Août 2023 en Europe et en Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Les membres de l’IFEX commémorent le troisième anniversaire des répressions contre la société civile en Biélorussie ; des journalistes russes en exil auraient été empoisonnés : la plupart des procédures-bâillons (SLAPP) en Europe viennent de Pologne, de Malte et de France à en croire le rapport CASE.
Trois ans de répression
Le 9 août, les membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense des droits ont commémoré le troisième anniversaire de l’élection présidentielle usurpée en Biélorussie qui a maintenu le président Loukachenka au pouvoir, déclenché une vague de protestations populaires contre le résultat et une répression sévère contre la liberté d’expression et la société civile.
IFEX a publié une séance de questions-réponses avec la Belarusian Association of Journalists (BAJ), axée sur la situation sur le terrain pour les journalistes biélorusses et la société civile, et mettant en lumière le Marathon de solidarité en cours organisé par la BAJ.
Lancé par la BAJ et l’Union lituanienne des journalistes à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2023, le Marathon de solidarité vise à maintenir dans l’attention du public les défis auxquels sont confrontés les médias biélorusses indépendants. Il demande aux citoyens du monde entier de télécharger des portraits de journalistes biélorusses emprisonnés, de se prendre en photos avec à proximité de monuments et d’autres lieux reconnaissables, puis de les publier sur les réseaux sociaux.
[ Traduction : Alors que la #Biélorussie marque le troisième anniversaire des élections manipulées qui ont maintenu au pouvoir le « dernier dictateur d’Europe », nous avons interrogé @baj_by, membre de l’IFEX, sur le paysage actuel de la liberté d’expression et sur sa campagne mondiale en faveur des journalistes emprisonnés : ]
Le 9 août a également connu les appels à la solidarité suivants :
- La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a publié une déclaration de solidarité avec les journalistes emprisonnés en Biélorussie, appelant à leur libération immédiate et exhortant le public à participer au Marathon de solidarité de la BAJ.
- Freedom House a appelé à la libération de tous les prisonniers politiques et exhorté la communauté internationale à « se tenir aux côtés des acteurs démocratiques en Biélorussie et exiger justice pour les victimes du régime de Loukachenka ».
- International Press Institute (IPI) a appelé à la libération de tous les journalistes emprisonnés, à la levée des restrictions imposées aux médias et a invité la communauté internationale à soutenir les médias biélorusses indépendants, y compris ceux en exil.
- PEN America a publié une déclaration consacrée à la répression des écrivains et des intellectuels et exhortant le Conseil de l’Europe, l’UE et l’OSCE à faire davantage pour protéger ces voix indépendantes, notamment en mettant en place « un financement spécial pour protéger la culture biélorusse » et « des procédures de visas simplifiées pour les écrivains fuyant la Biélorussie ».
- PEN International et PEN Belarus ont appelé le gouvernement de Loukachenka à mettre fin à la répression de la dissidence, en soulignant le cas de l’artiste emprisonné Aleś Puškin, décédé en prison en juillet 2023 après s’être vu refuser l’accès à des soins médicaux d’urgence.
- Reporters sans frontières (RSF) a condamné une « nouvelle vague » de répression en Biélorussie qui, de manière inhabituelle, cible les employés des médias d’Etat et des entreprises qui « suivent généralement la ligne gouvernementale ».
- La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont publié un nouveau rapport – Suppression du droit de défendre les droits de l’homme en Biélorussie – qui se concentre sur la législation restrictive et les outils déployés par l’État pour réprimer la société civile.
La « purge » de la société civile menée par Loukachenka se poursuit. Le 23 août, les informations officielles biélorusses ont rapporté que la célèbre organisation de la société civile, Viasna Human Rights Center, avait été déclarée « extrémiste » par les autorités. Cinq membres de Viasna – dont son président, Ales Bialiatski, lauréat d’un prix Nobel – purgent actuellement de longues peines de prison sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.
Climat empoisonné pour la liberté d’expression
La répression contre la société civile et les médias indépendants en Russie se poursuit également sans relâche.
Le 4 août, le leader de l’opposition et militant anti-corruption Alexeï Navalny a été condamné à 19 ans de prison supplémentaires pour plusieurs chefs d’accusation douteux, notamment « extrémisme », implication d’enfants dans des « activités illégales » et réhabilitation du nazisme. La sentence a été prononcée lors d’un procès à huis clos et a été décrite par Human Rights Watch comme « un témoignage de la détermination du Kremlin à décapiter l’opposition russe pour de nombreuses années à venir ».
Navalny purge déjà des peines totalisant 11,5 ans d’incarcération pour des accusations tout aussi fallacieuses et a survécu à une tentative d’empoisonnement en 2020. L’UE a condamné la nouvelle peine et a appelé la Russie à se conformer à une mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’homme (ECtHR) exigeant la libération immédiate de Navalny.
