Attaqués par les agents de l'État et les militaires d'un côté, et les militants et groupes extrémistes de l'autre, la situation des défenseurs des droits de la personne au Pakistan est l'une des plus dangereuses au monde. Un gouvernement civil faible a remis beaucoup de pouvoir à l'armée, qui est dispensée de tout contrôle. Les enquêtes sur les meurtres et les disparitions n'ont mené nulle part. Dans ce climat, l'impunité règne.
On ne sait jamais si ce sont les talibans qui vous tirent dessus ou si ce sont les membres des agences… et parfois on est encore plus confus, car l’un peut agir à la demande de l’autre.
GOUVERNEMENT:
Le président Mamnoon Hussain, qui a pris le pouvoir en 2013, détient un rôle essentiellement protocolaire. Le premier ministre Nawaz Sharif servait son troisième mandat lorsqu’il a été forcé de démissionner suite à des accusations de corruption. Le Président a nommé Shahid Khaqan Abbasi comme premier ministre par intérim. En juin 2018, il a été remplacé par l’ancien president de la Cour suprême de justice Nasir-ul Mulk, qui a dirigé le gouvernement intérimaire jusqu’aux elections parlementaires de juillet 2018. A ces elections, le parti de Imran Khan, Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), a gagné 116 des 270 sieges disputés, 21 de moins que la majorité absolu. Il est prévu que Khan prenne ses fonctions de premier ministre à la mi-août.
CAPITALE: Islamabad
POPULATION: 193.2 millionsi
PIB: 278.9 milliards $USi
MEMBRE:
Le Commonwealth, l’Organisation de la Conférence islamique, l’Association sud-asiatique de coopération régionale, l’Organisation des Nations Unies
MEMBRES ACTIFS DE L’IFEX DANS CE PAYS:
Pakistan Press Foundation | pakistanpressfoundation.org
Bytes for All | bytesforall.pk
Digital Rights Foundation | digitalrightsfoundation.pk
Media Matters for Democracy | mediamatters.pk
INDICE MONDIAL DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE:
Reporters sans frontières 2018 139 sur 180 pays
La panoplie parfaite de toute bonne tyrannie – meurtres, enlèvements, surveillance en ligne et les lois sur le blasphème
Le Pakistan fait face à d’importants défis en matière de sécurité, accompagnés de conflits persistants sur ses zones frontalières, et de fréquentes attaques violentes contre des civils par des groupes extrémistes. L’attaque contre une école à Peshawar, en décembre 2014, au cours de laquelle 149 personnes ont été tuées, pour la plupart des enfants, ont conduit le gouvernement à céder des pouvoirs constitutionnels et décisionnels à l’armée, en particulier dans les domaines de la sécurité nationale et les droits de l’homme, dans le cadre d’un plan d’action national pour mettre fin au terrorisme. En 2015, plus de 9 400 personnes, dont des journalistes, ont été arrêtées pour suspicion d’activités terroristes. Les attentats suicides et de nombreuses attaques meurtrières menés par les talibans, Al-Qaïda et des groupes affiliés ont touché presque la totalité du territoire pakistanais.
Il y a souvent un très haut niveau de violences durant les périodes électorales. A la veille des élections générales de 2013, plus de 200 personnes ont été tuées dans des attaques à la bombe lors des rassemblements politiques. Pendant les elections generals de 2018, plus de 170 personnes ont été tuées par des bombes dans les provinces de Khyber Pakhtunkhwa et de Balochistan; des éminents candidats locaux étaient parmi les victimes. Des journalistes aussi ont fait l’objet de violences, menaces et harcèlement au moment des élections. En juin 2018, avant les élections de juillet, la Fondation de la presse du Pakistan (PPF) a lancé un mécanisme de compte-rendu et de surveillancedes élections en rapport avec les violences contre le personnel des médias et les institutions.
Dans ses rapports réguliers sur la liberté de la presse, la PPF surveille la panoplie des abus subis par les médias. En mai 2017, la Fondation a indiqué que trois membres de la presse avaient perdu la vie entre janvier 2016 et avril 2017, et que treize autres avaient été blessées dans des attaques dans l’exercice de leur fonction, et plusieurs autres arrêtés et brièvement détenus. Les lois pénales sur la diffamation ont abouti à des condamnations, comme la condamnation en janvier 2017 à cinq ans de prison de deux journalistes pour avoir accusé de malversations un promoteur immobilier. Les enlèvements, dont le nombre est sous-estimé, en raison des craintes éprouvées par les familles que la publicité puisse aggraver leur situation, et représentent un danger particulier auquel sont confrontés les journalistes dans les zones de conflit et les zones tribales. Les femmes journalistes sont particulièrement vulnérables, victimes de harcèlement sexuel et d’intimidations à la fois au sein de leur profession et à l’extérieur. En conséquence de ces graves menaces et de la peur d’une surveillance permanente, les journalistes s’autocensurent de plus en plus.
