« Ces interdictions de voyager font partie d’une campagne plus large de harcèlement continu de ceux qui critiquent les autorités, visant à faire taire la dissidence et à éradiquer tout espace civique » - HRW.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 3 février 2025.
Les autorités ciblent des militants, des journalistes, des universitaires
Les autorités algériennes ont de plus en plus souvent recours à des interdictions de voyager arbitraires en guise de représailles contre des personnes perçues comme critiques, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et MENA Rights Group. Les autorités devraient lever ces restrictions arbitraires et cesser de les instrumentaliser à des fins de répression de la dissidence.
Les autorités algériennes ont eu recours à des interdictions de voyager pour cibler arbitrairement des militants de la société civile, des dirigeants de partis d’opposition, des journalistes, des syndicalistes et d’autres personnes jugées critiques envers le gouvernement. Les interdictions arbitraires de voyager peuvent être imposées sans notification officielle, elles sont souvent illimitées dans le temps et il est quasiment impossible de les contester. En empêchant les personnes de quitter le pays, non seulement elles violent leur droit à la liberté de déplacement, mais elles portent atteinte aux droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression. Dans certains cas, ces interdictions de voyager ont séparé des familles, ou bien affecté le travail et la santé mentale des personnes ciblées.
« Ces interdictions de voyager font partie d’une campagne plus large de harcèlement continu de ceux qui critiquent les autorités, visant à faire taire la dissidence et à éradiquer tout espace civique », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Même celles et ceux qui, injustement condamnés ont purgé leur peine, ou bien ont été acquittés, continuent de subir des mesures punitives qui les privent de leur droit à la liberté de circulation. »
Human Rights Watch et MENA Rights Group ont documenté 23 cas de ressortissants algériens soumis à une interdiction de voyager, une pratique qui s’est intensifiée depuis 2022.
Dans la plupart des cas, les interdictions ont été soit imposées arbitrairement par les forces de sécurité, sans procédure régulière, selon des avocats, soit ordonnées par un procureur de la République. Néanmoins, même celles qui ont été imposées par un procureur bafouent souvent les exigences de la loi algérienne et vont à l’encontre des normes internationales portant sur la liberté de circulation.
L’article 49 de la Constitution algérienne garantit à tout citoyen le droit de libre circulation ainsi que « le droit d’entrée et de sortie du territoire national ». Toute restriction à ces droits « ne peut être ordonnée que pour une durée déterminée par une décision motivée de l’autorité judiciaire ». L’article 36 bis 1 de l’Ordonnance n°15-02 de 2015 portant sur le Code de procédure pénale énonce que « le procureur de la République peut, pour les nécessités de l’enquête, sur rapport motivé de l’officier de police judiciaire, ordonner l’interdiction de sortie du territoire national de toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer sa probable implication dans un crime ou un délit ».
Cette même ordonnance établit que les interdictions de sortie du territoire sont limitées à une durée de trois mois renouvelable une seule fois, excepté dans le cadre d’infractions de terrorisme ou de corruption, pour lesquelles l’interdiction peut être renouvelée jusqu’à clôture de l’enquête. C’est également le procureur de la République qui est chargé de lever les interdictions de sortie du territoire. Pourtant, Human Rights Watch et MENA Rights Group ont constaté que dans de nombreux cas, les autorités infligeaient des interdictions de voyager arbitraires, sans respecter la durée fixée par la loi.
Très souvent les autorités ne fournissent ni notification officielle, ni fondement légal aux restrictions de déplacement, ce qui les rend difficiles voire impossibles à contester devant les tribunaux. Certaines personnes n’apprennent l’existence d’une interdiction de voyager que lorsqu’elles tentent de partir à l’étranger. Sur les 23 cas documentés, pas une seule personne n’avait été informée du fondement légal de l’interdiction. Même lorsqu’une notification officielle était délivrée, la limitation légale de durée était rarement respectée : certaines personnes ont même été empêchées de voyager pendant des années sans aucune justification. D’autres ont été interdites de voyager alors même qu’on leur avait dit qu’elles n’étaient pas sous le coup d’une interdiction ou qu’elles avaient reçu une décision judiciaire annulant l’interdiction.
Human Rights Watch s’est notamment entretenue avec cinq personnes critiques envers le gouvernement qui faisaient l’objet d’interdictions de voyager officielles depuis plus de deux ans. Toutes ont été convoquées par la police de la wilaya de Béjaïa, entre fin 2022 et début 2023, et informées d’une interdiction de voyager ordonnée par le procureur de Béjaïa. La police a confisqué les passeports de quatre de ces personnes. La cinquième n’avait pas réussi à faire renouveler son passeport à cause de son militantisme pacifique. Au bout de trois mois, quatre de ces militants ont été convoqués de nouveau et avisés que leur interdiction de voyager avait été prolongée, mais depuis, aucune n’a reçu de nouvelles concernant un renouvellement ou une levée de l’interdiction, à l’heure où nous écrivons.
Les autorités algériennes devraient cesser d’avoir recours à des interdictions de voyager arbitraires à l’encontre de personnes perçues comme critiques et de militants. Elles devraient lever toutes les interdictions en vigueur infligées à des personnes exerçant leurs droits fondamentaux à la liberté d’expression, d’association ou de réunion pacifique. Elles devraient cesser d’imposer des interdictions de voyager non judiciaires en dehors de tout processus officiel, aviser dûment les personnes interdites de voyager, veiller à ce qu’aucune interdiction ne se prolonge au-delà de la période prévue par la loi, exiger des décideurs de présenter une justification suffisante et un fondement juridique pour imposer ou renouveler une interdiction de voyager, et enfin prévoir une voie de recours. Les interdictions de voyager ne devraient être prononcées que par ordonnance judiciaire et non pas laissées à la discrétion des procureurs et des forces de sécurité. Les autorités législatives devraient amender l’article 36 bis 1 de l’ordonnance 15-02 pour se conformer aux normes internationales sur la liberté de circulation.
Human Rights Watch et MENA Rights Group ont écrit au ministère de la Justice, le 19 décembre 2024, afin de demander des informations sur l’usage qui est fait des interdictions de voyager, mais aucune réponse n’a été reçue à l’heure où nous écrivons.
Conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux textes ratifiés par l’Algérie, toute personne a droit à la liberté de circulation, y compris le droit de quitter n’importe quel pays, même le sien. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dont l’interprétation du Pacte fait autorité, a jugé que les États ne pouvaient restreindre le droit à la liberté de déplacement que pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et que ces restrictions devaient être « prévues par la loi, […] nécessaires dans une société démocratique pour protéger les objectifs énoncés et […] compatibles avec les autres droits reconnus par le […] Pacte ». Le Comité a également exigé que les autorités fournissent les « raisons justifiant l’application de mesures restrictives » dans tous les cas impliquant des restrictions de la liberté de circulation.
« L’emploi récurrent et arbitraire d’interdictions de voyager à l’encontre de personnes critiques est alarmant en Algérie, sachant que les cas que nous avons répertoriés ne représentent que la partie émergée de l’iceberg », a conclu Alexis Thiry, conseiller juridique à MENA Rights Group. « Cette pratique viole les obligations internationales de l’Algérie et a des effets dévastateurs sur les droits des individus. »
Veuillez vous référer à la déclaration de HRW pour plus d’informations sur ces sujets :
Interdictions de voyager arbitraires informelles
Interdictions de voyager formelles, mais contraires aux normes internationales
Interdictions de voyager non levées après la fin du contrôle judiciaire