Au milieu du mois d’août, un tribunal de Moscou a décidé de dissoudre le Centre Sakharov, l’une des organisations de défense des droits humains les plus anciennes et les plus connues de Russie. Cette décision est intervenue après que le ministère de la Justice a déposé une plainte au tribunal accusant l’organisation de diverses violations de la loi, notamment de la législation sur les « agents étrangers ». En janvier, les autorités municipales de Moscou avaient expulsé le Centre Sakharov de ses locaux en raison de sa désignation comme « agent étranger ».
Le mois d’août a également vu :
- La Cour suprême confirmer la peine de 22 ans de prison du journaliste Ivan Safronov, reconnu coupable de « trahison » en 2022.
- La journaliste néerlandaise Eva Hartog et la journaliste finlandaise Anna-Lena Laurén se sont vues refuser un visa de travail et une accréditation pour faire un reportage depuis la Russie ; Hartog, qui se trouvait toujours en Russie au moment de la décision, disposait ainsi de six jours pour quitter le pays.
- Des allégations d’empoisonnement respectivement en Allemagne et en Géorgie en octobre 2022 des journalistes indépendantes en exil Elena Kostyuchenko et Irina Babloyan.
- Des informations selon lesquelles la journaliste citoyenne de Crimée Iryna Danylovych (illégalement expulsée vers la Russie en juillet) a perdu l’audition d’une oreille après s’être vue refuser des soins médicaux adéquats par les autorités pénitentiaires.
Plus de 1 000 atteintes à la liberté des médias
En août, l’Institut d’information de masse (IMI) a rapporté que la Russie avait commis 529 crimes et délits contre la presse en Ukraine au cours des 18 premiers mois de la guerre.
Plusieurs membres de l’IFEX ont travaillé pour soutenir à la fois les journalistes ukrainiens en exil et ceux qui couvrent la zone de conflit. RSF a récemment publié une mise à jour sur le travail de ses Centres de la liberté de la presse, créés en collaboration avec l’IMI, pour apporter un soutien physique et psychologique aux journalistes ukrainiens. Jusqu’à présent, ils ont aidé 1 300 journalistes et médias.
IPI a suivi les attaques contre la liberté des médias (en Ukraine et en Russie) liées à la guerre depuis le début de l’invasion. Au 28 août, IPI avait recensé au total 1 069 atteintes, dont 688 commis par les autorités russes.
En Ukraine, les atteintes à la liberté des médias les plus courantes étaient les attaques verbales, en ligne ou physiques, qui représentaient plus de 77 % de tous les incidents enregistrés dans le pays.
En Russie, qui a accumulé des efforts sans précédent pour faire taire la dissidence anti-guerre, près de 53 % de toutes les attaques contre la liberté de la presse étaient des actes de censure et de réglementation ; près de 27 % ont pris la forme d’arrestations ou d’accusations ; et près de 16 % concernaient des restrictions à l’accès à l’information.
Procédures-bâillons contre la participation publique (SLAPP)
La coalition CASE a publié un rapport sur la situation des SLAPP en Europe couvrant les 12 derniers mois. Au cours de cette période, le nombre de procédures-bâillons enregistrées dans la base de données de CASE est passé de 520 à plus de 820.
Le rapport confirme que la plupart des procédures-bâillons font appel aux lois sur la diffamation, l’insulte ou « l’honneur » ; les journalistes, les organes de presse, les militants et les OSC sont les cibles les plus courantes ; les individus sont beaucoup plus susceptibles d’être ciblés que les organisations. Les plaignants des procédures-bâillons ont tendance à être des personnalités influentes du monde des affaires ou de la politique et la plupart des SLAPP sont liées à des publications consacrées à la corruption, aux questions gouvernementales, commerciales et environnementales.
Parmi les procédures-bâillons enregistrées par CASE, la plupart ont été déposées en Pologne, Malte arrive en deuxième position et la France en troisième.
Cependant, si l’on considère les procédures-bâillons déposées par habitant, Malte dépasse largement tous les autres États avec un nombre choquant de 19,3 procédures-bâillons déposées pour 100 000 habitants.
Ce mois-ci, des membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense de la liberté de la presse ont fait part de leurs inquiétudes concernant les propositions faites par le comité mis en place par le gouvernement maltais suite à l’enquête publique sur l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia. Estimant que les propositions « ne parviennent pas à assurer la protection nécessaire du droit à la participation du public », les groupes formulent plusieurs recommandations, notamment la création d’une législation autonome contre les procédures-bâillons.
Ce mois-ci également, la coalition CASE a exprimé son ferme soutien au projet de recommandation visant à lutter contre les SLAPP préparé par le Conseil de l’Europe. Cela contraste avec la déception qui a accueilli la directive édulcorée anti-SLAPP de l’UE qui a été approuvée par les gouvernements de l’UE en juin.