Dans une lettre adressée à Ricardo Lagos à la veille de son investiture à la présidence de la république, RSF a fait part de « sa vive préoccupation devant les atteintes répétées de la liberté de la presse liées à l’application de la loi sur la sécurité d’Etat ». Alors que le Parlement chilien doit prochainement adopter […]
Dans une lettre adressée à Ricardo Lagos à la veille de son investiture à la présidence de la république, RSF a fait part de « sa vive préoccupation devant les atteintes répétées de la liberté de la presse liées à l’application de la loi sur la sécurité d’Etat ». Alors que le Parlement chilien doit prochainement adopter une nouvelle loi sur la presse, l’organisation a demandé au futur président « d’user de (son) droit de veto si le texte adopté ne prévoyait pas l’abrogation de (cette) loi ». « Le Chili s’honorerait d’une telle décision qui lui permettrait de respecter ses engagements internationaux » a ajouté Robert Ménard, secrétaire général de RSF, qui a également demandé à Lagos de « veiller à ce que le nouveau texte ne prévoit pas de peines de prison pour les délits de presse ».
Adoptée en 1958, la loi sur la sécurité d’Etat prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour ceux qui « diffament, injurient ou calomnient le président de la république, les ministres d’état, les sénateurs ou députés, les membres de tribunaux supérieurs de justice, que la personne soit dans l’exercice de ses fonctions ou non lorsque se produit l’injure ». Dix-sept journalistes ont été arrêtés et inculpés depuis 1990 en vertu de ce texte, dont trois au cours des douze derniers mois.
Le 15 février 2000, la Cour suprême a condamné José Ale à être placé « sous contrôle judiciaire » pendant 541 jours (dix-huit mois) pour avoir « injurié » Servando Jordan, ancien président de la Cour suprême (voir les alertes de l’IFEX du 24 et 8 mars, et 22 février 2000). Laissé en liberté, le journaliste doit régulièrement se présenter auprès des autorités carcérales pour signer un registre. Dans un article publié le 7 janvier 1998 dans le quotidien « La Tercera », Ale avait évoqué les circonstances dans lesquelles le magistrat quittait ses fonctions. Dans sa décision, la juridiction suprême n’a, en revanche, retenu aucune charge contre Fernando Paulsen, directeur du quotidien au moment des faits et contre qui Jordan avait également porté plainte.
Avant la Cour suprême, cinq juges ou tribunaux s’étaient prononcés sur ce dossier, refusant tous de donner suite aux plaintes déposées par l’ancien magistrat. Le 28 juillet 1999, le juge Alejandro Solís avait invoqué « l’incompatibilité » de la loi sur la sécurité d’Etat avec la liberté d’expression pour justifier l’abandon des poursuites. Le verdict rendu par la Cour suprême est sans appel, c’est pourquoi, le 3 mars, RSF s’était adressée au président de cette institution pour « déplorer » cette
condamnation qui restreint la liberté de mouvement du journaliste.
Quelques mois plus tôt, en septembre, Alejandra Matus avait obtenu l’asile politique aux Etats-Unis (voir les alertes de l’IFEX du 5 mai, 15 et 27 avril 1999). La journaliste avait quitté le Chili après que, le 14 avril, la Haute Cour de Santiago avait ordonné la saisie de son « Livre noir de la justice chilienne » et engagé des poursuites contre elle. Dans cet ouvrage, Matus dénonçait la « corruption, le népotisme et les abus de pouvoir » qui règneraient au sein de la justice. Les poursuites avaient également été engagées à la demande de Jordán, toujours en vertu de l’application de la loi sur la sécurité d’état. Aujourd’hui encore, Matus est menacée
d’emprisonnement et son livre reste interdit.
Dans son rapport publié en 1999, Santiago Canton, Rapporteur spécial pour la liberté d’expression de l’Organisation des Etats américains (OEA), avait dénoncé les « limitations évidentes à la liberté d’expression » contenues dans la loi sur la sécurité d’Etat. En 1995, la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’OEA avait jugé les « lois visant à protéger l’honneur des fonctionnaires publics » comme « contraire au principe démocratique ». Enfin, dans son dernier rapport, le Rapporteur spécial pour la liberté d’opinion et d’expression des Nations-Unies « demande instamment aux gouvernements de tout mettre en oeuvre pour que les délits de presse ne soient plus sanctionnés par des peines de prison. »