Depuis fin janvier 2015, les tribunaux algériens ont condamné neuf militants des droits des travailleurs à des peines de prison pour avoir participé à des manifestations pacifiques visant à soutenir des travailleurs au chômage.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 23 février 2015.
Depuis fin janvier 2015, les tribunaux algériens ont condamné neuf militants des droits des travailleurs à des peines de prison pour avoir participé à des manifestations pacifiques visant à soutenir des travailleurs au chômage. L’un d’eux a été condamné à 18 mois de prison pour participation à un « attroupement non autorisé ». Les autres se sont vu infliger des peines d’un an de prison, dont six mois avec sursis, pour le même motif.
Les autorités algériennes devraient respecter le droit de manifester pacifiquement et cesser de poursuivre en justice des militants des droits des travailleurs sous l’accusation de participation à des « attroupements non autorisés ». Le gouvernement devrait également amender la loi 91-19, qui restreint indûment le droit de réunion pacifique, ainsi que les dispositions du code pénal qui criminalisent les rassemblements pacifiques non autorisés.
« Les travailleurs sans emploi, qui souffrent déjà de la situation économique, sont en plus exposés à un risque d’arrestation et d’emprisonnement s’ils expriment publiquement et de manière pacifique leur mécontentement », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités algériennes se trompent lourdement si elles pensent qu’emprisonner des manifestants pacifiques est un bon moyen de faire face à leurs doléances. »
Le 11 février, le Tribunal de première instance de Laghouat a condamné huit membres du Comité National pour la Défense des Droits des Chômeurs (CNDDC) à des peines d’un an de prison, dont six mois avec sursis. Leur avocat, Ahmine Noureddine, a déclaré à Human Rights Watch que le tribunal avait déclaré les travailleurs coupables d’« attroupement non autorisé » en vertu de l’article 97 du code pénal, et d’avoir « fait pression sur les décisions des magistrats » en vertu de l’article 147 du même code.
Les autorités avaient arrêté ces huit personnes – Khencha Belkacem, Brahimi Belelmi, Mazouzi Benallal, Azzouzi Boubakeur, Korini Belkacem, Bekouider Faouzi, Bensarkha Tahar et Djaballah Abdelkader – le 28 janvier alors qu’elles s’étaient rassemblées devant le tribunal pour protester contre le procès de Mohamed Rag, un autre militant du CNDDC arrêté huit jours auparavant, qui a été condamné à 18 mois de prison.
Le rapport de police concernant les arrestations du 28 janvier, que Human Rights Watch a pu consulter, déclare que les huit militants étaient en train de se rassembler devant le tribunal, brandissant des affiches hostiles au procès de Mohamed Rag, lorsque le chef de la brigade criminelle de la police de Laghouat a ordonné leur arrestation, afin d’éviter « de possibles atteintes à l’ordre public. » Après leurs condamnations, les neuf militants du CNDDC ont interjeté appel et entamé une grève de la faim.
Les autorités algériennes avaient précédemment poursuivi Mohamed Rag en justice à deux reprises au moins: en 2013, quand un tribunal l’avait acquitté en mars d’accusations de participation et incitation à un attroupement non autorisé et de destruction de biens, à la suite d’une manifestation tenue devant les bureaux du ministère du Travail à Laghouat; et en 2014, lorsque le Tribunal de première instance de Laghouat l’avait acquitté d’autres accusations relatives à une manifestation de protestation tenue le 8 juin. Dans ce second cas, le tribunal avait déclaré 26 autres prévenus coupables de chefs d’accusation qui comprenaient la participation à un « attroupement armé » et la commission de violences à l’encontre de la police, sur la base de témoignages de policiers dans lesquels les accusés n’étaient pas incriminés individuellement. Les 26 personnes ont été condamnées à des peines de prison allant de six mois à deux ans.
En avril 2014, la cour d’appel de Ouargla a infligé à un autre membre du groupe, Houari Djelouli, une peine d’un an de prison avec sursis assortie d’une amende de 50 000 dinars (environ 530 dollars). Il avait été déclaré coupable, en vertu de l’article 96 du code pénal, d’avoir distribué des tracts du CNDDC appelant à l’organisation d’une manifestation (sit-in) pacifique pour exiger le droit au travail, que les autorités considéraient comme « susceptible de porter atteinte à l’intérêt national ».
Noureddine Abdelaziz, le président du groupe, a déclaré à Human Rights Watch que la police de Laghouat avait arrêté un autre militant du CNDDC le 11 février 2015 à 06h00, à son arrivée à la gare de la ville en provenance d’Alger, à 400 kilomètres au nord, afin d’assister au procès des huit militants. Noureddine Abdelaziz a indiqué à Human Rights Watch que la police avait remis en liberté ce militant, Tarek el Naoui, six heures plus tard, sans retenir de chef d’accusation contre lui.
La loi 91-19 restreint indûment le droit de réunion pacifique en considérant comme illégal le fait d’organiser ou de participer à tout rassemblement public qui n’a pas reçu l’approbation du ministère de l’Intérieur. Le ministère approuve rarement les rassemblements qui ont pour but de critiquer le gouvernement. L’article 97 du code pénal criminalise l’organisation ou la participation à des attroupements non autorisés, même s’ils sont pacifiques, et prévoit une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison pour avoir manifesté dans un lieu public.
Ces articles constituent une violation par l’Algérie de ses obligations en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, aux termes desquels l’Algérie est tenue de protéger la liberté de réunion. L’article 21 du PIDCP stipule que:
Le droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
« Le gouvernement algérien devrait promouvoir les droits des travailleurs, au lieu de se servir de lois archaïques pour réprimer les personnes qui osent se livrer à des manifestations pacifiques », a conclu Eric Goldstein.