Belkacem Khencha, coordinateur national de la Ligue algérienne de défense du droit au travail, y critiquait la décision du tribunal de première instance de la ville de Laghouat de condamner son collègue à 18 mois de prison pour avoir mené des protestations pacifiques. Le même tribunal a condamné Khencha pour ses propos.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 7 juin 2016.
Un tribunal algérien a condamné le 25 mai un militant syndical à six mois de prison, pour avoir publié une vidéo sur Facebook dans laquelle il critiquait la peine de prison infligée à un de ses collègues.
Belkacem Khencha, coordinateur national de la Ligue algérienne de défense du droit au travail, y critiquait la décision du tribunal de première instance de la ville de Laghouat de condamner son collègue à 18 mois de prison pour avoir mené des protestations pacifiques. Le même tribunal a condamné Khencha pour ses propos.
« Les tribunaux algériens ne se contentent plus de condamner les participants à des manifestations pacifiques sur les conditions de travail », a déclaré Sarah Leah Whitson, Directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord. « Ils s’en prennent désormais à ceux qui protestent contre ces condamnations injustes. »
Le 28 janvier 2015, les autorités ont arrêté Khencha et sept autres membres du Comité national de défense des droits des chômeurs (CNDDC), qui s’étaient rassemblés devant le tribunal de Laghouat pour protester contre la tenue du procès de Mohamed Rag, un autre militant de cette même organisation arrêté huit jours plus tôt. Le 11 février, les huit militants ont été condamnés à un an de prison avec six mois de sursis, pour « rassemblement non armé » et « tentatives de pression sur les juges dans le cadre d’affaires en cours », en vertu des articles 97 et 147 du code pénal. Khencha a passé six mois en prison. Condamné à une peine de 18 mois, Rag se trouve toujours derrière les barreaux.
Après sa libération, Khencha s’est filmé en train de parler, avant de poster la vidéo sur Facebook le 20 août. Dans ce document, il affirme être assis devant la maison de Rag, ajoutant que « nous ne devons pas oublier [son] cas alors qu’il est injustement condamné et emprisonné ».
En avril 2016, la police s’est rendue chez Khencha pour lui demander de se présenter au poste de police le jour même, a confié celui-ci à Human Rights Watch. Sur place, la police lui a montré la vidéo, lui demandant si c’était lui qui l’avait postée et pour quelle raison. Il a répondu qu’il avait enregistré cette vidéo pour défendre son ami « innocent » et critiquer cette condamnation excessive et injuste.
Le tribunal a condamné Khencha en vertu de l’article 147 du code pénal, qui prévoit jusqu’à trois ans de prison pour tentative de « faire pression sur les décisions des magistrats » dans le cadre d’affaires en cours et « discrédit sur les décisions juridictionnelles».
Khencha, qui est en liberté provisoire, a déclaré à Human Rights Watch qu’il ferait appel.
Les autorités algériennes s’appuient sur un arsenal de lois répressives pour étouffer la dissidence pacifique. L’article 146 du code pénal punit les « insultes » à l’encontre des institutions de l’Etat jusqu’à cinq ans de prison. La peine prévue pour vente ou distribution au public de tracts, bulletins ou dépliants « susceptibles de nuire à l’intérêt national » est de trois ans, et celle pour diffamation ou insulte envers le président algérien peut aller jusqu’à un an.
Hassan Bouras, journaliste, et Zouleikha Belarbi, une militante des droits humains, ont tous deux été reconnus coupables et condamnés, le premier à la prison, la seconde à des amendes, récemment pour avoir insulté les institutions d’État.
En outre, l’article 97 du code pénal interdit les manifestations non autorisées dans les lieux publics, y compris à caractère pacifique, dès qu’elles sont considérées comme « susceptibles de troubler l’ordre public ». Les articles 98 et 100 prévoient jusqu’à un an de prison pour organisation ou participation à de tels rassemblements.
Les autorités ont poursuivi avec succès à Laghouat les huit militants syndicaux en vertu de ces articles, ainsi que sept autres qui ont été condamnés à un an de prison en octobre 2015, à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie, pour avoir manifesté contre le chômage.
Les gouvernements peuvent imposer certaines restrictions à la libre expression pour prémunir les tribunaux d’une influence indue, préserver leur intégrité et, dans certains cas, la confidentialité de la procédure, ainsi que maintenir la dignité des institutions judiciaires. Toutefois, ces restrictions doivent être rigoureusement définies par la loi pour veiller à ne pas faire de la moindre critique de l’appareil judiciaire ou de ses décisions une infraction ouvrant la voie à des poursuites.
La Cour européenne des droits de l’homme a statué le 23 avril 2015, dans l’affaire Morice vs. France, que les restrictions imposées à la Convention européenne des droits de l’homme s’agissant des critiques adressées aux tribunaux ne peuvent être invoquées pour limiter de façon générale les « remarques portant sur le fonctionnement du système judiciaire propos, qui concernaient le fonctionnement de la justice, y compris dans le cadre d’une procédure en suspens ». Cette juridiction a conclu qu’il doit être possible « de sensibiliser l’opinion publique aux lacunes potentielles du système judiciaire ». Protéger le système judiciaire d’attaques infondées « , ne saurait avoir pour effet d’interdire aux individus de s’exprimer, par des jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante, sur des sujets d’intérêt général liés au fonctionnement de la justice » ou d’interdire toute critique de ce dernier ».
Dans une résolution sur l’Algérie qu’il a adoptée le 28 avril 2015, le Parlement européen a pris note du harcèlement croissant exercé par le gouvernement sur les militants des droits humains et exprimé sa préoccupation quant à l’« abus de pouvoir judiciaire comme outil de répression de la dissidence dans le pays ». Il a exhorté les autorités algériennes à faire strictement respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire et à garantir le droit à un procès équitable, conformément à la Constitution algérienne et aux normes juridiques internationales.