En novembre 2017, le gouvernement pakistanais a suspendu des chaines privées de télévision et des sites des médias sociaux dans le but d’empêcher la couverture des manifestations publiques.
En 2017, un projet de loi sur la « Sécurité sociale et la protection des ‘journalistes' » a été déposé mais il a été critiqué par la FPP pour n’avoir pas prévu des mesures en vue de lutter contre l’impunité et les attaques contre la presse.
Selon Front Line Defenders, le Pakistan est aussi un environnement très dangereux pour les défenseurs des droits de la personne et les militants œuvrant pour la protection des droits de la personne, sans distinction d’activités. Ils sont victimes de menaces, d’attaques, d’enlèvements et même de meurtres, et travaillent sur des questions syndicales, religieuses et des droits des minorités et des transsexuels ou prennent position contre la violence envers les femmes. Il existe peu de secteurs, voire aucun, où les défenseurs des droits de la personne peuvent exercer sans crainte. Un exemple récent est l’assassinat de l’avocat, Mohammad Jan Gigyani, spécialisé en droit du travail et en droit des femmes, abattu par des inconnus en mars 2017. M. Gigyani avait effectué les rites funéraires pour une femme transsexuelle et militante des droits de la personne prénommée, Alesha, et assassinée en mai 2016.
Pour ajouter à la pression, la loi controversée sur les crimes électroniques a été promulguée en août 2016 et criminalise un large spectre de libertés d’expression en instaurant de lourdes peines de prison et une surveillance poussée des échanges numériques. Un article troublant prévoit jusqu’à trois ans de prison pour la publication d’informations « susceptibles de nuire ou d’intimider la réputation ou la vie privée » d’autrui, venant sévèrement nuire à toute enquête portant sur les accusations de violence commises par des agents du gouvernement. L’organisation des droits numériques pakistanaise, Bytes For All, indique que cette loi est une invitation à l’abus de pouvoir pour des raisons idéologiques et politiques’, donnant aux autorités « le contrôle absolu de la diffusion de l’information ». L’adoption de la loi a été effectuée sans aucune transparence et très peu, pour ne pas dire aucun examen public ou de consultations avec la société civile ou le secteur privé. Un exemple récent de ce manque d’ouverture fut la fermeture brutale en janvier 2017 du site satirique populaire Khabaristan Times. Aucune autre raison ne fut donnée que cette mesure avait été prise à la suite de plaintes civiles et institutionnelles déposées auprès de l’Autorité des télécommunications du Pakistan. En janvier 2018, Bytes For All a fait une déclarationmettant en exergue de graves menaces à la liberté d’expression en ligne au Pakistan; en plus de la coupure des réseaux, ils ont cité l’usage par le gouvernement des « ciber armées » pour répandre des mensonges, inciter des menaces contre les militants et les enlèvements des blogueurs. Dans une déclaration de bienvenue en février 2018, un juge de la Haute cour a déclaré illégale la déconnexion des réseaux et disproportionnée la réponse aux menaces à la sécurité.
Le Pakistan possède également des lois sur le blasphème qui peuvent conduire à la peine de mort. Un rapport de décembre 2015 du Digital Rights Network Pakistansouligne que la loi s’applique aux écrits comme « aux représentations visibles, aux imputations, aux sous-entendus ou insinuations », et s’applique également aux web, « donnant beaucoup de liberté aux auditeurs ou à des tierces parties de porter des accusations pour blasphème ». Ce rapport précise que la loi sur le blasphème, instauré en 1987, a entraîné une hausse des actes de violence en particulier à l’encontre des minorités religieuses, pour lesquelles le gouvernement n’a montré que peu d’intérêt. La peine de mort prononcée à l’encontre de Taimore Raza, en juillet 2017, pour le partage d’images à caractère « haineux » sur les médias sociaux est un exemple frappant de l’application arbitraire des lois sur le blasphème et de la surveillance gouvernementale. L’existence de ces lois s’inscrit dans un environnement d’extrême intolérance religieuse de la société Pakistanaise en générale, comme le prouve l’effroyable meurtre de Mashal Khan, en avril 2017, qui fut pris à partie et lynché par d’autres élèves de son université motivés par la remarque d’un registraire d’avis qu’il avait commis un blasphème sur les sites de médias sociaux.
L’impunité – un catalogue d’obscurantismes et d’inactions
En 2013, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a publié son rapport, les racines de l’impunité, qui cite le Pakistan comme la quatrième nation la plus meurtrière dans le monde envers la presse, avec au moins 23 assassinats ciblés de journalistes depuis 2003. Beaucoup d’autres ont été victimes d’attentats suicide et de violences liées au conflit. Depuis que le rapport a été publié, le CPJ a enregistré huit autres meurtres, cinq d’entre eux clairement ciblées.
