Cette mesure est l’aboutissement d’une longue persécution et d’un harcèlement judiciaire sans fin dont l’objectif évident est de faire taire un des derniers médias algériens encore ouvert au libre débat et à la critique.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 29 décembre 2022.
Le directeur des médias Radio M et Maghreb Émergent mis en détention après quatre jours de garde à vue – et déjà condamné dans une autre affaire à six mois de prison – paie sans doute le prix de ses articles critiques envers les autorités et de l’indépendance des médias qu’il dirige.
Le journaliste Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et du site Maghreb Emergent, après plus de 5 jours de garde à vue a été placé sous mandat dépôt, ce jeudi 29 décembre 2022, par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed à Alger.
Selon les avocats du journaliste, les charges retenues contre lui ont un lien avec le financement d’associations et la sûreté de l’État comme énoncé dans les articles 95 et 95 bis du code pénal, ainsi que la loi qui régit la collecte des fonds.
L’article 95 bis du Code pénal punit “d’un emprisonnement de cinq à sept ans et d’une amende de 500.000 DA à 700.000 DA, recevra des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État”.
Pour le moment, ni les avocats, ni les proches du journaliste ne comprennent le lien fait entre ces chefs d’inculpation et le travail journalistique effectué par le concerné. Ces derniers vont faire appel de cette décision d’incarcération qui devrait être examinée dans deux semaines par la chambre d’accusation de la cour d’Alger.
Cette mesure, redoutée par sa famille et par l’ensemble des journalistes de Radio M et du site Maghreb Émergent, dont les locaux ont été mis sous scellés le 25 décembre 2022, est l’aboutissement d’une longue persécution et d’un harcèlement judiciaire sans fin dont l’objectif évident est de faire taire un des derniers médias algériens encore ouvert au libre débat et à la critique.
“En décidant de placer Ihsane El Kadi en détention, les autorités ont clairement choisi d’aller jusqu’au bout de leur logique autoritaire pour museler les médias et adresser un message lourd à ceux qui continuent de défendre la liberté d’informer, a déclaré Khaled Drareni, représentant de RSF en Afrique du Nord, en réaction à l’annonce de l’incarcération d’El Kadi. C’est une situation désolante et dangereuse qui ne peut qu’affecter encore plus l’image de l’Algérie.”
L’arrestation de Ihsane El Kadi le 24 décembre dernier au milieu de la nuit par les services de sécurité a provoqué une onde de choc au sein de la profession et suscite un élan de solidarité en Algérie et à l’étranger.
Le 25 décembre, au lendemain de cette arrestation, des éléments de la sécurité ont débarqué au siège de ses médias au centre-ville d’Alger pour une perquisition.
La totalité des équipements informatiques a été saisie et placée dans les trois véhicules dépêchés sur place pour ces besoins.
Convoqué deux fois en moins d’une semaine fin novembre
Déjà condamné en juin dernier à six mois de prison pour un article de presse, peine confirmée en appel le 25 décembre dernier, le journaliste et directeur des médias indépendants Radio M et Maghreb Émergent a été convoqué deux fois en moins d’une semaine fin novembre, d’abord par les gendarmes, puis par les services de renseignements. Reporters sans frontières (RSF) avait alors appelé les autorités à cesser cet acharnement, qui ne vise qu’à museler sa liberté de ton.
Ihsane El Kadi fait l’objet d’intimidations croissantes du pouvoir depuis des années. Il avait déjà été arrêté le 10 juin 2021, à la veille des élections législatives, pour, notamment, « diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l’unité nationale », « perturbations des élections » et « réouverture du dossier de la tragédie nationale » des années 1990, en référence à la décennie de guerre intérieure. Sa détention avait duré une trentaine d’heures. Khaled Drareni et l’opposant Karim Tabbou avaient été également arrêtés.
Les pressions contre les journalistes se sont fortement aggravées depuis le début du Hirak en Algérie, en février 2019.