier. Les États traitent de plus en plus l’utilisation de la communication sécurisée en tant que crime ou comme preuve d’une activité « terroriste » – comme nous l’avons vu dans le cas du consultant IT Ali Gharavi et du formateur de non violence Peter Steudtner, tous deux détenus aux côtés de défenseurs des droits humains (DDH) de haut niveau lors d’un atelier consacré à la gestion de la sécurité numérique en Turquie le 5 juillet 2017.
La communication soumise recommandait que le CDH « Travaille avec les États pour s’assurer que l’Internet est un espace qui favorise plutôt que limite l’exercice de tous les droits humains reconnus; et surveille les efforts des États membres pour restreindre ou compromettre l’utilisation de communications numériques sécurisées ». Elle a demandé spécialement à la Turquie d’« abandonner toutes les accusations portées contre Gharavi, Steudtner et les huit défenseurs des droits humains arrêtés avec eux; et de cesser de criminaliser l’utilisation de communications numériques sécurisées ». La version écrite complète de la communication soumise est disponible ici.
Ukraine
PEN International a tenu son 83ème Congrès international à Lviv, en Ukraine. L’organisation a profité de cette occasion pour soulever un certain nombre de préoccupations clés en matière de libre expression concernant les journalistes du pays et pour lancer le rapport intitulé Liberté d’expression dans l’Ukraine d’après l’Euromaidan: agression externe et défis internes. Deux écrivains / journalistes ukrainiens ont été nommés pour symboliser les « Chaires vides » (une tradition PEN par laquelle les membres de PEN se souviennent des collègues arrêtés ou tués et au cours de laquelle des appels appropriés sont lancés pour la justice). Il s’agissait du cinéaste et écrivain Oleg Sentsov (condamné à une peine de prison de 20 ans par un tribunal russe pour des accusations mensongères de terrorisme) et du journaliste Pavel Sheremet, assassiné en 2016, et dont les tueurs jouissent de l’impunité.
#Ukrainian writer & filmmaker #OlegSentsov introduced as the Empty Chair case for the opening day of the #83PENCongress pic.twitter.com/HlQn9rAOpw
— PEN International (@pen_int) September 19, 2017
L’écrivain et cinéaste #Ukrainien #OlegSentsov présenté comme cas Chaise vide pour le jour d’ouverture du #83PENCongress
L’occupation illégale de la Crimée par la Russie en 2014 et le conflit en dents de scie entre Kiev et les séparatistes pro-russes à l’est du pays ont créé un environnement menaçant pour les journalistes, qui, parfois, se retrouvent visés par les autorités ukrainiennes, la Russie et les séparatistes. À la fin du mois d’août, la journaliste russe Anna Kurbatova aurait été interceptée à Kiev par des personnes inconnues et déportée. À la même époque, les pigistes espagnols Antonio Pampliega et Ángel Sastre auraient été interdits d’entrer en Ukraine pendant trois ans à cause de leurs reportages sur le conflit à l’est. Alarmés par ces événements, et d’autres, le Comité pour la protection des journalistes a interpellé le Président Poroshenko pour qu’il réaffirme son engagement à assurer la sécurité des journalistes. Au début du mois, nous avons appris que les séparatistes pro-russes auraient condamné le blogueur ukrainien, Eduard Nedelyayev, à 14 ans d’emprisonnement aux motifs de trahison; Nedelyayev avait écrit de manière critique sur les autorités séparatistes dans sa ville natale de Luhansk. Et le 22 septembre, un tribunal de la Crimée occupée par la Russie a jugé que Mykola Semena, correspondant de RFE / RL, était coupable de séparatisme et l’a condamné une peine de 2,5 ans de prison avec sursis.
Focus sur le genre: l’OSCE et le Royaume-Uni
L’augmentation inquiétante des abus endurés, tant en ligne qu’en dehors, par les femmes journalistes, était en première place dans beaucoup d’esprits ce mois-ci. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Harlem Désir, a annoncé le lancement d’une campagne de l’OSCE axée sur la sécurité des femmes journalistes.
Stand up for Safety of Female Journalists Online – Join @OSCE_RFoM in our #SOFJO campaign! https://t.co/YPl33IJT0H pic.twitter.com/MWIRok4eDJ
— OSCE media freedom (@OSCE_RFoM) September 21, 2017
Levez-vous pour la sécurité des femmes journalistes en ligne- rejoignez @OSCE_RFoM dans notre campagne #SOFJO ! Facebook.com/osce.rfom/post…
Notant que les femmes journalistes font face à un« double fardeau: être attaquée en tant que journalistes et en tant que femmes », la campagne prévient que, dans les cas extrêmes, ces attaques conduisent à l’autocensure ou pire: les femmes se retirent de la sphère publique, laissant le domaine du journalisme dominé par les hommes avec encore moins de voix féminines ». L’OSCE organisera des ateliers, créera un portail des ressources en ligne et mettra sur pieds un réseau réunissant des journalistes, des universitaires, des membres de la société civile et des décideurs politiques pour élaborer des stratégies novatrices pour mieux soutenir les journalistes qui font face à des abus en ligne et pour contrecarrer l’abus lui-même ».
