Le TMG de l'IFEX est profondément inquiet de constater que, cinq ans après avoir accueilli le Sommet mondial sur la société de l'information, la Tunisie demeure l'un des pays les plus répressifs pour les journalistes indépendants, les blogueurs et les défenseurs des droits de la personne.
(IFEX-TMG) – Le Groupe d’observation de la Tunisie issu de l’Échange international de la liberté d’expression, une coalition de 20 organisations membres de l’IFEX, est profondément inquiet de constater que, cinq ans après avoir accueilli le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), la Tunisie demeure l’un des pays les plus répressifs pour les journalistes indépendants, les blogueurs et les défenseurs des droits de la personne. L’accès à l’Internet est lourdement censuré, les sites web indépendants sont bloqués ou piratés, et les courriels et appels téléphoniques sont interceptés.
Le 16 au 18 novembre 2005, la Tunisie a été le pays hôte du SMSI, organisé par les Nations Unies sur la présomption que la libre expression s’améliorerait dans le pays.
Au lieu de cela, l’assaut contre la liberté d’expression continue de s’intensifier. Trois journalistes ont été incarcérés en moins de dix mois pour avoir fait leur travail. Zouhaier Makhlouf, blogueur et correspondant d’un site web de nouvelles, et Taoufik Ben Brik, qui collabore à des médias français, ont été relâchés plus tôt cette année après avoir purgé respectivement quatre et six mois de prison. Un journaliste gravement asthmatique, cependant, purge actuellement une peine de quatre ans d’emprisonnement qui lui a été imposée en juillet.
Le 15 novembre, Fahem Boukaddous, correspondant de la chaîne satellitaire « Al-Hiwar Ettunisi » (Dialogue tunisien), a décidé de mettre un terme à sa grève de la faim de cinq semaines, qu’il avait entamé pour protester contre la sentence inique et ses pénibles conditions de détention. Sa femme, Afaf Bennacer, s’est plainte également de harcèlement policier et d’une surveillance policière intimidante à proximité du domicile et de l’entreprise familiale.
Boukaddous a été arrêté le 12 juillet en rapport avec sa couverture en 2008 des manifestations ouvrières contre le chômage et la corruption dans la région minière de Gafsa.
« Il y a cinq ans – contre l’avis de nombreux défenseurs de la libre expression – le monde a fait confiance à la Tunisie en lui confiant un rôle clé dans l’avenir de l’internet. La situation épouvantable de Boukkadous aujourd’hui rappelle à tous à quel point cette confiance a été trahie, » dit le président du TMG de l’IFEX, Rohan Jayasekera, de Index on Censorship. « Nous sommes profondément troublés par le recours toujours aussi intense aux mesures administratives et aux tribunaux pour étouffer la liberté d’expression, et par l’affirmation dénuée de tout fondement proférée le 7 novembre par le Président Ben Ali selon laquelle aucun Tunisien n’a jamais été harcelé ni emprisonné à cause de ses opinions critiques » .
Un grand nombre de Tunisiens recourent souvent à la grève de la faim pour défendre le droit, qui leur a été confisqué, à la liberté d’expression. En septembre, Nejib Chebbi, directeur de l’hebdomadaire d’opposition « Al-Mawkif, » a fait la grève de la faim pour protester contre les pressions exercées sur l’imprimeur pour qu’il refuse de publier un numéro qui présentait des reportages critiques.
Les membres du TMG de l’IFEX ont effectué une mission d’étude en Tunisie en avril et en mai, et ont rapporté que les journalistes et les juges indépendants étaient persécutés et que les demandes de permis d’exploitation de journaux indépendants ou de fréquences radio indépendantes étaient laissées de côté, tandis qu’un grand nombre de blogues et de sites web étaient bloqués localement ou même piratés.
D’après des groupes de défense des droits de la personne, le gouvernement a autorisé depuis 2003 le lancement de cinq stations de radio privées – appartenant toutes à des parents du Président Ben Ali, ou à des amis proches. Les derniers en date, Radio Shems et Radio Express, ont été lancés en septembre et octobre respectivement par sa fille Cyrine Ben Ali et par Mourad Gueddiche, fils de son médecin et conseiller personnel Mohamed Gueddiche.
Les journalistes sont traînés devant les tribunaux de façon répétée, comme dans le cas de Mouldi Zouabi, de la station Radio Kalima, littéralement en état de siège, ou harcelés comme Ben Brik et Lotfi Hajji, ou même empêchés de sortir de chez eux, comme Slim Boukhdhir et Lotfi Hidouri. D’autres se font confisquer leurs livres à leur arrivée à l’aéroport Carthage de Tunis, comme dans le cas de Hidouri et de Sofiene Chourabi.
La guerre contre la liberté d’expression s’est intensifiée lorsque la Chambre des députés, largement contrôlée par le Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali, a adopté à la mi-juin un projet de loi visant à renforcer l’arsenal des lois déjà en place utilisées pour faire taire et punir les journalistes indépendants et les défenseurs des droits de la personne. Aux termes de cette nouvelle loi, qui modifie l’Article 61a du Code pénal, tout citoyen tunisien qui établit des « contacts avec des agents d’une puissance étrangère ou d’une organisation étrangère dans le but de l’inciter à nuire aux intérêts vitaux » de la Tunisie et à sa « sécurité économique » est passible de cinq ans de prison.
L’adoption de ce projet de loi est survenue après qu’un groupe de défenseurs tunisiens des droits de la personne eut rencontré de hauts responsables de l’Union européenne et les eut priés de ne pas accorder à la Tunisie le « statut avancé » que sollicite le gouvernement, à moins que celui-ci ne modifie sa législation et ses pratiques pour les faire correspondre aux normes internationales en matière de droits de la personne.