Août 2024 en Europe et en Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé à partir de rapports des membres de l'IFEX et d'informations de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Des journalistes et militants libérés en Russie ; la commémoration des quatre ans de répression en Biélorussie ; l’UE exhortée à prendre des mesures contre Israël ; la loi contre la propagande LGBTQI+ en Bulgarie ; la censure dans les bibliothèques britanniques ; dix ans d’attaques contre les médias en Turquie et l’appel à la redevabilité pour les attaques contre les détracteurs du gouvernement en Géorgie.
Biélorussie : quatre ans de répression
Le 9 août, en Biélorussie, cela faisait quatre ans que l’élection présidentielle truquée de 2020 a ramené Loukachenko au pouvoir, déclenchant des manifestations de masse et une répression continue de l’espace civique depuis.
Les membres de l’IFEX ont profité de cet anniversaire pour mettre en lumière la persécution des voix indépendantes par le régime de Loukachenko.
ARTICLE 19 a souligné le sort des quelques 1 400 prisonniers politiques du pays et le « vide informationnel » créé à l’intérieur du pays par la propagande d’État. L’organisation a appelé la communauté internationale à exercer davantage de pression sur le régime pour qu’il mette un terme à ses violations répétées des droits humains.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a appelé à la libération des 37 journalistes emprisonnés en Biélorussie et à la fin de la persécution des journalistes biélorusses en exil.
PEN International a également publié une déclaration dénonçant le ciblage des Biélorusses en exil. Cette déclaration a souligné la persécution des individus et des organisations du secteur culturel et a appelé la communauté internationale à faire pression sur les autorités biélorusses pour qu’elles libèrent tous les prisonniers politiques.
D’autres membres de l’IFEX ont marqué cet anniversaire en offrant une tribune aux Biélorusses qui ont été les victimes de la répression de Loukachenko.
Le mécanisme de The Media Freedom Rapid Response (MFRR) a publié un podcast de Natalia Radzina, rédactrice en chef de Charter’97, dans lequel elle analyse la situation actuelle du journalisme en Biélorussie et fournit un bref historique de la manière dont Loukachenko a étendu son contrôle sur l’espace de l’information.
Freedom House a publié une interview du défenseur des droits humains et ancien prisonnier politique Leanid Sudalenka, dans laquelle il appelle à une pression unifiée sur Loukachenko de la part des gouvernements et des acteurs non gouvernementaux au nom des personnes emprisonnées.
« Le plaidoyer en faveur des prisonniers politiques est crucial. Mes expériences m’ont appris que nous devons sans relâche rappeler au monde l’existence de ceux qui sont détenus arbitrairement. Je suis heureux d’être libre et je me suis consacré à [la cause de] mes frères et sœurs incarcérés. »
Leanid Sudalenka
Index on Censorship a publié un article de la leader de l’opposition en exil Sviatlana Tsikhanouskaya dans lequel, « en tant qu’épouse d’un prisonnier politique », elle exhorte le public à continuer d’écrire aux personnes injustement emprisonnées par les autorités biélorusses.
« La dernière fois que j’ai vu mon mari Siarhei Tsikhanouski en personne, c’était en mai 2020. La dernière fois que je lui ai parlé, c’était en octobre 2020, lorsque, pour une raison inexplicable, Loukachenko a personnellement laissé Siarhei m’appeler. La dernière fois que nous avons eu des nouvelles de Siarhei, c’était le 9 mars 2023. Mon mari est détenu au secret. Pour mon fils et ma fille, l’envoi de lettres, de cartes postales et de dessins à leur père nous maintenait moralement à flot. »
Sviatlana Tsikhanouskaya
Le 16 août, Loukachenko a signé un décret graciant 30 prisonniers politiques dont plusieurs souffraient de maladies graves. Au 22 août, au moins 19 des personnes graciées avaient été libérées.
Vers la fin du mois, la journaliste emprisonnée Larysa Shchyrakova a été désignée comme l’une des lauréates des Free Media Awards 2024. En 2023, elle a été condamnée à 3,5 ans de prison pour des accusations douteuses de « promotion d’activités extrémistes » et de « discrédit de la Biélorussie ».
Russie : des libérations de prisonniers bienvenues et indésirables
Les prisonniers politiques ont également occupé une place importante dans l’actualité en Russie en août, où 16 personnes ont été libérées par les autorités russes dans le cadre d’un échange de prisonniers avec des pays occidentaux.
