Août 2021 en Europe et en Asie centrale. Un tour d’horizon de l’état de la liberté d’expression, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
En août, la Cour suprême du Bélarus a dissout les deux organisations pour la liberté d’expression les plus importantes de Biélorussie. Les autorités russes ont multiplié des désignations d’ « agents étrangers » pour étouffer la dissidence avant les élections de septembre. Le mois d’août a également vu les législateurs turcs exercer un contrôle accru sur les médias sociaux, le Kirghizistan adopter une loi sur les « fausses informations » et l’homme d’affaires Yorgen Fenech inculpé pour le meurtre de Daphne Caruana Galizia.
Biélorussie : triste anniversaire
Le mois d’août a marqué l’an un de l’élection présidentielle contestée en Biélorussie et le premier anniversaire de la répression toujours en cours contre la dissidence. Il a également vu la Cour suprême biélorusse ordonner la dissolution des deux organisations pour la liberté d’expression, parmi les plus importantes du pays : la Belarusian Association of Journalists (BAJ), membre de l’IFEX, et le Belarus PEN Centre.
[Traduction : Fil : L’ensemble de notre réseau est solidaire du membre de l’IFEX @BAJ_by, à la suite de la décision de sa dissolution prononcée ce jour par la Cour suprême de Biélorussie. Nous appelons la communauté internationale à apporter un soutien direct aux journalistes et défenseurs des droits biélorusses : http://ow.ly/3En250FZy0j #StandWithBelarus ]
[Traduction : Le centre PEN biélorusse, dirigé par la lauréate du prix Nobel Sviatlana Alexievich depuis 2019, a été dissout. L’organisation a été fondée au #Belarus en 1989 et a réuni des écrivains, des éditeurs et des traducteurs professionnels. Le régime détruit toutes les organisations.]
Ces fermetures ordonnées par une Cour suprême instrumentalisée politiquement font partie d’une répression croissante contre la société civile, ou d’une « purge », selon les propres mots du président Loukachenka.
Avant l’audience consacrée à la BAJ, IFEX a appelé la communauté internationale à faire pression sur le gouvernement biélorusse pour qu’il mette fin à la vague de persécutions et annule la dissolution des groupes de la société civile. Les membres de l’IFEX ARTICLE 19 et Reporters sans frontières ont tous deux soumis des avis d’experts à la Cour suprême, demandant le rejet de l’affaire contre BAJ. En juillet, la BAJ a déclaré qu’elle poursuivrait ses activités même si elle a perdu sa personnalité juridique.
La répression des médias indépendants se poursuit également sans relâche. À la mi-août, les autorités ont perquisitionné les domiciles des journalistes travaillant pour l’agence de presse BelaPAN et arrêté trois employés. Le portail d’information indépendant le plus populaire de Biélorussie, tut.by, et un site Web associé, zerkalo.io, ont été taxés d’ « extrémistes »: désormais, toute personne partageant du contenu à partir de ces sites pourrait être condamnée à des peines de prison ou à des amendes.
Mais il y a aussi eu une bonne nouvelle ce mois-ci : quatre membres du Press Club Belarus, dont son fondateur et ses directeurs, ont été libérés de leur détention préventive. Ils étaient derrière les barreaux depuis fin 2020 pour des accusations d’évasion fiscale douteuses, et leur libération aurait été « une mesure de grâce ». Les autorités ont dissout le Press Club Belarus en juillet.
Divers membres de l’IFEX, dont Reporters sans frontières, ont marqué le premier anniversaire de l’élection présidentielle d’août 2020 en donnant un aperçu des 12 mois de répression qui ont suivi. BAJ nous a fourni les statistiques choquantes d’une année qui a connu 497 détentions de journalistes, 68 cas de violence contre des professionnels des médias, plus de 50 d’entre eux faisant l’objet de poursuites pénales et plus de 100 sites d’information et de médias bloqués.
Index on Censorship, en partenariat avec le Belarus Free Theatre, Human Rights House Foundation et Politzek.me, a lancé « Lettres des prisonniers de Loukachenka » (Letters from Lukashenka’s Prisoners), qui donne une voix aux prisonniers politiques de Biélorussie (il y en a actuellement 649) par la collecte, la traduction et la publication hebdomadaire de lettres.
Les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont également marqué l’anniversaire de cette élection en annonçant de nouvelles sanctions commerciales, financières et aériennes contre le régime Loukachenka.
