Le mois d’août en Europe et en Asie centrale. Un tour d'horizon de la liberté d’expression, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Arrestations, torture, coupures d’Internet et propagande
L’élection présidentielle du 9 août au Bélarus s’est déroulée de la même manière que de nombreuses élections précédentes: des candidats de l’opposition ont été harcelés et chassés hors du pays; des manifestants pacifiques, des militants, des journalistes et des observateurs électoraux indépendants ont été arrêtés; et, bien sûr, le décompte final des votes qui a donné la victoire (une fois de plus) au président Loukachenka était très douteux.
Cependant, ce qui était nouveau, c’était l’ampleur et la passion des manifestations à la suite du vote, qui ont vu des dizaines de milliers de personnes descendre dans les rues de tout le pays pour exiger des élections libres et le départ du président Loukachenka. La violence à laquelle cette dissidence politique a fait face a scandalisé la communauté internationale. Il y a eu des manifestations de masse auparavant, et aussi des réactions d’une violence choquante de la part des autorités biélorusses, mais les dernières manifestations, toujours en cours, sont gigantesques et ont impliqué des couches de la société qui ne sont généralement pas vues lors de manifestations politiques. Certains commentateurs se demandent si Loukachenka peut (continuer à) s’accrocher au pouvoir.
@franakviacorka
On dirait que toute la ville protestait aujourd’hui. Les gens jettent des pommes sur la police tandis que la police lance des explosifs. De NOMBREUX blessés.
@franakviacorka
Ce ne sont pas des feux d’artifice mais des explosifs et des grenades assourdissantes utilisés par la police anti-émeute contre des manifestants pacifiques.
@BFreeTheatre
Scènes horribles en #Belarus
Des membres de l’IFEX ont travaillé d’arrache-pied pour nous tenir informés de la situation en constante évolution. L’Association bélarusse des Journalistes (BAJ), la Fédération européenne des Journalistes (FEJ), ARTICLE 19, Human Rights Watch, Reporters sans frontières (RSF), l’ Institut international de la Presse, le Comité de protection des Journalistes et Free Press Unlimited sont des sources inestimables d’informations concernant les dernières nouvelles sur les atteintes à la presse, la liberté d’expression et la liberté de réunion.
De nombreux journalistes ont été arrêtés et battus par la police. Dans la seule journée du 27 août, environ 50 ont été arrêtés pour avoir simplement couvert les manifestations. Au moins 17 journalistes travaillant pour des médias étrangers ont vu leurs accréditations retirées; certains seront expulsés. Plusieurs milliers de manifestants ont également été arrêtés et il existe des preuves solides de l’utilisation généralisée de la torture contre les détenus. Parallèlement à ces méthodes brutales, les autorités biélorusses ont, par intermittence, interrompu l’accès Internet afin de contrôler les informations et d’empêcher les manifestants de s’organiser.
Les journalistes des médias d’État se sont montrés solidaires de leurs collègues de la presse indépendante. Plusieurs se sont mis en grève pour demander qu’ils soient autorisés de rendre compte de manifestations avec exactitude. Beaucoup ont démissionné de leurs postes, certains ont été licenciés.
@ChristopherJM
Parmi les grévistes en Biélorussie figurent les équipes de la télévision d’État. À l’antenne ce matin? Rédactions vides et musique pop.
Cependant, les postes laissés vacants par les journalistes partis ont été, pour la plupart, repris par des journalistes de la télévision d’Etat venus de la Russie. La télévision d’État biélorusse dépeint désormais les manifestants comme des agents de l’Ouest (pays occidentaux).
@franakviacorka
Plus de 600 plaintes ont été déposées par des manifestants pacifiques biélorusses battus ou torturés par les forces de sécurité. ZERO cas ont été instruits. Au lieu de cela, énorme campagne de propagande à la TV pour justifier la violence policière
Les élections injustes et la répression des manifestants et des journalistes ont été condamnées mondialement, notamment par le Haut-Commissaire des N.U aux droits de l’homme et les Rapporteurs spéciaux des N.U.
@eucopresident
L’Union européenne est solidaire du peuple de #Biélorussie. Et nous n’acceptons pas l’impunité.
Les manifestations en Biélorussie ne concernent pas la géopolitique. Il s’agit du droit du peuple d’élire librement ses dirigeants.
Au milieu du mois, la Fédération européenne des journalistes a appelé l’UE à imposer des sanctions aux personnes complices de la répression. À la fin du mois d’août, l’UE avait accepté d’imposer des sanctions à 20 hauts fonctionnaires biélorusses.
