Depuis le putsch du 1er février 2021, quatre journalistes birmans ont été tués, dont deux après avoir été violemment interrogés, battus et même mutilés. Pas moins de 130 journalistes ont également été arrêtés et emprisonnés et 72 d’entre eux sont toujours détenus.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 30 janvier 2023.
Deux ans après la prise de contrôle du pouvoir par la Tatmadaw, l’armée birmane, Reporters sans frontières (RSF) dresse un bilan chiffré accablant des atteintes contre la liberté de la presse commises par les militaires. Afin de cacher les massacres de civils et d’asseoir son autorité, la junte arrête, emprisonne, torture, voire élimine les journalistes qui pourraient gêner son contrôle de l’information.
Depuis le putsch du 1er février 2021, quatre journalistes birmans ont été tués, dont deux après avoir été violemment interrogés, battus et même mutilés. Pas moins de 130 journalistes ont également été arrêtés et emprisonnés et 72 d’entre eux sont toujours détenus. Des dizaines de cas de torture ont été rapportés. Implacable, la répression de la liberté de la presse en Birmanie s’est, depuis deux ans, durcie sur tous les plans. Dans l’espace, dans le temps et dans la méthode.
« Depuis deux ans, les chiffres du drame birman, compilés par RSF, donnent la nausée. Une implacable machine répressive s’est abattue sur l’ensemble du territoire. Les peines de prison prononcées contre les journalistes ne cessent de s’allonger. Tout cela n’a qu’un seul but : empêcher le monde de savoir ce qu’il se passe sous la botte des généraux birmans. Nous en appelons au rapporteur spécial des Nations unies en charge de ce dossier, Tom Andrews, pour remettre la tragédie birmane au cœur de l’agenda international. »
Daniel Bastard, Responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF
Deuxième plus grande prison du monde pour les acteurs de l’information derrière la Chine, la Birmanie est désormais, en chiffres relatifs, le pays qui emprisonne le plus ses journalistes par rapport à sa population. Surtout, la terreur orchestrée par les militaires se révèle diaboliquement méthodique – comme l’illustrent la courbe du nombre cumulé de journalistes emprisonnés depuis deux ans et celle des condamnations à des peines de prison prononcées.
Un durcissement dans la méthode
Durant les 12 premiers mois qui ont suivi le putsch, le nombre de journalistes détenus a augmenté de façon constante. Un total de 115 journalistes ont été arrêtés puis emprisonnés au cours de cette période, contre 15 l’année suivante. Cette baisse n’est cependant pas le signe d’un affaiblissement de la répression. Au contraire : les professionnels des médias, qui ont largement couvert les mouvements de protestation organisés en réaction au coup d’État, s’ils ne sont pas en train de croupir derrière les barreaux, se sont résignés, au fil des mois, soit à fuir le pays, soit à vivre dans la clandestinité. De fait, les 15 journalistes qui ont été jetés en prison depuis un an ont, dans leur quasi-totalité, été débusqués là où ils se cachaient.
Le ralentissement de cette courbe des arrestations s’accompagne, en parallèle, d’une augmentation tout aussi préoccupante du nombre de journalistes condamnés à des peines de prison. Une dizaine de journalistes avaient fait l’objet d’une condamnation en décembre 2021 ; ils sont cinq fois plus nombreux aujourd’hui. De façon évidente, les tribunaux militaires ont pris le relais des forces armées pour écraser tout espoir de voir triompher une information libre dans le pays.
Un durcissement dans le temps
Ce phénomène est d’autant plus frappant que le durcissement de l’appareil répressif s’étale aussi dans le temps : les peines prononcés par les cours militaires n’ont cessé de s’allonger, pour atteindre un record de quinze ans de prison auxquels a été condamné le journaliste indépendant Myo San Soe, fin 2022. Durant l’année 2022, la durée cumulée des peines prononcées contre des journalistes a été multipliée par trois. Elle est passée de 58 ans fin 2021 à 189 ans fin 2022.
Et pour cause : au lendemain de son coup d’État, la junte s’était dotée d’un outil répressif sur mesure, sous la forme de l’article 505(A) du Code pénal, pour punir de trois ans de prison la diffusion de “fausses nouvelles” contre les représentants du gouvernement militaire. Mais, au fil des mois, les tribunaux mis en place au sein même des prisons se sont mis à condamner les journalistes à des peines autrement plus lourdes sur la base de nouvelles charges : “terrorisme”, “espionnage”, ou simple “actes préjudiciables à la sécurité de l’État”… Tous les prétextes sont bons pour alourdir les peines et intimider l’ensemble de la profession.
Un durcissement dans l’espace
Une analyse des lieux de détention des journalistes montre enfin à quel point la junte a réussi à déployer sa machine répressive sur la totalité du territoire qu’elle contrôle. Si la sinistre prison d’Insein, à Rangoun, concentre une trentaine de journalistes détenus, RSF a pu identifier au moins 26 autres lieux de détention.
Quelques zones frontalières du territoire birman échappent cependant à cette machine impitoyable : l’État Chin, à l’ouest, l’État Kachin, au nord, et l’État Shan, à l’est. Ces trois régions sont traditionnellement dominées par des rébellions autonomistes, et administrées par des mouvements hostiles à la Tatmadaw : en d’autres termes, là où la junte n’exerce pas son autorité directe, les journalistes sont relativement libres de travailler.
C’est sans doute là, dans ce tableau macabre, qu’il faut voir un signe d’espoir : dans une partie du pays, la société civile parvient encore à échapper à l’emprise de la junte et elle montre une soif inextinguible d’informations. Le signe, plus évident que jamais, de l’importance de la liberté de la presse dans le combat pour la démocratie en Birmanie.