Juillet 2022 en Europe et en Asie centrale. Un tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé, sur base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La bataille pour l’intégrité de l’information dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine ; l’intolérance persistante contre la dissidence au Bélarus ; un accueil nuancé pour la loi sur les services numériques de l’UE ; une régression des droits humains, mais des développements prometteurs dans la lutte contre les SLAPP au Royaume-Uni.
L’intégrité de l’information face aux forces de la désinformation
Le décompte continue d’augmenter. L’Institute of Mass Information (IMI) rapporte qu’au cours des cinq premiers mois de la guerre, les forces russes ont commis 428 crimes et délits contre les médias en Ukraine. Il s’agit notamment de meurtres, de blessures, d’enlèvements et de tirs sur des journalistes, de bombardements des antennes de diffusion télévisée et de cyberattaques contre des médias. Selon l’IMI, 36 journalistes ont été tués (8 au cours d’un de leurs reportages). Six femmes journalistes ont perdu la vie durant l’invasion et le sort de quatre journalistes portés disparus dans les territoires occupés par la Russie est toujours inconnu.
La bataille entre les défenseurs de l’intégrité de l’information et la désinformation continue. La Russie cible toujours à la fois les médias et les citoyens russes qui ont communiqué ouvertement sur la véritable nature de son invasion de l’Ukraine. Ce mois-ci, un conseiller de district de Moscou a été condamné à sept ans de prison pour avoir critiqué la guerre ; 30 groupes musicaux ont interdiction de se produire en Russie en raison de leurs commentaires sur la guerre ; les grandes agences de tournées musicales auraient décidé d’interdire par contrat les commentaires politiques sur scène ; le média d’investigation Bellingcat a été qualifié de menace pour la sécurité et n’est plus autorisé à travailler en Russie ; et des mesures sont prises par les autorités russes pour fermer le syndicat des journalistes et des travailleurs des médias pour avoir publié des « contenus trompeurs » sur la guerre, visant à « discréditer » les forces russes. Selon une récente déclaration des experts de l’ONU condamnant la « répression de l’espace civique » en Russie, plus de 60 affaires pénales ont maintenant été ouvertes pour diffusion de soi-disant « fausses nouvelles » sur la guerre (ce qui constitue un délit depuis mars 2022).
Contrattaquer
Alors que les autorités russes et leurs partisans tentent de perturber l’accès à des informations précises sur la guerre – via une interdiction de Google, par exemple, ou l’utilisation de fausses conversations vidéo avec des politiciens étrangers – des militants anti-guerre imaginatifs trouvent des moyens de connection inédits avec les citoyens russes, par exemple en achetant de l’espace publicitaire sur des sites Web de pornographie et de jeux peu modérés, et en l’utilisant pour créer des liens vers des articles indépendants sur l’invasion.
Une arme absolument essentielle dans la lutte contre la désinformation consiste à collecter sur le terrain des données précises sur les violations des droits humains en Ukraine par la Russie. C’est exactement ce que font les enquêtes en cours de Human Rights Watch (HRW). Les conclusions publiées en juillet ont montré que les forces russes ont « torturé, détenu illégalement et fait disparaître de force des civils dans les zones occupées des régions de Kherson et de Zaporizhzhia ». Selon HRW, « le but des abus semble être d’obtenir des informations et d’instiller la peur afin que les civils acceptent l’occupation ». HRW a également documenté les cas de neuf hommes civils qui ont été détenus par les forces russes pendant leur occupation de la région de Kyiv, puis transférés illégalement en Russie.
Intolérance persistante à l’égard de la dissidence
En Biélorussie, l’intolérance du gouvernement Loukachenka à l’égard de la dissidence s’est pleinement manifestée en juillet lorsque la journaliste emprisonnée Katsiaryna Andrejeva a été condamnée à huit ans de prison supplémentaires pour de fausses accusations de trahison. Correspondante de Belsat TV, Andrejeva devait être libérée en septembre 2022, date à laquelle elle aurait purgé une peine distincte de deux ans qui lui avait été infligée en 2021 pour « organisation de manifestations de masse ».
Katsiaryna Andrejeva est derrière les barreaux depuis novembre 2020, date à laquelle elle a été arrêtée alors qu’elle couvrait un rassemblement de l’opposition à Minsk. Les autorités ont déclaré son employeur, Belsat TV, « organisation extrémiste » en 2021. Toute personne surprise en train de partager son contenu risque 30 jours de détention.
Le cas d’Andrejeva était l’un des rares mis en lumière ce mois-ci par la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Teresa Ribeiro, lorsqu’elle a réitéré son appel aux autorités biélorusses pour qu’elles mettent fin à leurs attaques contre la presse et libèrent tous les journalistes détenus.
Un autre cas évoqué par Teresa Ribeiro est celui du journaliste d’Intex-press, Yury Hantsarevich, qui a été condamné à deux ans et demi de prison pour « avoir facilité des activités extrémistes ». Il est l’un des nombreux journalistes détenus qui ont été contraints par les autorités d’avouer leurs « crimes » en vidéo (pour une publication ultérieure en ligne).