Parmi les personnes libérées de prison figuraient : les journalistes Evan Gershkovich et Alsu Kurmasheva ; les politiciens de l’opposition Vladimir Kara-Murza et Ilya Yashin ; Oleg Orlov, le cofondateur de l’organisation russe de défense des droits humains Memorial, interdite, et l’artiste Sasha Skochilenko.
Toutes ces personnes purgeaient de lourdes peines de prison pour avoir protesté contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou pour avoir fait un reportage sur ce sujet. Les membres de l’IFEX avaient fait campagne pour leur libération. Selon l’organisation russe de défense des droits humains OVD-Info, plus de 1000 procédures pénales ont été ouvertes contre des personnes qui ont critiqué la guerre en cours.
Temirlan Eskerkhanov, l’un des hommes condamnés pour le meurtre du leader russe de l’opposition et militant anti-corruption Boris Nemtsov en 2015, a également été libéré en août.
Eskerkhanov a bénéficié d’une libération anticipée en échange de son acceptation de combattre en Ukraine, bénéficiant du même système de recrutement de prisonniers dans l’armée russe qui a permis à Sergei Khadzhikurbanov (condamné en 2014 pour le meurtre de la journaliste Anna Politkavskaya) d’être libéré en 2023. Ironie du sort, Nemtsov organisait une campagne contre l’intervention militaire russe en Ukraine au moment de son assassinat.
En août, le Committee to Protect Journalists (CPJ) a publié un résumé extrêmement utile des moyens par lesquels les autorités russes tentent de faire taire les critiques de la guerre depuis février 2022, notamment en criminalisant les « fausses » nouvelles sur l’armée, en élargissant les désignations d’« agents étrangers » et d’« indésirables », en révoquant les licences des médias et en bloquant les sites Web. Selon le CPJ, depuis le début de l’invasion en 2022, 268 journalistes et médias ont été qualifiés d’« agents de l’étranger », 20 médias ont été qualifiés d’« indésirables » (ce qui revient à les interdire) et 18 500 sites Internet ont été bloqués en raison de leur contenu sur la guerre.
Un récent rapport de Reporters sans frontières (RSF) examine également de près l’impact de la désignation en tant que « indésirables » et « agents de l’étranger » sur les médias indépendants en Russie. Sur les 810 organisations répertoriées comme « agents de l’étranger » par le ministère russe de la Justice, plus d’un tiers sont des médias, ce qui démontre, comme le relève RSF, que le journalisme est une « cible privilégiée » de cette législation.
Human Rights Watch (HRW) a également publié un rapport sur la Russie en août. Cette lettre intitulée Russia’s Legislative Minefield: Tripwires for Civil Society since 2020 (Le champ de mines législatif russe : les pièges pour la société civile depuis 2020) – se concentre sur la série de lois et de politiques répressives adoptées par le gouvernement de Poutine depuis 2020, et sur la manière dont elles ont été utilisées pour étouffer la dissidence et paralyser la société civile.
En bref
L’IFEX s’est joint à un groupe de 60 organisations de défense de la liberté d’expression et de la liberté de la presse pour demander à l’UE de prendre des mesures contre le massacre de journalistes palestiniens par Israël. Dans une lettre ouverte, les signataires soulignent les plus de 100 journalistes tués à Gaza, le nombre record de journalistes palestiniens détenus arbitrairement par Israël, les graves allégations de torture et la répression au sens plus large de la liberté de la presse par Israël. La lettre appelle les dirigeants de l’UE à faire pression sur Israël pour qu’ils prennent plusieurs mesures (voir la lettre) pour protéger la liberté de la presse. Elle appelle également à « la suspension de l’accord d’association Israël/UE au motif que [Israël] a violé les droits humains internationaux et le droit pénal ainsi qu’ à l’adoption de sanctions ciblées contre les responsables de Tsahal et les autres responsables ».
Chaque mois apporte de nouvelles preuves de la dureté avec laquelle les voix pro-palestiniennes ont été réprimées en Europe au cours des 11 derniers mois. Ce mois-ci, en Allemagne, un tribunal de Berlin a condamné la ressortissante germano-iranienne Ava Moayeri pour avoir cautionné un crime car elle a scandé le slogan « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » lors d’un rassemblement quelques jours après l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023. Elle a été condamnée à une amende de 600 euros.
