« La libération de dizaines de prisonniers est une évolution positive, mais le gouvernement saoudien devrait aussi libérer toutes les autres personnes détenues arbitrairement. Ce geste positif ne saurait se substituer à la cessation des politiques répressives dans le pays. »
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 7 avril 2025.
De nombreuses personnes sont toujours détenues pour avoir exercé pacifiquement leurs droits
Les autorités saoudiennes ont libéré des dizaines de personnes qui avaient été condamnées à de longues peines de prison pour avoir exercé pacifiquement leurs droits, mais continuent d’emprisonner et de détenir arbitrairement de nombreuses autres personnes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Entre décembre 2024 et février 2025, les autorités saoudiennes ont libéré au moins 44 prisonniers, selon des proches et des organisations de défense des droits humains. Parmi ces personnes figurent Mohammed al-Qahtani, un militant des droits humains âgé de 59 ans ; Salma al-Chehab, doctorante à l’Université de Leeds, au Royaume-Uni ; et Asaad al-Ghamdi, frère d’un militant des droits humains bien connu vivant en exil. Le gouvernement saoudien devrait mettre fin à sa répression généralisée de la liberté d’association, d’expression et de croyance.
« La libération de dizaines de prisonniers est une évolution positive, mais le gouvernement saoudien devrait aussi libérer toutes les autres personnes détenues arbitrairement », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l’Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Ce geste positif ne saurait se substituer à la cessation des politiques répressives dans le pays. »
Les prisonniers libérés continuent de faire l’objet de restrictions, telles que des interdictions arbitraires de voyager et le port obligatoire d’un bracelet électronique. Ceux qui sont toujours détenus pour avoir exercé leurs droits fondamentaux continuent de subir des violations systématiques de leur droit à une procédure régulière et à un procès équitable, selon les témoignages de leurs familles et de leurs avocats. Les autorités saoudiennes continuent de détenir et d’emprisonner des individus au motif de la liberté d’expression, de réunion, d’association et de croyance. Parmi les détenus de renom qui sont toujours emprisonnés figurent Salman al-Odah, un éminent dignitaire et érudit religieux ; Waleed Abu al-Khair, un avocat et défenseur des droits humains saoudien dont le travail a été récompensé par plusieurs prix ; et Abdulrahman al-Sadhan, un travailleur humanitaire,
Il y a donc peu d’indications que les récentes libérations signalent un changement politique fondamental, a déclaré Human Rights Watch, uisque de nombreuses autres personnes restent emprisonnées pour avoir exercé pacifiquement leurs droits.
Mohammed Al-Qahtani, cofondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques, a été libéré le 7 janvier. Le 9 mars 2013, les autorités saoudiennes l’avaient reconnu coupable de « création d’une organisation non autorisée » et de « diffusion de fausses informations à des groupes étrangers », et l’avaient condamné à une peine de dix ans de prison, assortie d’une interdiction de voyager de dix ans. Al-Qahtani, qui avait été arrêté en 2012, devait être libéré en 2022, mais il a été détenu au-delà de sa date de libération prévue pendant deux ans et dix jours, a rapporté ALQST, une organisation saoudienne de défense des droits humains ; il s’est agi d’une forme de disparition forcée.
Les autorités saoudiennes ont arrêté Salma al-Chehab en 2021 et l’ont condamnée en 2022 à 34 ans de prison, uniquement en raison de son activité pacifique sur les réseaux sociaux en lien avec les droits des femmes dans le pays. En 2023, un tribunal saoudien a réduit sa peine de prison à 27 ans en 2023, puis à 4 ans en septembre 2024. Les autorités saoudiennes ont libéré Salma al-Chehab en février 2025.
En mai 2024, le Tribunal pénal spécialisé, chargé de juger des affaires liées au terrorisme et tristement célèbre en Arabie saoudite, avait condamné Asaad al-Ghamdi à 20 ans de prison pour terrorisme, en raison de ses activités pacifiques sur les réseaux sociaux. Des proches ont indiqué qu’il a été libéré en février.
Les autorités saoudiennes n’ont pas publié la liste des prisonniers libérés ni précisé leurs conditions de libération.
Le 2 mars, Abdulaziz al-Howairini, chef de la Présidence de la Sûreté de l’État saoudienne, une agence de sécurité responsable de violations répétées des droits humains, a invité les dissidents en exil à rentrer en Arabie saoudite sans crainte de conséquences, dans le cadre d’une offre d’amnistie proposée par le prince héritier Mohammed ben Salmane.
Abdulaziz Al-Howairini a déclaré aux médias d’État que « le royaume accueille favorablement le retour de ceux qui se disent opposants à l’étranger ». Cependant, il a adressé cette invitation « à ceux qui ont été trompés et manipulés pour des motifs inavoués », au lieu d’indiquer un changement de politique gouvernementale vers la tolérance à l’égard des libertés d’expression, de réunion, d’association et de croyance.
De nombreuses personnes sont toujours emprisonnées en Arabie saoudite sur la base d’accusations qui ne constituent pas des crimes reconnus par le droit international. Parmi elles figurent des personnes comme Sabri Shalabi, un psychiatre faussement accusé de terrorisme, des défenseurs des droits humains de renom comme Waleed Abu al-Khair et Manahel al-Otaibi, et des proches de dissidents politiques comme al-Ghamdi.
