Le TMG de l'IFEX appelle le gouvernement tunisien à adopter immédiatement les décrets d'application relatifs à l'établissement de l'HAICA – un organe de réglementation constitué d'experts et de représentants pertinents destiné à protéger les médias contre toutes les formes de corruption et d'abus.
(TMG de l’IFEX) – Le 15 février 2012 – Le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’IFEX (TMG de l’IFEX), une coalition de 21 groupes membres de l’IFEX, demande au gouvernement tunisien de démontrer sa détermination à préserver la liberté d’expression en Tunisie en s’attaquant rapidement à une série de reculs troublants constatés dans le pays, qui compromettent les réformes juridiques positives mises en œuvre depuis la révolution. Le TMG de l’IFEX réitère son appel au nouveau gouvernement tunisien pour qu’il renforce la démocratie naissante en Tunisie et démontre sa véritable détermination à l’égard de la liberté d’expression.
Avec la révolution tunisienne est venue la nécessité de réinventer les médias audiovisuels en Tunisie. En 2011, le gouvernement par intérim a préparé plusieurs décrets, notamment le décret instituant la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) et le code de la presse, afin de remplacer les lois restrictives héritées du régime Ben Ali et de faciliter la transition démocratique du pays. En apportant des garanties juridiques à la radiodiffusion libre pendant la période post- révolutionnaire, l’HAICA promettait de renforcer les fondements de la démocratie émergente de Tunisie. Le jeudi 9 février, toutefois, un responsable de l’information et des communications rattaché au Bureau du Premier ministre, Ridha Kazdaghli, a révélé que le gouvernement entreprendrait une révision des lois déjà promulguées, y compris celle instituant l’HAICA et le code de la presse.
En réponse à cette troublante évolution, le TMG de l’IFEX appelle le gouvernement tunisien à adopter immédiatement les décrets d’application relatifs à l’établissement de l’HAICA – un organe de réglementation constitué d’experts et de représentants pertinents destiné à protéger les médias contre toutes les formes de corruption et d’abus.
Le code de la presse, sur lequel le gouvernement a aussi braqué les projecteurs et dont il a dit qu’il fallait le réviser, même s’il a été publié dans la gazette officielle, Erraid Ettunsi, le 2 novembre 2011, a été ébauché par la sous-commission des médias de la Haute autorité pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, en collaboration avec l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), le Syndicat national des journalistes tunisiens et le Syndicat général de l’information et de la culture.
Sous le régime de l’ancien Président Ben Ali, la presse écrite était soumise à un système de censure totale. En renforçant les droits des journalistes, le nouveau code de la presse représentait, en partie, le début du démantèlement de ces structures répressives.
« En dépit des promesses faites publiquement par le Premier ministre Hamadi Jebali en janvier 2012 de mettre en œuvre ces décrets… il est inquiétant de constater le non-respect jusqu’à ce jour des décrets adoptés sous l’ancien gouvernement de transition et publiés dans le journal officiel », déclare le président de l’INRIC, Kamel Labidi. « Il est troublant de voir le gouvernement enclin à céder aux groupes de pression proches du dictateur en fuite et peu désireux de se conformer aux normes internationales concernant la réglementation de la radiodiffusion », a-t-il ajouté.
« La transition de la Tunisie vers la démocratie en 2011 se distingue. L’établissement de l’HAICA et une série d’autres lois visant à garantir la liberté d’expression, qui comptaient parmi les grandes réussites de cette période, ont été salués dans le monde entier par la société civile internationale et les gouvernements. Malheureusement, le débat sur la légitimité de l’HAICA, suscité récemment par le gouvernement, ainsi que les nominations controversées à la tête de médias publics annoncées par le gouvernement, tout cela constitue des signes inquiétants que le gouvernement tente de revenir sur ses pas », déclare la Directrice exécutive d’ARTICLE 19, Agnès Callamard.
