“Les traumatismes du passé se perpétuent dans l’impunité, par définition contraire au principe de l’État de droit et à l’expression des libertés publiques fondamentales”, a déclaré RSF.
(RSF/IFEX) – Le 4 avril 2012 – Reporters sans frontières appelle solennellement à l’ajournement d’un projet de loi amnistiant les auteurs de crimes contre l’humanité commis sous la dictature militaire, et dont le vote est imminent. A l’initiative de six parlementaires issus de la coalition au pouvoir, cet amendement à la loi d’amnistie de 1989 – qui ne s’appliquait qu’à la période de guerre civile comprise entre 1987 et 1992 – permettrait de prescrire toutes les exactions commises à compter du coup d’État militaire du 25 février 1980 mené par le colonel Desi Bouterse. Ainsi, les assassinats de cinq journalistes, le 8 décembre 1982 à Fort Zeelandia, risquent de rester définitivement impunis.
“Ce projet de loi est une insulte à la mémoire des victimes, qui ont payé de leur vie leur engagement en faveur des droits de l’homme et de la liberté d’information face à un régime de terreur. Oser brandir l’argument de la ‘réconciliation’ et de la ‘stabilité’ du pays pour instaurer l’impunité relève du pur cynisme. L’amnistie survient, de plus, au moment où doit se conclure le procès instruit dans cette affaire depuis 2007, alors que les témoignages s’accumulent contre le principal suspect : Desi Bouterse, revenu au pouvoir par les urnes en juillet 2010 et président de la République en exercice. Nous exigeons le retrait du projet de loi. Desi Bouterse doit répondre du passé devant la justice, quitte à ce que sa comparution ait lieu à l’issue de son actuel mandat présidentiel”, a déclaré Reporters sans frontières.
Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1982, quinze opposants au régime militaire soupçonnés de “conspiration” avaient été arrêtés, torturés et exécutés à la caserne de Fort Zeelandia. Cinq journalistes figuraient parmi les victimes : Andre Kamperveen, propriétaire et directeur de la station Radio ABC, de Frank Wijngaarde, reporter du même média, ainsi que les journalistes de presse écrite Leslie Rahman, Bram Behr et Jozef Slagveer. Après cette tuerie, les militaires avaient incendié les locaux de Radio ABC, Radio Radika et du quotidien De Vrije Stem. A l’époque, aucun média n’était autorisé à publier ou émettre hormis la station de radio d’État SRS et le quotidien De Ware Tijd.
Desi Bouterse a reconnu sa “responsabilité politique” dans le massacre de Fort Zeelandia tout en soutenant qu’il n’était pas lui-même présent sur les lieux au moment des faits. Cette ligne de défense a été mise à mal lors du procès instruit à compter de 2007 par un tribunal militaire, au cours duquel l’ancien officier putschiste Ruben Rozendaal – surnommé “Judas” par Desi Bouterse – a témoigné à charge contre l’ancien dictateur. Les réquisitions du procureur sont attendues le 13 avril et le verdict au mois de mai.
“Les traumatismes du passé se perpétuent dans l’impunité, par définition contraire au principe de l’État de droit et à l’expression des libertés publiques fondamentales. Le courage des sociétés civiles, des magistrats et des journalistes dans d’autres pays d’Amérique du Sud, en particulier ceux du Plan Condor, constitue à cet égard le plus précieux des enseignements”, a conclu Reporters sans frontières.