Au Royaume-Uni, après une enquête qui a duré plusieurs mois, le Crown Prosecution Service a finalement abandonné ses poursuites contre la professeure universitaire de relations internationales Amira Abdelhamid. L’année dernière, après une série de publications sur le réseau X concernant l’attaque du 7 octobre contre Israël, son employeur, l’Université de Portsmouth, l’avait suspendue et orientée vers le programme Prevent (qui fait partie de la stratégie antiterroriste du Royaume-Uni). Les agents antiterroristes ont ensuite perquisitionné le domicile d’Amira Abdelhamid, où ils l’ont arrêtée et ont confisqué ses effets personnels, notamment son ordinateur portable, son téléphone, son Kindle et une pancarte de protestation sur laquelle était écrit « Palestine » en arabe.
Les membres du mécanisme de Media Freedom Rapid Response (MFRR) ont appelé les autorités de Géorgie à libérer le journaliste azerbaïdjanais Afgan Sadygov et à ne pas l’extrader vers l’Azerbaïdjan. Sadygov s’est installé en Géorgie il y a sept mois pour échapper aux persécutions des autorités de son propre pays, où il avait été arrêté à plusieurs reprises pour diverses accusations douteuses. Arrêté à Tbilissi en réponse à une demande d’extradition des autorités azerbaïdjanaises, Sadygov a été condamné, le 5 aout, à deux mois de détention provisoire.
HRW a déclaré ce mois-ci que les responsables d’une série d’attaques brutales contre des détracteurs du gouvernement en Géorgie doivent rendre des comptes. De nombreuses cibles de ces attaques s’étaient prononcées contre la loi sur les « agents étrangers » récemment adoptée (et largement contestée), mais personne n’a été arrêté en lien avec ces attaques. « Si cette pratique de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des militants, des médias indépendants et des détracteurs du gouvernement reste impunie, elle risque d’encourager les acteurs malveillants à intensifier la violence dans les mois qui précèdent les prochaines élections en Géorgie », a déclaré HRW.
RSF a présenté ce mois-ci un aperçu de la décennie de mandat du président Erdoğan et de son impact négatif sur la liberté de la presse en Turquie. Selon RSF, au cours des dix dernières années, cinq journalistes ont été tués, 131 ont été emprisonnés, 77 ont été condamnés pour « outrage au président », des centaines ont été poursuivis en justice pour leur travail et 85 % des médias nationaux sont contrôlés par le gouvernement.
IFEX a rejoint d’autres groupes de défense de la liberté d’expression dans la condamnation de la décision d’une cour d’appel turque qui confirmait la peine de 20 mois de prison prononcée en 2023 contre le journaliste Bülent Mumay. Mumay a été condamné pour des publications sur les réseaux sociaux concernant une entreprise de construction prétendument affiliée au gouvernement. Des décisions de justice ont également été rendues pour bloquer l’accès à ses publications. Lors de l’audience d’appel, la cour a ordonné le blocage des reportages sur la condamnation à la prison confirmée de Mumay.
En août, Radev, président de la Bulgarie a promulgué une loi interdisant la « propagande LGBTQI+ » , sur le modèle russe. La nouvelle législation interdit tout type de programme éducatif sur « l’orientation sexuelle non traditionnelle » dans les écoles, qu’elle qualifie de « propagande ». Le Conseil de l’Europe et des groupes de la société civile ont appelé le président Radev à opposer son veto à la loi. Plus de 700 universitaires bulgares ont averti le président que la loi « normaliserait » les attaques politiques contre les personnes LGBTQI+.
Index on Censorship a récemment enquêté sur la censure dans les bibliothèques scolaires au Royaume-Uni et a découvert que 53 % des bibliothécaires interrogés avaient été invités à retirer des livres de leurs étagères en raison de leur contenu. La plupart de ces demandes individuelles émanaient de parents et les livres en question avaient tendance à contenir des éléments LGBTQI+ (par exemple, un personnage ou un thème LGBTQI+). Parmi les bibliothécaires scolaires à qui il a été demandé de retirer des livres, plus de la moitié ont obtempéré. La direction de l’école a demandé à un bibliothécaire de retirer tous les livres contenant un contenu LGBTQI+ après une seule plainte. « Ce qui est encore plus inquiétant », écrit Katie Dancey-Downs d’Index on censorship, « c’est qu’il semble y avoir beaucoup d’autocensure – les bibliothécaires ne fournissant pas de livres par peur d’entrer en conflit avec les parents et le personnel hiérarchique des écoles religieuses ».