Les autorités algériennes ont recours au déploiement d’un nombre important de forces de police et à l’arrestation de protestataires pour empêcher les manifestations dans la capitale avant l'élection présidentielle du 17 avril 2014.
Les autorités algériennes ont recours au déploiement d’un nombre important de forces de police et à l’arrestation de protestataires pour empêcher les manifestations dans la capitale avant l’élection présidentielle du 17 avril 2014, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces de sécurité ont récemment pris pour cible un mouvement opposé à un quatrième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika.
Les autorités algériennes devraient abroger le décret de 2001 interdisant toute manifestation à Alger, la capitale. Les autorités devraient mettre en place les conditions pour un débat sans entraves et des élections libres, y compris le respect du droit de réunion pacifique, a ajouté Human Rights Watch.
« L’interdiction générale et illimitée de toute manifestation dans la capitale est en vigueur depuis pratiquement le début de la présidence d’Abdelaziz Bouteflika », a précisé Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Est-ce étonnant que les dernières victimes de la répression des manifestations soient les opposants pacifiques à sa quatrième élection à un nouveau mandat de cinq ans ? »
À trois reprises au cours de la première semaine du mois de mars, les policiers de la capitale ont dispersé par la force les sympathisants du mouvement Barakat (« Ça suffit ») alors qu’ils exprimaient leur opposition à un quatrième mandat de Bouteflika, le président depuis 1999. Les1er, 4 et 6 mars, les forces de sécurité ont tenté de bloquer l’accès au site de la manifestation. Les forces de sécurité se sont affrontées aux manifestants qui étaient parvenus à se rendre sur place et commençaient à brandir des banderoles et chanter des slogans.
Le 6 mars, plusieurs opposants du mouvement Barakat ont réussi à se rendre sur la place Audin en centre-ville, devant la Faculté Centrale d’Alger, où ils ont été confrontés à une forte présence policière. Tandis que certains réussissaient à déployer des banderoles et entonnaient des chants hostiles à la candidature de Bouteflika, la police emmenait de force des douzaines d’entre eux dans des fourgons de police jusqu’à différents commissariats de la capitale, les maintenant en garde à vue jusqu’à quatre heures pour certains avant de les relâcher, ont indiqué cinq manifestants à Human Rights Watch.
Depuis l’interdiction des manifestations à Alger, les autorités n’ont eu de cesse d’empêcher ou de réprimer les rassemblements et les marches dont l’objectif était selon elles sujet à controverse.
Hacène Ferhati, un militant de l’association SOS Disparu(e)s, une organisation de défense des familles de victimes de disparitions forcées pendant le conflit civil des années 90, a décrit les événements du 6 mars :
Le sit-in devait débuter à 11h. Lorsque je suis arrivé, je me suis rendu compte que la place Audin était remplie de policiers. J’ai sorti la photo de mon frère (disparu en 1997) et j’ai commencé à la brandir en chantant « Barakat, Barakat [Ça suffit, ça suffit] ! ». Au bout de deux minutes, un policier en uniforme m’a arraché la photo des mains et l’a déchirée. Puis trois autres policiers sont venus m’escorter jusqu’à un fourgon de police. Plusieurs manifestants se trouvaient déjà à l’intérieur du fourgon et la police n’arrêtait pas d’en ramener d’autres. Au final, on devait être une douzaine.
Ils nous ont amenés au commissariat de la rue Cavaignac, à Alger, où ils nous ont gardés 30 minutes. Ensuite, ils nous ont envoyés vers d’autres commissariats qui étaient tous complets, pour finalement atterrir au commissariat de Belfort à Harrache [dans la banlieue est d’Alger]. Ils nous ont relâchés au bout de trois heures.
Mehdi Bsikri, journaliste au quotidien Al Watan, a relaté que lui et plusieurs autres personnes à l’origine du mouvement Barakat ont choisi de donner ce nom à leur mouvement le 1er mars après la dispersion brutale par la police de leurs deux premières tentatives de manifestion publique en février.