Veuillez consulter la chronologie biélorusse de l’IFEX, régulièrement mise à jour, où nous rassemblons tous nos résumés mensuels des activités des membres de l’IFEX et d’autres développements clés en Biélorussie.
Et pour en savoir plus sur la façon dont les militants et journalistes biélorusses de la diaspora utilisent des outils numériques pour contrecarrer le régime de Loukachenka, consultez notre récent zoom régional : « Le smartphone contre la matraque ».
Russie : étouffer la liberté d’expression avant les élections
Bien que la Biélorussie soit en tête du peloton en ce qui concerne le nombre de prisonniers politiques, la Russie n’est pas loin derrière. Ce mois-ci, le Memorial Human Rights Center a déclaré avoir décompté 410 prisonniers politiques en Russie (en ajoutant que ce chiffre était probablement très en deçà de la réalité). Selon ce groupe de défense des droits, 329 personnes sont actuellement en prison ou en résidence surveillée pour avoir exercé leur droit à la liberté de religion et 81 pour d’autres raisons politiques. Ceux qui ont été ciblés en raison de leur religion étaient généralement des musulmans accusés d’appartenir à la Tablighi Jamaat et au Hizb ut-Tahrir, interdits, ainsi que des Témoins de Jéhovah.
Avant les élections législatives de septembre 2021, les autorités ont désigné un certain nombre d’organisations comme « agents étrangers ». Il s’agit notamment du groupe de surveillance des élections Golos, de la chaine de télévision indépendante Dozhd et de la publication d’investigation iStories. L’étiquette d’agent étranger non seulement stigmatise les médias qui ne suivent pas la ligne pro-gouvernementale, mais peut également avoir un impact sur leur santé financière – en dissuadant les annonceurs et les sponsors – avec des conséquences évidentes sur leur production journalistique. Huit journalistes ont été arrêtés pour avoir protesté contre les nouvelles nominations d’« agents étrangers ».
Ce mois-ci, les autorités russes ont refusé de renouveler le visa de la correspondante de la BBC à Moscou, Sarah Rainsford, l’expulsant de fait de Russie. Selon le ministère russe des Affaires étrangères, cette décision a été prise en représailles au refus du Royaume-Uni d’accorder des visas aux journalistes russes travaillant pour les médias russes RT et Sputnik (connus pour propager la désinformation).
Turquie : attaques physiques contre la presse, nouvel assaut sur les réseaux sociaux
Les cas d’agressions physiques contre des journalistes en Turquie augmentent chaque mois. Le mois d’août a commencé par l’ attaque brutale de plusieurs journalistes par un groupe armé de barres de fer. Ils couvraient le meurtre à caractère raciste d’une famille kurde à Konya, dans le centre de l’Anatolie.
Au milieu du mois, le commentateur pro-gouvernement Emre Erciş a été atteint d’une balle à la jambe à Istanbul. Quelques jours plus tôt, une équipe de Halk TV a été attaquée par un groupe à Marmaris alors qu’elle faisait un reportage sur les incendies de forêt qui balayaient la Turquie.
La couverture de ces incendies de forêt a également mis six chaînes de télévision dans la ligne de mire, ce mois-ci. Le Conseil suprême de la radio et de la télévision de Turquie (RTÜK) – souvent critiqué comme un outil de censure entre les mains du gouvernement – a infligé des amendes d’un montant total de 330 000 euros [environ 389 000 USD] à FOX TV, Halk TV, KRT, Tele1 et HaberTürk TV parce qu’elles auraient parlé des incendies « d’une manière qui suscite la peur et l’inquiétude du public ».
La bataille des autorités turques pour réguler les réseaux sociaux et Internet se poursuit. Selon certaines informations, les législateurs rédigent un projet de loi sur les médias sociaux qui propose des peines de prison allant jusqu’à cinq ans pour ceux qui diffusent de la désinformation en ligne ; des amendes pour les plateformes de médias sociaux qui refusent de transmettre des informations aux autorités sur des comptes anonymes ; et la création d’un organisme de réglementation des médias sociaux. La Turquie a déjà une loi sur les médias sociaux qui étouffe la dissidence (adoptée l’année dernière) et, selon un récent rapport, entre la promulgation de la Loi Internet de 2007 et la fin 2020, les autorités ont bloqué 467 011 site Web.