Un autre critique de Poutine empoisonné
En Russie, un schéma familier s’est déroulé en août avec une tentative apparente contre la vie d’une figure de l’opposition, des efforts officiels pour empêcher un traitement efficace et, dans la foulée, le recours à la désinformation pour semer la confusion.
Le 20 août en Sibérie, Alexei Navalny, militant anti-corruption, figure de l’opposition de haut niveau et épine permanente aux côtés des alliés de Poutine, a été empoisonné. Il est tombé soudainement malade à bord d’un avion et a été transporté d’urgence dans un hôpital de la ville d’Omsk.
Actuellement, Navalny est soigné dans un hôpital de Berlin, où il a été placé dans un coma artificiel. Il respire au travers d’un respirateur. Le 2 septembre, le gouvernement allemand a déclaré que des tests de toxicologie dans un laboratoire militaire montraient une « preuve sans équivoque » d’un agent (produit) du groupe Novichok (Novichok a également été utilisé en 2018 pour empoisonner l’ancien espion russe Sergei Skripal et sa fille au Royaume-Uni). Selon les médecins, son état reste grave, mais il y a eu une amélioration de ses symptômes et il n’y a pas de danger immédiat pour sa vie.
Il y a eu stupéfaction sur la façon dont la crise a été gérée à l’hôpital d’Omsk. Au début, les médecins ont refusé d’autoriser le transfert de Navalny à Berlin, affirmant qu’il avait été empoisonné avec une substance qui pouvait mettre en danger d’autres personnes. Ensuite, ils ont dit qu’il était trop instable pour être déplacé, mais qu’il n’avait pas été empoisonné.
Navalny n’a été autorisé à être transféré qu’après que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a accordé une mesure provisoire « indiquant au gouvernement russe de permettre à sa famille et à ses médecins d’avoir accès à lui et de voir s’il est apte à être transféré en Allemagne pour traitement. »
Navalny a souvent été la cible de harcèlement judiciaire et de détentions. Il a également été agressé physiquement à plusieurs reprises et pourrait également avoir été empoisonné dans le passé.
Les médias russes ont propagé de la désinformation sur la situation de Navalny, suggérant qu’il aurait en fait été empoisonné lors du vol qui l’a transféré en Allemagne. Un membre de haut niveau de la Douma (la chambre basse du parlement russe) a, bizarrement, pointé du doigt des États étrangers comme les potentiels coupables:
@sarahrainsford
Oh, Russie.. Volodine, le président de la chambre basse (Douma) de Russie, dit que le comité de sécurité examinera ce qui est arrivé à Navalny, pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une tentative des États étrangers de « créer des tensions en Russie »; une « provocation » , rien de moins, pour susciter plus d’accusations contre la Russie .
Peu de temps après l’empoisonnement, l’Union européenne et Human Rights Watch ont demandé une enquête indépendante et transparente sur l’incident. Cependant, le Kremlin a rapidement exclu une telle enquête. Lorsque le gouvernement allemand a révélé, plus tard, que Novichok avait été utilisé pour empoisonner Navalny, le Kremlin a affirmé qu’il n’avait pas reçu une telle information de l’Allemagne.
Focalisation sur le genre en Pologne
« Là où ils envisagent de crier des slogans de haine, un symbole de la lutte pour la liberté, l’égalité, l’amour et la démocratie les attend! »
En Pologne, l’homophobie est encouragée et récompensée par le gouvernement. Il a été rapporté ce mois-ci que la ville de Tuchow – qui a perdu le financement de l’UE après s’être déclarée « zone sans LGBT » – recevra un soutien financier du gouvernement du parti Law and Justice Party (PiS). Environ un tiers de la Pologne s’est déclaré « zone sans LGBT ».
@KPH_official
X Le ministre polonais de la Justice récompense l’homophobie!
X Tuchów, qui s’est déclarée « zone sans LGBT », s’est vu refuser les fonds de l’UE pour homophobe. À cause de cela, aujourd’hui elle a obtenu du ministre #Ziobro un remboursement de 250 000 zł!