En deuxième lieu, le TMG de l’IFEX demande l’abandon immédiat des chefs d’inculpation contre le directeur de Nessma TV , Nabil Karoui, accusations de blasphème et de troubles de l’ordre public, portées aux termes de l’ancien code de la presse de 1975 et non du nouveau code de 2011. Le report constant du procès de Nessma TV pour avoir diffusé en octobre 2011 le film d’animation Persepolis, maintenant prévu pour le 19 avril, est emblématique de la période critique que traverse la protection de la liberté d’expression dans le pays.
S’il est reconnu coupable d’avoir « violé des valeurs sacrées » et « troublé l’ordre public », Nabil Karoui de Nessma TV est passible de trois ans de prison.
« Plutôt que de continuer à reporter le procès, le TMG de l’IFEX demande aux autorités tunisiennes d’abandonner complètement les chefs d’inculpation. La liberté d’expression est censée donner à tous les individus le droit d’exprimer leurs points de vue, même si ces points de vue diffèrent ou sont réputés offensants pour certains », dit Virginie Jouan, présidente du TMG de l’IFEX.
Le procès Nessma est à l’origine d’une récente vague de violence contre les journalistes. Le journaliste tunisien Zied Krichen et le professeur d’université tunisien Hamadi Redissi ont été attaqués physiquement et verbalement en rapport avec le procès de Nessma TV. Ailleurs dans le pays, deux femmes journalistes, qui couvraient un sit-in de protestation à l’université, ont été attaquées. Le TMG de l’IFEX se dit extrêmement préoccupé par le nombre grandissant des journalistes tunisiens, dont des femmes et des blogueurs, qui sont agressés physiquement depuis la révolution.
Le TMG de l’IFEX se dit également préoccupé par la déclaration récente du Ministre des Droits de la personne, Samir Dilou, au sujet de la liberté d’expression, qui équivaut à une approche arbitraire en matière de protection des droits de la personne. Le Ministre a exprimé récemment son opposition à la publication d’un magazine tunisien LGBT (lesbien gai bisexuel transgenre). Le TMG de l’IFEX souhaite rappeler au Ministre des Droits de la personne que la libre expression – telle qu’elle est garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme – est un droit pour tous les individus, sans égard à l’orientation sexuelle, à la race ou à la religion.
La situation de la liberté d’expression en ligne est également à la croisée des chemins. La Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire en Tunisie, pourrait le 22 février ordonner à l’Agence Tunisienne de l’Internet (ATI) de bloquer les sites qui violeraient la loi sur la protection des enfants. L’ATI a refusé de se conformer à la décision d’une instance inférieure, faisant valoir que cela dégraderait la vitesse de l’Internet. Le TMG s’inquiète que la réimposition du filtrage de l’Internet ne serve à bloquer d’autres informations. « S’il s’agit de protéger la jeunesse et les enfants de ce type de contenu, les contrôles parentaux et non la censure de l’Internet constituent le meilleur moyen de le faire », ajoute Virginie Jouan.
D’après Riadh Guerfali, cofondateur de Nawaat.org et professeur de droit constitutionnel et du droit de l’Internet, « le droit à la liberté d’expression est reconnu comme droit fondamental aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la Tunisie est signataire. En vertu du droit international, toute restriction à ce droit doit avoir une assise juridique, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Dans leur Déclaration conjointe de 2011 sur la Liberté d’expression et de l’Internet, les quatre mandatés spéciaux sur la liberté d’expression ont indiqué très clairement que les restrictions à l’Internet fondées sur le contenu ne sont légitimes que si elles sont ordonnées par une autorité judiciaire en application des normes internationales. Un interdit général d’accès à la pornographie, même s’il est ordonné par un tribunal, serait disproportionné parce qu’un filtrage obligatoire entraînerait inévitablement le blocage d’expression légitime. »
Le TMG de l’IFEX réitère son appel au nouveau gouvernement tunisien pour qu’il renforce la démocratie naissante en Tunisie et démontre fermement sa volonté de protéger la liberté d’expression.