Dans certains cas, les autorités saoudiennes ont redoublé d’efforts et multiplié les violations contre les défenseurs des droits humains. Parmi les personnes toujours détenues figure al-Otaibi, une monitrice de fitness saoudienne, victime d’une disparition forcée le 15 décembre. Elle a été autorisée à appeler sa sœur le 16 mars, a déclaré un proche à Human Rights Watch. Elle avait été arrêtée à Riyad en novembre 2022 en vertu de la loi saoudienne contre la cybercriminalité pour avoir soutenu les droits des femmes sur X, anciennement Twitter, et publié des photos d’elle sans abaya, une longue robe ample portée par les femmes musulmanes, sur Snapchat, a précisé ce proche.
L’un des frères d’Asaad al-Ghamdi, Mohammed al-Ghamdi, est un enseignant à la retraite qui a été arrêté en juin 2022 et accusé de terrorisme en raison de ses activités pacifiques sur X et YouTube ; il a été condamné à mort en juillet 2023, et est toujours en prison.
Un autre frère d’Asaad al-Ghamdi, Saïd ben Nasser al-Ghamdi, est un érudit musulman qui vit en exil au Royaume-Uni, et qui est connu pour avoir ouvertement critiqué le gouvernement saoudien. Afin de contraindre des dissidents qui vivent à l’étranger de rentrer en Arabie saoudite, le gouvernement saoudien exerce souvent des représailles contre leurs familles qui vivent au royaume, en tant que moyen de pression.
En août 2022, Sabri Shalabi a été initialement condamné à 20 ans de prison, sur la base de fausses accusations de terrorisme ; en décembre 2022, cette peine a été réduite à 10 ans de prison. Son état de santé s’est détérioré et il s’est vu refuser à plusieurs reprises des soins médicaux spécialisés.
Les autorités saoudiennes continuent de cibler et d’arrêter arbitrairement les personnes perçues comme critiques du gouvernement ou celles ayant des liens présumés avec des détracteurs du gouvernement.
Le 31 août 2024, les autorités saoudiennes ont arrêté Ahmed al-Doush, ressortissant britannique et père de quatre enfants, à l’aéroport de Riyad alors qu’il rentrait au Royaume-Uni ; c’est ce qu’a expliqué un membre de sa famille à Human Rights Watch. Son arrestation semble avoir été liée à ses activités sur les réseaux sociaux. Le consulat britannique a indiqué à la famille d’Ahmed al-Doush qu’il avait été interrogé au sujet de ses publications sur X.
Ahmed al-Doush a été détenu à l’isolement pendant deux semaines avant d’être autorisé à appeler son beau-frère en Arabie saoudite pour lui annoncer sa détention, mais sans être autorisé à préciser le lieu de sa détention ni le motif, a indiqué le membre de sa famille. Ahmed al-Doush n’a pu téléphoner plus longuement à sa femme que deux mois plus tard, le 17 novembre.
Les autorités saoudiennes ont détenu Ahmed al-Doush sans inculpation pendant plus de cinq mois, au cours desquels il a été interrogé à plusieurs reprises sans avocat. Le 27 janvier, le juge a informé al-Doush des accusations portées contre lui lors de sa première audience. Toutefois, cette audience a été fixée sans préavis et Ahmed al-Doush n’était pas représenté par un avocat, a déclaré un membre de sa famille. Ahmed al-Doush a alors appris que les accusations reposaient en partie sur des posts qu’il avait publiés sur son compte X six ans auparavant, avant de les supprimer par la suite ; les accusations visant al-Doush étaient aussi liées à son association présumée avec un individu non identifié au Royaume-Uni qui critiquait l’Arabie saoudite, a déclaré son avocat britannique à Human Rights Watch.
Human Rights Watch continue de documenter les abus généralisés au sein du système de justice pénale saoudien, notamment les longues périodes de détention sans inculpation ni procès, le refus d’assistance juridique, le recours à des aveux entachés par la torture comme base unique d’une condamnation, et d’autres violations systématiques des droits à une procédure régulière et à un procès équitable.
L’Arabie saoudite ne dispose pas d’un code pénal officiel ; le projet de code pénal qui serait en cours d’élaboration devrait être pleinement conforme aux normes internationales en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités saoudiennes utilisent des dispositions trop générales et vagues de la loi antiterroriste pour museler la dissidence et persécuter les minorités religieuses. Cette loi viole les droits à une procédure régulière et à un procès équitable, en accordant aux autorités de larges pouvoirs pour arrêter et détenir des personnes sans contrôle judiciaire.
« Les pays alliés de l’Arabie saoudite et la communauté internationale ne devraient pas se faire de fausses idées sur la base des récentes libérations de détenus », a conclu Joey Shea. « Les autorités saoudiennes devraient s’engager véritablement à réformer leur système judiciaire en mettant fin aux abus systématiques et en libérant toutes les personnes emprisonnées pour avoir simplement tenté d’exercer leurs droits. »