"Couvrir une manifestation n'est pas un crime. Le traitement subi par ces journalistes, pour avoir fait leur travail d'information, est inacceptable."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 5 avril 2024.
Trois journalistes ont été arrêtés en dix jours et plusieurs ont subi des intimidations alors qu’ils couvraient des manifestations organisées à Amman pour dénoncer la guerre à Gaza. Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement jordanien à faire cesser immédiatement la répression des professionnels de l’information qui ne font que leur travail. Le reporter Charbel al-Disi du média en ligne 7iber, toujours détenu, doit être libéré.
Le reporter de 25 ans connu sous son nom de plume Charbel al-Disi, ne faisait que son travail lorsqu’il a été arrêté par les forces de l’ordre le 30 mars dernier. ll couvrait pour le média 7iber une manifestation réclamant la fermeture de l’ambassade d’Israël, organisée devant le bâtiment, pour protester contre la guerre à Gaza. Enfermé depuis ce jour, le journaliste est accusé d’avoir “participé à un rassemblement illégal”.
Deux autres journalistes, selon les informations recueillies par RSF, ont aussi été interpellés pour les mêmes raisons. Les forces de sécurité jordaniennes ont arrêté le 21 mars le photojournaliste indépendant Abdul Jabbar Zeitoun alors qu’il couvrait lui aussi une manifestation contre la guerre à Gaza. Il a été relâché le 28 mars après sept jours de détention. Le 26 mars, le journaliste de l’Arabic Post, Khair Al-Jabri, a lui aussi été arrêté alors qu’il couvrait un rassemblement similaire, et a passé trois jours en détention, car accusé de ne pas posséder de carte de presse.
“Couvrir une manifestation n’est pas un crime. Le traitement subi par ces journalistes, pour avoir fait leur travail d’information, est inacceptable. Ces détentions entravent la liberté de la presse. RSF appelle les autorités jordaniennes à cesser immédiatement ses manœuvres d’intimidation et à libérer le journaliste toujours détenu.”
Jonathan Dagher, Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF
Pressions et intimidations des journalistes
Bien qu’il se soit présenté aux policiers comme journaliste, Abdul Jabbar Zeitoun a été arrêté le 21 mars puis transféré vers différents services du système correctionnel. C’est en reconnaissant finalement son statut de journaliste que le gouverneur administratif de la région, chargé de l’interrogatoire, l’a condamné à sept jours de détention -alors que la loi prévoit que cette décision revient au procureur – et en lui signifiant de manière provocatrice que“la prison est pleine de sujets intéressants à traiter”, selon le témoignage du journaliste.
Des pressions ont également été signalées par une quatrième photojournaliste, qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. Elle raconte à RSF qu’elle a été convoquée par les forces de l’ordre le 1er avril et interrogée pendant des heures sur son travail, ainsi que sur ses “pensées concernant la Palestine et la Jordanie”. Elle a finalement été contrainte de signer une “promesse” de ne plus “participer à des manifestations” susceptibles de “mettre en péril la sécurité du pays”. Son domicile a également été perquisitionné par la police.
Contraints de prendre des mesures de précaution
Ce climat liberticide oblige de plus en plus les journalistes à adopter des mesures de précaution pour éviter d’être pris dans une situation jugée suspecte par les forces de l’ordre. Les journalistes indépendants sont particulièrement affectés. Ils estiment que “rien ne peut les protéger”, comme rapporté par une journaliste indépendante qui a également préféré garder l’anonymat. Lorsqu’elle couvrait les manifestations, elle est “restée au milieu de la foule sans trop s’approcher des forces de sécurité” pour éviter d’être arrêtée. Plusieurs autres journalistes interrogés par RSF, témoignent de ces entraves à la couverture des manifestations.
Tensions croissantes dans la région
Ces arrestations en Jordanie illustrent une nouvelle fois la pression croissante exercée sur les reporters dans l’ensemble de la région depuis le déclenchement de la guerre à Gaza. En Cisjordanie voisine, au moins 33 journalistes ont été arrêtés par les forces d’occupation israéliennes et des bombes israéliennes ont tué trois journalistes qui couvraient la guerre depuis le Sud-Liban. Depuis le 7 octobre, plus d’une centaine de journalistes ont été tués par Israël à Gaza, dont au moins 22 dans l’exercice de leur fonction.