Andrzej Duda, président polonais récemment élu, a fait campagne sur une plateforme pro « valeurs traditionnelles » et anti-LGBTQI +, et s’est engagé à protéger les enfants polonais de « l’idéologie LGBT ». Lors de sa prestation de serment ce mois-ci, des députés de l’opposition polonaise ont protesté contre son homophobie en utilisant une méthode ingénieuse pour s’assurer que le drapeau arc-en-ciel flotte dans le parlement:
@TJ_Knight
Amour et respect considérables pour les députés polonais qui ont concordé leurs tenues pour créer un drapeau arc-en-ciel lors de la prestation de serment de leur président homophobe Andrzej Duda
Au milieu du mois, encouragés par l’intégration de la rhétorique homophobe du PiS, des centaines de nationalistes de droite sont descendus dans les rues de Varsovie pour bruler des drapeaux arc-en-ciel et demander l’interdiction des défilés de la fierté. Le député d’extrême droite Krzysztof Bosak s’est adressé à la foule et a juré de rejeter « l’idéologie LGBT+ ». Les militants LGBTQI + ont organisé une contre-manifestation de l’autre côté de la route, et la Campagne contre l’homophobie a peint un arc-en-ciel géant dans la rue devant l’Université de Varsovie avant les deux manifestations. Le groupe de militants a déclaré: « Là où ils prévoient de crier des slogans de haine, un symbole de la lutte pour la liberté, l’égalité, l’amour et la démocratie les attend! »
Plus de 70 écrivains, acteurs et réalisateurs ont exprimé ce mois-ci leurs inquiétudes quant à l’orientation de la Pologne. Ils ont écrit une lettre ouverte à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour protester contre l’homophobie dirigée par le gouvernement en Pologne. La lettre appelait le gouvernement polonais à « cesser de cibler les minorités sexuelles » et la Commission européenne à « prendre des mesures immédiates pour défendre les valeurs européennes fondamentales – égalité, non-discrimination, respect des minorités – qui sont ouvertement violées en Pologne».
Les signataires ont souligné le cas récent de « Margot », une militante LGBTQI+, qui a été placée en détention préventive le 7 août. En juin, elle a été accusée d’avoir poussé un chauffeur de fourgonnette qui diffusait des insultes homophobes depuis un haut-parleur. En juillet, elle a été arrêtée pour « insulte aux sentiments religieux et aux monuments de Varsovie » après avoir couvert de statues autour de la ville avec des drapeaux arc-en-ciel. Margot a été libérée de sa détention préventive le 28 août.
@KPH_official
#Margot, l’activiste du collectif #StopBzdurom @stopbzdurom (Arrêtez la bêtise) est libérée de prison à Płock aujourd’hui, trois semaines après leur arrestation à Varsovie. Cette décision a été prise aujourd’hui par le tribunal en réponse à une plainte des représentants de Margot
Europe et Asie centrale: une histoire racontée de la COVID-19
De nombreux membres de l’IFEX de la région Europe et Asie centrale ont maintenant répondu à notre demande de partager des réflexions personnelles et professionnelles sur la vie et le travail pendant la pandémie de la COVID-19. De la région Europe et Asie centrale, nous avons reçu des réponses réfléchies de l’Institut albanais des médias (AMI), du Centre des journalistes indépendants – Hongrie (CIJ-H), du Centre des journalistes indépendants – Roumanie (CIJ-H), du Syndicat des libertés civiles hongroises (HCLU), de PEN Norvégien, du South East European Network for Professionalization of Media (SEENPM) et du South East Europe Media Organization (SEEMO).
Comme prévu, de nombreux membres de l’IFEX ont évoqué la nécessité d’adopter (et de s’adapter à) de nouvelles méthodes de travail. Pour certains (voir ci-dessous), la pandémie a mis en lumière ce que signifie être humain en temps de crise:
« Et puis j’ai réalisé que s’il faut un village pour élever un enfant, il faut une société qui fonctionne pour nous soutenir tous et nous faire avancer. Les bases de ma formation en anthropologie m’ont frappé entre les yeux: les gens ne peuvent être des personnes que s’ils vivent dans des communautés; les communautés aiment l’ordre. Notre ordre a été écrasée, nos pratiques sociales brisées, notre tissu réduit en pixels. » Ioana Avadani du CIJ-R
« Je pense que j’ai probablement réappris qu’il y a peu de limites à la capacité humaine à s’adapter. J’ai vu pour la première fois comment la plupart des gens s’adaptent rapidement à une situation sociétale radicalement modifiée lors du siège de Sarajevo au début des années 1990. Bien sûr, comparé à la guerre, le confinement n’est qu’un simple inconvénient pour la plupart des gens. Pourtant, cet élément d’adaptation se déroule selon les mêmes principes chaque fois que les circonstances dictent le changement. C’était étrangement rassurant de voir sa famille, ses amis et ses collègues s’adapter rapidement. » Tihomir Loza de SEENPM
IFEX commencera à publier les réponses de ses membres dans les semaines à venir.