A l’occasion du dixième anniversaire de l’insurrection anti-gouvernementale en Syrie qui a sonné le début de la guerre civile, Reporters sans frontières (RSF) dresse le bilan d’un conflit qui a ravagé le paysage médiatique syrien.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 12 mars 2021.
Plusieurs centaines de journalistes tués, une centaine d’autres disparus ou partis en exil… A l’occasion du dixième anniversaire de l’insurrection anti-gouvernementale en Syrie qui a sonné le début de la guerre civile, Reporters sans frontières (RSF) dresse le bilan d’un conflit qui a ravagé le paysage médiatique syrien.
C’est, à ce jour, le conflit le plus meurtrier pour la profession. Confrontés au danger de mort inhérent à la couverture d’un théâtre de guerre qui a déjà fait 400 000 morts, et à la répression féroce d’un pouvoir autoritaire et de groupes armés radicaux, les journalistes syriens ont payé, à l’image de l’ensemble de la population syrienne, un très lourd tribut.
Au moins 300 journalistes, professionnels et non professionnels, ont été tués en couvrant des bombardements ou ont été assassinés par les parties prenantes au conflit depuis 2011, selon des informations recueillies par RSF. Ce chiffre, très élevé, est probablement en dessous d’une réalité encore plus terrible : le Syrian Network for Human Rights (SNHR) estime, dans un rapport en date de 2020, à 700 le nombre de morts, sans qu’il soit possible à ce jour de confirmer ces estimations compte tenu de la difficulté d’accès aux informations et de l’opacité totale entretenue par les autorités et les groupes radicaux sur les exactions commises.
C’est aussi par centaines que se comptent le nombre de journalistes arrêtés, voire enlevés. Selon des données -toujours en cours de vérification- du Centre syrien des médias (SCM), partenaire de RSF, plus de 300 journalistes ont été arrêtés et près d’une centaine ont été victimes d’enlèvements depuis 2011. Si le gouvernement et ses services de renseignements étaient à l’origine des arrestations au cours des deux premières années de la guerre, l’éclatement du pays a favorisé l’éclosion de nouveaux prétadeurs pour journalistes, notamment la multitude de groupes djihadistes comme l’Etat islamique, le front Al-Nosra ou Jaysh Al-Islam. C’est ainsi que la journaliste citoyenne Razan Zaitouneh a été enlevée en décembre 2013 dans la ville de Douma, alors sous le contrôle du groupe Jaysh Al-Islam. Les forces kurdes ne sont pas exemptes de violations, avec trois enlèvements sur les seuls premiers mois de 2021.
Le sort des disparus
A ce jour, près d’une centaine de ces journalistes arrêtés ou enlevés sont toujours portés disparus. Leurs familles et leurs proches ne sont pas en mesure de déterminer leur sort avec certitude. Les journalistes étrangers ne font pas exception, comme l’Américain Austin Tice, disparu depuis août 2012. Faute de nouvelles, certains journalistes sont présumés morts sous la torture ou executés. Parfois, un témoignage d’anciens codétenus sortis en vie, qui ont vu leur camarade de cellule mourir sous leurs yeux, permet aux familles de commencer à faire leur deuil. Plus rarement, des proches obtiennent une confirmation officielle du décès.
Ce n’est que récemment que les autorités ont commencé à délivrer des actes de décès officiels. L’épouse du journaliste Jehad Jamal (plus connu sous le nom de “Milan”), emprisonné en 2012 n’a eu la confirmation de sa mort qu’au début de 2020. L’acte de décès indiquait qu’il était mort quatre ans auparavant dans la prison militaire de Saydnaya, qualifiée d’ “abattoir humain” par les ONG. Il en est de même pour le journaliste citoyen Ali Othman, qui avait joué un rôle majeur en soutenant les journalistes étrangers à Homs. Il avait été arrêté en 2012, mais n’est que début 2019 que sa famille a fini par obtenir un document du registre de l’état civil de Homs, indiquant qu’il était décédé en prison avec son frère Ibrahim depuis 2013.
Le grand exode des journalistes
Pour échapper aux arrestations et à une mort certaine, des centaines de journalistes ont pris le chemin de l’exil, contribuant à vider encore un peu plus le pays de ses professionnels des médias. Cet exode s’est accentué ces deux dernières années avec la reprise de contrôle de pans entiers du territoire par le gouvernement de Bachar al-Assad et l’avancée des forces loyalistes vers les dernières enclaves qui échappaient encore au contrôle de Damas. En prévision de la chute de la ville de Deraa, et les risques de représailles qui menacaient les journalistes encore présents, RSF et son partenaire SCM sont intervenus en 2018 pour mettre à l’abri une trentaine d’entre eux qui se trouvaient en situation d’urgence. La Syrie reste à ce jour le pays le plus soutenu par le service assistance de RSF : en 10 ans, plus de 250 journalistes syriens et 26 médias ont bénéficié d’une aide financière ou d’une formation organisée par RSF. Des dizaines de journalistes restent à ce jour en situation de grand danger dans la province d’Idlib au nord-ouest de la Syrie, dernier territoire encore aux mains d’un groupe djihadiste, l’organisation Hay’at Tahrir al-Sham (HTS).