« Pour la manifestation du 6 mars, nous avions annoncé l’événement sur Facebook, Twitter et dans certains journaux », a indiqué Mehdi Bsikri. « Lorsque je suis arrivé sur la place Audin, j’ai brandi ma banderole avec des slogans hostiles à un quatrième mandat de Bouteflika et j’ai commencé à crier « Tahia al Jazaer ! » (Longue vie à l’Algérie !). Immédiatement, environ six policiers en uniforme m’ont entouré pour m’emmener de force dans leur fourgon où plusieurs autres manifestants avaient déjà été arrêtés, dont Hacène Ferhati. »
Mustapha Benfodil, l’un des membres fondateurs et porte-parole du mouvement Barakat, a fait le récit suivant à Human Rights Watch :
Alors que je descendais l’avenue Dédouche Mourad, j’ai remarqué une forte présence policière tout au long de mon trajet. Je suis arrivé à la place Audin vers 11h et j’ai marché en direction de la Faculté Centrale d’Alger, c’est là que j’ai vu plusieurs policiers arrêter Mehdi Bsikri. J’ai téléphoné à une autre activiste, Amira Bouraoui, qui m’a annoncé qu’elle venait d’être arrêtée quelques minutes plus tôt. J’ai sorti un dessin de ma fille qui, pour moi, incarne l’avenir et j’ai entonné le Qassaman, notre hymne national. Des policiers en uniforme sont accourus vers mois, ont jeté le dessin de ma fille à terre, puis m’ont escorté jusqu’à un fourgon de police.
Je suis resté seul à l’intérieur du fourgon durant quelques minutes. La police a amené un autre homme qui tentait de s’opposer aux policiers et essayait de se libérer de leur emprise. Un policier en civil a commencé à lui donner des coups. Lorsque je lui ai demandé d’arrêter, il m’a frappé au visage.
La police a ramené quatre autres manifestants dans le fourgon avant de nous conduire au commissariat d’Al-Biar. Ils ont confisqué nos cartes d’identité et nos téléphones portables. Ils nous ont amenés dans le sous-sol du poste où un officier de police nous a posé des questions. Nous y sommes restés environ trois heures. La police a ramené deux autres groupes de trois manifestants chacun dans notre cellule. C’est là qu’ils nous ont gardés jusqu’à ce qu’ils nous libèrent à 15h50.
Les autorités ont interdit les manifestations à Alger le 18 juin 2001, quatre jours après une marche qui avait rassemblé énormément de monde dans les rues d’Alger pour la défense des droits des Amazighs, c’est-à-dire les Berbères, un groupe ethnique qui avait mobilisé des participants venus de toute la région de Kabylie à majorité amazighe. La manifestation s’était soldée par le pillage de certains magasins et des affrontements impliquant la police, les manifestants et des jeunes locaux. Les autorités n’ont pas abrogé l’interdiction à la levée en 2011 de l’état d’urgence, en place depuis 19 ans.
Cette interdiction renforce la loi algérienne de 1991 encadrant les réunions et manifestations publiques, qui restreint elle-même le droit de manifester pacifiquement. Selon la loi, un groupe prévoyant un rassemblement public doit obtenir l’aval des autorités huit jours à l’avance.
Le wali (dirigeant de la circonscription administrative) doit annoncer l’approbation ou l’interdiction de la réunion publique au moins cinq jours avant sa tenue. Ses subordonnés peuvent interdire tout rassemblement s’ils informent ses organisateurs qu’il constitue « un risque réel de trouble à l’ordre public » ou si « il semble manifeste que l’objectif réel de la réunion met en danger le maintien de l’ordre public ».
Ces restrictions vont au-delà des conventions du droit international des droits humains.
L’Article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipule :
Le droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
Par conséquent, le droit international n’autorise que dans certains cas limités des restrictions au droit de réunion pacifique, qui devraient être rigoureusement définies ; toute restriction doit être proportionnée et seulement autorisée dans la mesure où elle est strictement nécessaire. Des termes comme « sécurité nationale » et « sûreté publique » renvoient à des situations faisant courir une menace immédiate et violente à la nation, son intégrité territoriale ou son indépendance politique. Une interdiction totale et indéterminée des réunions pacifiques, notamment dans la capitale, constitue une violation du Pacte international.