L’ancien rédacteur en chef de la chaine NEXTA, Raman Pratasevich, est peut-être le détenu biélorusse le plus célèbre à avoir été contraint par les autorités à faire des aveux pour diffusion. Il avait été arrêté en mai 2021 après que les autorités biélorusses ont forcé son vol Ryanair à destination de la Lituanie à atterrir à Minsk. Ce mois-ci, à la suite de mises à jour de leur enquête, l’agence en charge de l’aviation auprès des Nations Unies – l’Organisation internationale de l’aviation civile (OACI) – a officiellement accusé le gouvernement biélorusse d’avoir simulé une alerte à la bombe afin de forcer le pilote à se dérouter. Ce faisant, l’OACI a déclaré qu’il avait « mis en danger la sécurité d’un aéronef en vol », ce qui « constitue une infraction en vertu de la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de l’aviation civile ».
[ Traduction : COMMUNIQUÉ DE PRESSE : Le Conseil de l’OACI condamne fermement la Biélorussie pour l’alerte à la bombe et le détournement d’un vol Ryanair en 2021 ]
La répression continue contre la société civile de la part du président Loukachenka a fait de nouvelles victimes ce mois-ci, lorsque la Cour suprême du pays a décidé de dissoudre les syndicats indépendants de Biélorussie. Plusieurs syndicats ont été accusés de participer à des « désordres de masse » et de distribuer du matériel « extrémiste ».
Le Royaume-Uni recule en matière de droits humains
À la suite d’une visite de cinq jours au Royaume-Uni (du 27 juin au 1er juillet), la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a fait part de ses inquiétudes concernant le recul du pays en matière de droits humains. Parmi les problèmes qu’elle a soulignés figure l’abrogation proposée par le gouvernement populiste de droite de la loi sur les droits humains et son remplacement par une « déclaration des droits », qui, selon les groupes de défense des droits, affaiblira la protection des droits humains dans le pays.
Dunja Mijatović a également souligné le discours public hostile (promu par certains politiciens et médias) contre les personnes LGBTQI+ en général et les personnes transgenres en particulier. « Contrairement à ce que certains veulent laisser croire, la protection des droits des femmes et celle des droits des personnes transgenres n’est pas un jeu à somme nulle », a-t-elle déclaré, « Le discours actuel enracine des stéréotypes sexistes nuisibles, qui affecteront négativement la protection des droits de toutes les personnes concernées à long terme. »
A titre d’illustration, l’examen annuel 2022 de ILGA-Europe sur les droits LGBTQI+ à travers l’Europe note que la haine anti-transgenres a augmenté au Royaume-Uni en 2021, où les journaux grand public publient « un ou plusieurs articles anti-trans chaque jour ».
Le gouvernement britannique a introduit une série de lois et de politiques qui ont un impact négatif sur les réfugiés, les demandeurs d’asile, les Tziganes et les Roms. Alors qu’il s’est engagé à ratifier la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes avant la fin du mois de juillet, il s’apprête à le faire en excluant ou en modifiant les dipositions de protection des femmes migrantes dans deux articles de la Convention.
Ces articles obligent les pays à fournir des mesures de protection aux migrantes victimes d’abus et dont le statut de résidente dépend de leur partenaire violent. Human Rights Watch affirme que la décision du Royaume-Uni pourrait dissuader ces femmes de demander protection et justice « car elles peuvent craindre d’être expulsées du Royaume-Uni si elles demandent de l’aide pour violence domestique ».
Cependant, le mois a également vu des développements prometteurs lorsque le gouvernement a annoncé qu’il introduirait des mesures législatives visant à réprimer le recours aux poursuites stratégiques contre la participation du public (SLAPP), les actions en justice visant à entraver la participation politique et le militantisme. Les nouvelles mesures imposeront un test en trois parties pour décider si une action en justice peut être rejetée à un stade précoce. Les poursuites seront évaluées pour déterminer si elles se rapportent à une affaire d’intérêt public, s’il existe des preuves d’abus de procédure et si le demandeur a une chance réaliste de gagner. Les co-présidents de la UK Anti-SLAPP Coalition ont salué la nouvelle, mais ont exhorté le gouvernement à appliquer un seuil plus élevé pour filtrer les SLAPP et à introduire une compensation pour les cibles des SLAPP.
« Elle aurait pu être plus ambitieuse »
En juillet, le Parlement européen a adopté la Loi sur les services numériques (DSA), établissant des règles pour les platesformes Internet dans toute l’UE.
La DSA a été présentée comme la loi qui disciplinera les géants de la technologie et protégera les droits des utilisateurs en ligne. Elle a reçu un accueil mitigé de la part des membres de l’IFEX, qui ont en général salué l’importance qu’elle accordait à la transparence (par exemple, exiger des plateformes qu’elles expliquent leurs politiques de modération du contenu et l’utilisation d’outils automatisés), mais ont également exprimé des inquiétudes concernant, entre autres, l’omission de la décentralisation de la gestion du contenu, l’absence de droit explicite au chiffrement et à l’anonymat pour les utilisateurs et l’absence de garanties solides contre une censure gouvernementale potentiellement croissante.
Le verdict unanime est qu’elle « aurait pu être plus ambitieuse ». Access Now fournit un bref guide sur certains des aspects clés de la DSA, qui deviendra applicable dans toute l’UE en 2024.