RSF demande aux autorités de mettre un terme au filtrage de sites et aux intimidations contre les net-citoyens et blogueurs.
(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières dénonce le renforcement de la censure en ligne suite aux événements de Sidi Bouzid et aux nombreuses manifestations sociales et politiques qui ont lieu dans le pays.
L’organisation demande aux autorités tunisiennes de mettre un terme au filtrage de sites et aux intimidations contre les net-citoyens et blogueurs. Loin d’étouffer la couverture des événements, la censure donne libre cours à toutes sortes de rumeurs qui peuvent envenimer la situation.
Les autorités tunisiennes, qui censurent déjà largement les sujets sociaux et politiques sensibles sur Internet, ont décidé de contrôler plus étroitement et plus rapidement encore la circulation de l’information relative aux troubles.
Les réseaux sociaux ont joué un rôle clé dans la transmission d’informations sur la situation à Sidi Bouzid et dans d’autres régions, contrairement aux médias traditionnels, inféodés au pouvoir. Les médias internationaux sont, quant à eux, empêchés d’accéder aux lieux sensibles.
Les pages des médias étrangers qui relaient la couverture des troubles actuels sont bloquées en Tunisie, par exemple des articles de France 24 ou du « Nouvel Observateur ».
Autres exemples de médias bloqués :
Deutsche Welle : http://www.dw-world.de/dw/article/9799/0,,14741313,00.html
BBC : http://www.bbc.co.uk/afrique/nos_emissions/2010/12/101227_cinvite.shtml
Rue89 : http://www.rue89.com/2010/12/29/en-tunisie-on-ira-tres-loin-pour-defendre-nos-droits-182692
AlJazeera : http://english.aljazeera.net/news/africa/2010/12/20101224235824708885.html
Les réseaux sociaux, en particulier Facebook, qui compte près de deux millions d’utilisateurs dans le pays, sont les premiers visés par la censure. Si le régime ne bloque pas l’accès à Facebook dans son intégralité, comme il avait tenté de le faire brièvement en 2008, une stratégie particulière a été mise en place afin d’activer des blocages ciblés et d’intimider les blogueurs et journalistes citoyens qui se révèlent être les principaux relais d’informations.
D’après le site Assabilonline, plus de cent pages Facebook relatives à la contestation de ces dernières semaines sont bloquées en Tunisie. Parmi lesquelles le groupe Facebook, en langue arabe, « M. Le Président, les Tunisiens s’immolent par le feu », qui compte déjà plus de 12 000 membres.
Les utilisateurs de Facebook ne peuvent accéder à la version ‘https’ du site, qui leur permet de s’identifier et de rentrer leur mot de passe de manière sécurisée. Pour le site d’informations Nawaat, il s’agit d’une véritable « Campagne de piratage des comptes Facebook » par la police tunisienne, une manière pour les autorités de tenter de récupérer les codes d’accès des militants afin d’infiltrer les réseaux de journalistes citoyens qui se sont constitués autour des événements de Sidi Bouzid. Afin de contrer cette mesure, le site donne plusieurs conseils pour activer néanmoins les requêtes en https. http://nawaat.org/portail/2011/01/03/tunisie-campagne-de-piratage-des-comptes-facebook-par-la-police-tunisienne/
De nombreux militants et blogueurs ont dénoncé le piratage de leurs comptes email et Facebook. Dans un post daté du 3 janvier 2010, intitulé « Vous ne pouvez pas nous empêcher d’écrire » ( http://atunisiangirl.blogspot.com/2011/01/you-cant-stop-us-from-writing.html ), Lina Ben Mhenni, l’une des victimes de ces hackers, fait part de son indignation. Elle évoque le sort similaires de blogueurs et journalistes tels Sofiene Chourabi et Azyz Amami.
Plusieurs sources contactées par Reporters sans frontières confirment l’impossibilité, depuis quelques jours, de télécharger des photos et des vidéos sur Facebook depuis la Tunisie. Ceci est une nouveauté dans ce pays où les sites de partage vidéos et photos les plus connus, comme Flickr, YouTube, Dailymotion et Vimeo, sont bloqués depuis des mois. Les autorités cherchent ainsi à limiter la diffusion des images des manifestations et de leur répression.
Enfin, les censeurs s’intéressent de près aux proxies, utilisés par les internautes pour contourner la censure du Web. Hotspot Shield serait particulièrement visé ces jours-ci.
La vitalité de la blogosphère tunisienne permet aux internautes du pays de soutenir courageusement le bras de fer avec « Ammar », surnom donné à l’appareil de censure. Ils sont prêts à le défier, en témoigne le slogan utilisé dans les manifestations et repris par le blogueur Anis le 30 décembre 2010 : « Nous n’avons plus peur ! »
Sur Twitter, le hashtag #sidibouzid s’est largement répandu parmi les utilisateurs tunisiens, mais aussi les net-citoyens de la région et du monde entier, témoignant d’un mouvement de solidarité internationale. Même si des pages du site de microblogging, liées à Sidi Bouzid, sont aussi rendues inaccessibles en Tunisie. Le groupe de hackers militants Anonymous a conduit, sous le nom « Operation : Tunisia », une série de cyberattaques contre des sites gouvernementaux, notamment ceux du Président et du Premier ministre, afin de dénoncer la censure du Net en Tunisie. ( http://www.anonnews.org/uploads/1522092096_anon_manifesto.png ).
Le correspondant du site d’informations Albadil.org, Ammar Amroussia, arrêté le 29 décembre 2010, est incarcéré à la prison de Gafsa (400 km au sud de la capitale). Il est poursuivi en vertu des articles 42, 44 et 49 du code de la presse, des articles 121, 131, 132, 220 bis, 315 et 316 du code pénal et de l’article 26 de la loi n°4 du 24 janvier 1969 relative à l' »organisation de réunions publiques, convois, expositions, manifestations et rassemblements ». Il risque plus de douze ans de prison. Ammar Amroussia dénonçait notamment la corruption dans le pays et appelait à combattre « la dictature ». Il assurait la couverture des évènements récents à Sidi Bouzid pour le quotidien « Al-Badil », interdit dans le pays, et avait participé à de nombreuses manifestations de solidarité à Gafsa.
La Tunisie fait partie de la liste des pays considérés par Reporters sans frontières comme des « Ennemis d’Internet ».