Dix-neuf organisations régionales et internationales exigent aux autorités syriennes la libération immédiate et sans condition de Mazen Darwish et de ses deux collaborateurs du Syrian Centre for Media and Freedom of Expression (SCM), et l’abandon de l’ensemble des charges qui pèsent à leur encontre.
“Il appartient à la communauté internationale d’exiger des autorités syriennes la libération immédiate et sans condition du militant pour la liberté d’expression Mazen Darwish et de ses deux collaborateurs, et l’abandon de l’ensemble des charges qui pèsent à leur encontre”, ont déclaré aujourd’hui 19 organisations régionales et internationales de défense des droits de l’homme. “Mazen Darwish et ses deux collaborateurs du Syrian Centre for Media and Freedom of Expression (SCM), Hussein Gharir et Hani Zaitani, sont poursuivis pour terrorisme en raison de leur engagement pacifique en faveur de la liberté d’expression.”
Les trois activistes, ainsi que leurs collègues Mansour Omari et Abdel Rahman Hamada, tous deux libérés le 6 février 2013, comparaîtront devant la cour anti-terroriste de Damas le 19 mai prochain. Le juge décidera au cours de cette audience du maintien ou de la levée des accusations portées contre eux par les forces syriennes du Renseignement aérien.
En mai dernier, le ministre syrien de la Justice a déclaré à une délégation internationale conduite par le lauréat du prix Nobel irlandais, Mairead Maguire, qu’il libérerait 72 militants des droits de l’homme, parmi lesquels les trois membres du SCM actuellement incarcérés. “D’autres pays, y compris des alliés du gouvernement syrien, devraient faire pression sur les autorités pour que les charges qui pèsent à leur encontre soient abandonnées et qu’ils soient libérés”, ont déclaré les organisations de défense des droits de l’homme.
Les services de Renseignements syriens détiennent les trois hommes depuis plus d’un an – dont plusieurs mois au secret – en raison leur militantisme pacifique et de leur travail de promotion et de défense des droits de l’homme en Syrie au sein du SCM. Les accusations qui pèsent contre les trois hommes constituent incontestablement une violation de la liberté d’expression.
Par ailleurs, selon d’anciens prisonniers détenus avec eux, les trois militants ont été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements de la part des agents du Renseignement aérien au cours de leur détention. Les organisations expriment leur profonde inquiétude quant à leur état physique et psychologique, eut égard à la nature du traitement auquel ils ont, selon toute vraisemblance, été soumis, ainsi qu’à la durée de leur détention arbitraire.
Selon l’acte d’accusation émis le 27 février 2012, les cinq membres du SCM, Mazen Darwish, Hussein Gharir, Hani Zaitani, Mansour Omari et Abdel Rahman Hamada sont poursuivis pour “publicité d’actes terroristes”, en application de l’article 8 de la loi anti-terroriste, promulguée par le président Bashar Al-Assad en 2012. Les cinq hommes encourent une peine pouvant aller jusqu’à quinze ans de prison.
L’acte d’accusation stipule que Mazen Darwish est poursuivi en sa qualité de responsable du SCM. Quant à ses collaborateurs, ils le sont en raison de leurs activités au sein du Centre. Parmi les activités incriminées figurent le suivi des informations publiées en ligne par l’opposition syrienne, la publication de rapports sur la situation des droits de l’homme et des médias en Syrie, la documentation du nombre et de l’identité des personnes détenues, disparues, recherchées ou tuées depuis le début du conflit syrien. L’acte dispose que ces activités ont été qualifiées comme constitutives d’une tentative de “déstabilisation de la situation intérieure, ayant amené les organisations internationales à condamner la Syrie” par le juge d’instruction chargé de l’enquête.
“Le procès des militants du SCM illustre parfaitement la politique de répression menée par le gouvernement contre les voix critiques en Syrie. Il s’inscrit dans le cadre plus large de l’entreprise de censure et de répression systématiques des journalistes, professionnels des médias, journalistes citoyens (dont les blogueurs) et militants défendant la liberté d’expression orchestrée dans le pays” ont déclaré les organisations. Un avocat travaillant pour le compte de prisonniers politiques à Damas a confié aux organisations de défense des droits de l’homme qu’au moins 35 000 prisonniers politiques étaient actuellement poursuivis devant la cour anti-terroriste. Celle-ci n’aurait selon lui d’ailleurs été créée que dans l’unique but de museler l’opposition.
“Le gouvernement syrien doit cesser de poursuivre des militants en raison d’activités pourtant pacifiques et légitimes sur la base d’une législation anti-terroriste volontairement floue et abusive,” ont déclaré les organisations. “Ces derniers ne devraient en outre pas être jugés par la cour anti-terroriste, juridiction n’offrant pas aux défendeurs les garanties du droit à un procès équitable, consacré par les standards internationaux”.
