Les autorités algériennes devraient relâcher ou juger dans un délai raisonnable, et lors d’un procès équitable et public, l’activiste pro-Amazigh Kameleddine Fekhar ainsi que ses 24 co-accusés, a déclaré Human Rights Watch.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 25 août 2015.
Les autorités algériennes devraient relâcher ou juger dans un délai raisonnable, et lors d’un procès équitable et public, l’activiste pro-Amazigh Kameleddine Fekhar ainsi que ses 24 co-accusés, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Kameleddine Fekhar appelle depuis 2013 à l’autonomie du Mzab, une région du nord du Sahara, et a condamné le gouvernement pour ce qu’il qualifie de complicité de crimes contre l’humanité commis par des Arabes sunnites contre les Amazighs, ou Berbères, une minorité ethnique de la région.
Tous sont en détention provisoire depuis le 9 juillet 2015. Ils font l’objet des mêmes chefs d’inculpation, notamment la participation à une entreprise terroriste et l’incitation à la haine, pour leur rôle présumé dans des affrontements violents entre communautés amazigh et arabe, le 7 juillet dans le Mzab. Les accusés, tous originaires de la région, risquent la peine capitale.
« Si le gouvernement dispose de preuves indiquant que Kameleddine Fekhar a joué un véritable rôle dans ces violences tragiques, et qu’il n’est pas détenu uniquement en raison de ses fortes convictions, ces preuves devraient être présentées lors d’une audience publique », a affirmé Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Faute de telles preuves, le gouvernement devrait relâcher Kameleddine Fekhar. »
Kameleddine Fekhar a présidé de 2004 à 2014 la section locale de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme de la ville de Ghardaïa. Fin 2013, il a fondé le Mouvement pour l’Autonomie du Mzab. La plupart, voire la totalité de ses co-accusés sont considérés comme des partisans de cette cause.
Noureddine Ahmine, avocat de la défense qui représente les accusés, a indiqué à Human Rights Watch que le juge d’instruction n’avait pas encore convoqué de témoins ni interrogé les accusés. Selon les informations dont dispose Human Rights Watch, la police et le ministère public n’ont encore présenté à l’équipe de défense aucune preuve d’actes criminels dans cette affaire. Les autorités devraient rapidement communiquer aux accusés et à leurs avocats toute preuve les incriminants.
La police a arrêté les 25 personnes au domicile de Kameleddine Fekhar à Ghardaïa. Après six jours de garde à vue, un procureur public du tribunal de première instance de Ghardaïa les a inculpés de 18 chefs d’accusation. Un juge d’instruction a émis une ordonnance pour leur placement en détention provisoire. Le groupe a été transféré à la prison de Ménéa, à 270 kilomètres au sud de Ghardaïa. L’enquête préliminaire est en cours.
Les violences intercommunautaires qui ont éclaté en juillet – le dernier épisode en date dans une région marquée par les tensions ethniques – a fait 25 morts et plus de 70 blessés au sein des deux communautés, la plupart par balles. Les deux communautés s’affrontent de manière sporadique sur des questions de propriété, de terres, ainsi que d’autres problématiques. Dans une interview télévisée, Kameleddine Fekhar a accusé les forces de sécurité algériennes d’avoir assisté sans intervenir aux agressions contre les Mozabites, nom sous lequel les Amazighs de la région sont connus.
Lors d’une autre série d’affrontements ethniques, en novembre 2013, des Mozabites de la ville d’El Guerrara avaient accusé les forces de sécurité d’avoir torturé au moins 10 personnes qui avaient été arrêtées. Human Rights Watch a adressé une lettre aux autorités algériennes en novembre 2014, pour s’enquérir des avancées de l’enquête sur la plainte déposée par 20 personnes auprès du procureur du tribunal de première instance de Ghardaïa. Human Rights Watch n’a reçu aucune réponse.
Le 2 juillet 2015, Kamaleddine Fekhar a adressé une lettre au Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki Moon, demandant l’intervention des Nations Unies pour protéger la population de ce qu’il qualifiait d’ « apartheid et de nettoyage ethnique » infligé à la communauté mozabite par le gouvernement algérien. Le 11 juillet, Ahmed Ouyahya, chef de cabinet du Président Abdelaziz Bouteflika, a accusé au cours d’une réunion publique « ceux qui ont sollicité une intervention étrangère auprès des Nations Unies » d’être responsables des violences à Ghardaïa.
Nourredine Ahmine, l’avocat précité, a dit à Human Rights Watch qu’un rapport de police figurant dans le dossier affirmait que Kamaleddine Fekhar et les 24 autres personnes avaient été arrêtées le 9 juillet en raison d’informations qu’ils étaient en train de se rassembler ce jour-là, et qu’ils seraient susceptibles de provoquer de nouvelles violences dans la région.
Parmi les graves chefs d’inculpation dont les accusés font l’objet figurent des actes subversifs de terrorisme visant la sécurité de l’État, la sûreté nationale, et l’intégrité territoriale ; la formation d’une organisation criminelle en vue de commettre des crimes ; le meurtre avec préméditation ; l’atteinte à l’intégrité du territoire national ; la distribution de matériel préjudiciable à l’intérêt national ; la participation à un rassemblement armé ; la participation à un rassemblement non-armé ; et la diffamation des institutions de l’État, respectivement au titre des 87bis, 176, 255, 79, 96, 97, et 146 du code pénal.
Kamaleddine Fekhar a entamé une grève de la faim le 16 juillet. Lors de son audition devant la chambre d’accusation le 2 août, il était trop faible pour parler, selon Nourredine Ahmine. Le tribunal a rejeté une motion de la défense visant à accorder à Fekhar et à ses 24 co-accusés la liberté provisoire jusqu’au procès.
L’Algérie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L’article 9 stipule que : « Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. » L’article précise également que « la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle », même si la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
Les Directives et Principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, adoptées par la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en 1999, affirment également qu’« à moins que des éléments de preuve suffisants rendent nécessaire la prise de mesures pour empêcher qu’une personne arrêtée et inculpée pour une infraction pénale ne s’évade, n’influence les témoins ou ne constitue une menace manifeste et grave pour d’autres, les États veillent à ce que ladite personne ne soit pas placée en détention préventive ».
Ces mêmes principes imposent aux autorités le devoir d’informer la personne des détails des chefs d’accusation retenus ou des dispositions légales applicables, et des faits sur lesquels repose l’accusation, de façon suffisante pour indiquer les motifs de fonds de la plainte contre l’accusé. Ils ajoutent également que l’accusé doit être informé de façon à lui permettre de préparer sa défense et de prendre immédiatement des initiatives pour obtenir sa libération.