Nasty Women UK a tenu son premier événement au Royaume-Uni au cours du troisième week-end de septembre. Axé sur divers aspects de l’expérience des femmes dans les arts, les médias et ailleurs, l’événement a levé des fonds pour soutenir le travail de lutter contre la violence à l’égard des femmes. La membre de l’IFEX Veronica Yates (Directrice du Réseau International des Droits de l’Enfant) a participé à un panel sur « L’art en tant qu’activisme » et, aux côtés des artistes de CRIN, Miriam Sugranyes, a même peint une peinture murale inspirée par la question de la « discrimination ».
Protéger les journalistes: quelques développements encourageants
Le 5 septembre, les membres de l’IFEX, dont ARTICLE 19, le Comité pour la protection des journalistes, la Fédération internationale des journalistes, Index on Censorship, International Press Institute, PEN International et Reporters sans frontières, ont rejoint d’autres organisations des médias et David Kaye, le rapporteur spécial de l’ONU pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, à un événement organisé par le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias à Bruxelles. L’objet central de l’événement était de discuter des menaces pour les journalistes dans la région de l’OSCE et d’explorer de nouvelles façons de travailler ensemble afin de faire face efficacement à ces menaces. (C’est un grand défi: le projet d’Index Mapping de la liberté des Medias a déjà enregistré 571 attaques contre la liberté des médias en Europe au cours des six premiers mois de 2017). Les participants à cette réunion ont souligné l’écart de mise en œuvre parmi les Etats participants de l’OSCE pour faire respecter la liberté des médias et le manque de volonté politique d’améliorer la situation comme étant les principaux défis. L’intention est maintenant de développer le travail collaboratif commencé à Bruxelles.
Il y a eu des nouvelles très prometteuses pour les journalistes durant la seconde moitié de septembre, lorsque le Président Macron de France a utilisé son premier discours à l’Assemblée générale des Nations Unies pour demander la mise sur pieds d’un représentant de l’ONU pour la sécurité des journalistes. Beaucoup de crédit pour cela revient à Reporters sans frontières, qui a fait campagne pour cela pendant deux ans, et aux plus de 130 ONG soutenant l’initiative de RSF. De nombreux membres d’IFEX se sont joints à une coalition soutenant cette campagne.
L’Azerbaïdjan et le Kazakhstan en bref
En Azerbaïdjan, les attaques contre la libre expression et d’autres droits continuent sous la forme d’arrestations, de harcèlement et de fausses accusations contre des journalistes et des voix discordantes. À la fin d’août, Mehman Aliyev, responsable de l’Agence indépendante d’information Turan, a été détenu pour des accusations criminelles douteuses concernant des infractions fiscales présumées. L’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes (IRFS) a déclaré que l’arrestation avait des motivations politiques. Aliyev a été libéré sous caution le 11 septembre, mais risque une peine de huit ans s’il est reconnu coupable. Il y a eu quelques bonnes nouvelles pour Alexander Lapshin, le blogueur israélo-biélorusse, qui avait été condamné à trois ans de prison en juillet 2017 pour avoir franchi illégalement la frontière: il a été gracié par le président le même jour où Aliyev a été libéré. L’IRFS a décrit les deux libérations comme étant une maigre « première étape » sur la voie de la résolution du problème des journalistes emprisonnés en Azerbaïdjan et a exigé que tous les journalistes et voix de l’opposition soient libérés.
Mais l’Azerbaïdjan a maintenant de sérieuses difficultés avec le Conseil de l’Europe …
Le défi de l’État à une décision de 2014 de la Cour européenne des droits humains selon laquelle l’emprisonnement du militant politique Ilgar Mammadov était illégal et qu’il devrait être libéré, était à la base d’une décision prise par le Conseil du comité des ministres de l’Europe de déclencher des procédures d’infraction légales contre le pays. Il s’agit d’un processus long, mais, comme l’explique Human Rights Watch, pourrait conduire à l’expulsion de l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe.
Au Kazakhstan, il y avait des nouvelles mitigées pour le journaliste indépendant Zhanbolat Mamay, qui a été libéré ce mois-ci mais qui a été interdit de travailler en tant que journaliste pour trois ans. Mamay a été arrêté en février pour des motifs mensongers de blanchiment d’argent et a déclaré qu’il avait été battu et menacé en prison. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a qualifié l’interdiction de « violation des principes de l’OSCE concernant la liberté des médias ».
Une peinture murale inspirée par la question de la « discrimination »Miriam Sugranyes de CRIN