Cette cour est compétente pour juger de l’ensemble des actes relevant de la loi anti-terroriste, selon laquelle est considéré comme terroriste “tout acte visant à instaurer un état de panique au sein de la population, à destabiliser la sécurité publique et à causer des dommages aux infrastructures essentielles du pays en ayant recours à des armes, des munitions, des explosifs, des produits inflammables ou toxiques, des agents épidémiologiques ou bactériologiques, ou encore toute méthode remplissant ces mêmes objectifs.”
La loi dispose également que la promotion du “terrorisme”, notamment par la distribution de publications ou d’autres informations, est passible d’une peine d’emprisonnement assortie de travaux forcés. Est constitutif de “financement du terrorisme” au titre de la loi, le fait de fournir, directement ou indirectement, de l’argent, des armes, des munitions, des explosifs, des moyens de communication, des informations ou “d’autres choses” pouvant être utilisés pour mener à bien un acte terroriste.
Les autorités syriennes ont théoriquement levé la loi sur l’état d’urgence le 21 avril 2011. Elles ont toutefois promulgué, le même jour, le “décret législatif n°55”. Ce décret limite à soixante jours la durée légale pendant laquelle une personne poursuivie pour certaines infractions – parmi lesquels les actes de terrorisme – peut être détenue avant d’être présentée devant un juge. Un ancien détenu a déclaré à Human Rights Watch que des officiers haut-gradés lui avaient expliqué, au cours de sa détention, qu’ils recouraient à ces dispositions ainsi qu’à la loi anti-terroriste pour détenir légalement des personnes jusqu’à soixante jours sans que leur cas soit examiné par la justice.
Les organisations de défense des droits de l’homme rappellent que cette limite légale inscrite dans le décret n°55 n’est pas conforme aux exigences du droit international, qui précise que l’examen judiciaire doit avoir lieu “rapidement”. D’autre part, plusieurs anciens prisonniers interrogés par les organisations ont déclaré qu’ils avaient été détenus au-delà de la période légale de soixante jours autorisés par la loi syrienne, sans avoir été présentés à un juge.
Une source proche de la famille de Mazen Darwish a expliqué aux organisations de défense des droits de l’homme combien il lui est difficile de se défendre contre les accusations qui pèsent contre lui en application de la loi anti-terroriste et devant la cour anti-terroriste. Il n’a pas été autorisé à recevoir la visite d’un avocat ou de membres de sa famille pendant neuf mois et vingt jours avant son transfert à la prison centrale de Damas, communément appelée la prison d’Adra. Il n’a été informé de son jugement devant une cour anti-terroriste que le 30 novembre 2012, date à laquelle un juge d’instruction rattaché à cette juridiction a commencé à l’interroger. Il n’a en outre été informé des charges qui pèsent contre lui qu’avec la publication de l’acte d’accusation, le 27 février dernier, soit plus d’un an après son arrestation.
L’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 15 mai dernier, une résolution appellant entre autres le gouvernement syrien à libérer Mazen Darwish et les autres prisonniers du SCM. Cette résolution insiste sur l’importance de mettre fin à l’impunité et de traduire en justice tous les responsables de violations graves et d’abus contre les droits de l’homme et le droit international humanitaire. La résolution exige que les Etats-membres des Nations unies fassent pression sur les autorités syriennes et leurs alliés pour qu’elles lèvent les accusations portées contre ces hommes. “Les autorités syriennes doivent respecter la résolution de l’ONU et abandonner les charges pesant contre Mazen Darwish et ses collègues du SCM”, ont déclaré les organisations. “Elles doivent aussi abandonner les poursuites entamées contre les dizaines de milliers de détenus du fait de leur militantisme pacifique et emprisonnés dans des centres de détention aux quatre coins de la Syrie”.
Le 9 mai dernier, une délégation internationale pour la paix, conduite par le lauréat du prix Nobel irlandais Mairead Maguire, a rencontré le ministre syrien de la Justice, Dr Najm Al-Ahmad, et les représentants de l’organisation para-gouvernementale Mussalaha, et lui a présenté une pétition demandant la libération de 72 militants non-violents, parmi lesquels Mazen Darwish, Hussein Gharir et Hani Zaitani. Au cours de cette entrevue, le Ministre a annoncé que le gouvernement avait approuvé, sur le principe, la libération de l’ensemble des prisonniers dont les noms figurent sur cette la liste en attendant l’examen de leur dossier par la Justice. Les organisations exhortent les autorités compétentes à respecter cet engagement et à libérer les prisonniers.