Plusieurs pays européens ont des lois contre l’insulte ou la diffamation de leurs chefs d’État, notamment (mais sans s’y limiter) la Pologne, les Pays-Bas, la Suède, la Slovénie, l’Espagne et la Grèce. À l’exception de l’Espagne, ces lois sont rarement – voire jamais – utilisées pour engager des poursuites. Cependant, la loi turque contre « l’insulte au président » est connue pour la fréquence à laquelle elle est utilisée. Les statistiques fournies ce mois-ci ont montré que le président Erdoğan avait ordonné 38 581 poursuites judiciaires pour « insulte au président » entre 2014 et 2020.
En bref
Yorgen Fenech sera jugé à Malte pour le meurtre en 2017 de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia. Les procureurs ont requis la réclusion à perpétuité pour l’homme d’affaires, pour complicité de meurtre et association de malfaiteurs.
L’homophobie est endémique en Asie centrale, et particulièrement en Ouzbékistan où les relations homosexuelles entre hommes sont criminalisées. Ce mois-ci, Human Rights Watch a appelé le président Shavkat Mirziyoyev à immédiatement interdire la pratique barbare des examens anaux forcés comme moyen de recueillir des preuves pour poursuivre les homosexuels présumés. Dans une affaire récente de 2021, des examens anaux forcés ont été pratiqués sur deux hommes qui vivaient ensemble : tous deux ont été condamnés à deux ans d’assignation à résidence à plus de 500 km l’un de l’autre. Ils leur est également interdit d’utiliser Internet.
La situation des militants LGBTQI+ au Kazakhstan, même si elle n’est pas aussi précaire qu’en Ouzbékistan, reste extrêmement difficile. Ce mois-ci, le site Global Voices a publié un article de Paolo Sorbello sur le harcèlement et la persécution du groupe LGBTQI+ Feminita alors que ses membres parcouraient le pays pour défendre l’égalité des droits. Ces militants pugnaces sont fréquemment confrontés à des menaces et à des violences de la part de groupes anti-LGBTQI+ et au harcèlement de la police (qui les arrête parfois « pour leur propre sécurité »). La demande d’enregistrement de Feminita en tant qu’ONG a été rejetée à plusieurs reprises, leur refusant la légitimité officielle et les rendant ainsi plus vulnérables face aux abus.
Au Kirghizistan, le président Japarov a promulgué une loi sur les « fausses informations » qui constitue une grave menace pour la liberté d’expression et le droit à l’information. Les personnes qui s’estiment diffamées par un contenu en ligne sont désormais autorisées à demander à un « organe administratif autorisé » d’ordonner la suppression du contenu, sans décision d’un juge. Si les informations contestées ne sont pas supprimées dans les 24 heures, l’ensemble de la page Web ou du site Web sera totalement bloqué.
Début août, les députés polonais ont voté en faveur d’un projet de loi interdisant aux actionnaires non européens de détenir une participation majoritaire dans les médias polonais. Le projet de loi est une nouvelle attaque du parti au pouvoir, le Parti du droit et de la justice (PiS), contre le pluralisme et l’indépendance des médias. Elle est largement considérée comme une tentative d’imposer un changement de la ligne éditoriale de la chaîne américaine TVN, critique à l’égard du gouvernement. Le Sénat, où l’opposition détient une faible majorité, va maintenant voter sur le projet de loi. Le fil Twitter de l’historien et spécialiste de la Pologne Timothy Garton Ash explique ce qui est en jeu :
[Traduction : 1. C’est un moment crucial pour la démocratie polonaise. Si le rejet probable de #LexTVN par la chambre haute est annulé par un second vote de la chambre basse, la principale chaîne d’information télévisée indépendante de Pologne tombera entre les mains des pro-gouvernement. https://nyti.ms/37EMqeN (fil) ]
Les membres du Media Freedom Rapid Response (Mécanisme de réponse rapide pour la liberté des médias, MFRR) ont appelé à une enquête rapide et approfondie sur une attaque au cocktail Molotov contre le domicile du journaliste Willem Groeneveld à Groningue, aux Pays-Bas. L’attaque a eu lieu à 2h 45 le 19 août alors que Groeneveld et son partenaire dormaient. Ces derniers mois ont vu une recrudescence des attaques contre les journalistes aux Pays-Bas, un pays auparavant connu pour son bon bilan en matière de liberté de la presse.
Au Royaume-Uni, la Haute Cour a autorisé les États-Unis à élargir les motifs de leur appel contre un refus antérieur d’autoriser l’extradition de Julian Assange. L’audience complète d’appel aura lieu du 27 au 28 octobre.