Les condamnations pour les meurtres de professionnels des médias et de défenseurs des droits de la personne sont rares. Les familles et les partisans des personnes décédées et disparues vivent sous le voile de l’impunité, en essayant de trouver justice. Un petit échantillon des cas qui languissent dans l’impunité comprend:
• L’avocat et coordonnateur régional de la Commission des droits de l’homme du Pakistan, Rashid Rehman a été abattu dans son bureau en mai 2014. Il représentait un professeur d’université accusé de blasphème.
• Shan Dahar, chef de bureau de l’Abb Takk Television, qui est mort après avoir été blessé par balle en janvier 2014. Ayant fui le pays, ses assassins présumés sont jugés par contumace. En avril 2016, la police du Sind a annoncé qu’elle allait rouvrir l’enquête sur la mort de Dahar, mais a réalisé très peu de progrès à ce jour.
• En août 2015, la journaliste Zeenat Shahzadi a été enlevée à Lahore. Elle enquêtait sur l’enlèvement d’une autre personne. Première femme journaliste victime d’un enlèvement, elle compte parmi les 86 disparitions enregistrées auprès de la Commission non gouvernementale pakistanaise des droits de la personne (à ne pas confondre avec la Commission nationale pour les droits de l’homme). Une enquête officielle sur sa disparition n’a pas encore été ouverte.
Les massacres se poursuivent en 2017, avec la mort, en février, d’une employée de la chaîne de télévision Samaa, lorsque le véhicule de presse dans lequel elle se trouvait a été pris pour cible par les talibans. En juin 2017, le journaliste Bakhsheesh Elahi a été assassinée dans la ville de Haripur par des inconnus.
Les mécanismes « édentés » des droits de l’homme
La création d’une Commission nationale pour les droits de l’homme en 2015 a été accueillie favorablement par les groupes locaux de défense des droits, mais sa mission est très limitée, ce qui conduit la Commission internationale de juristes à la décrire comme « une naissance sans dents ». La Commission ne peut pas enquêter sur « les agissements ou les pratiques des agences de renseignement », et dans le cas d’exactions des forces armées, elle ne peut que demander un rapport de la part du gouvernement et faire des recommandations. La création de ce mécanisme a été accompagnée d’une réduction de la liberté d’action de la société civile. En octobre 2015, de nouvelles règles pour les ONG internationales opérant au Pakistan ont été mises en place, exigeant qu’ils s’inscrivent et obtiennent une autorisation préalable à toute activité dans le pays. L’inscription peut être révoquée pour la « participation à une activité incompatible avec l’intérêt national du Pakistan, ou contraire à la politique du gouvernement ». Un fonds de dotation mis en place par le gouvernement pour compenser les journalistes qui ont été blessés ou tués, bien qu’apprécié, n’est pas, comme le Secrétaire général de la Fondation de la presse du Pakistan, Owais Aslam Ali, le remarquait dans une entrevue de juillet 2017 « une réponse venant responsabiliser ceux qui s’attaquent à la liberté de la presse et aux journalistes […] à moins de s’attaquer directement à l’impunité, payer les victimes ne mettra pas fin aux agressions que subissent les journalistes. ».
Le Pakistan est l’un des pays prioritaires du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Alors que le plan a permis de créer le dialogue entre les intervenants des médias et le gouvernement et de faire avancer une nouvelle législation pour la protection des journalistes, la faiblesse institutionnelle et des problèmes de capacité ont ralenti sa mise en œuvre et empêché une amélioration significative du niveau de la sécurité et des poursuites.
Le Pakistan a signé ou ratifié la plupart des conventions des Nations Unies portant sur la protection des droits de l’homme, mais curieusement pas la Convention sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En juillet 2017, le Comité des droits de l’homme dans un rapport très critique, explique les problèmes chroniques auxquels se heurte l’application des droits de la personne. Ce rapport recommande que le Pakistan revoie ses dispositions légales relatives à la liberté d’expression, et exige une enquête complète et des réparations pour les journalistes et les défenseurs des droits de la personne qui ont été attaqués, enlevés ou assassinés. Il pointe également les lacunes de la loi sur la Prévention des crimes électroniques et demande instamment qu’elle soit mise en conformité avec le droit international.
En novembre 2017, le Pakistan s’était présenté devant le Conseil de l’ONU sur les droits de l’homme dans le cadre de son processus d’examen périodique universel, où son adhésion à la Charte des droits de l’homme au cours des cinq dernières années était examinée. Une présentation conjointe à l’ÉPU, remise par le PPF, ARTICLE 19 et l’IFEX indique la détérioration de la liberté d’expression au Pakistan au cours de cette période. Ces trois organisations avaient recommandé un examen systématique de la constitution, des cadres juridique et administratif; de prendre des mesures significatives pour la protection physique et juridique des victimes de violence, ainsi qu’une réforme des lois régissant les médias numériques. Ces réformes sont toutes essentielles pour lutter contre l’impunité qui prévaut au Pakistan. Sans ces mesures, les représentants gouvernementaux, les milices et les groupes extrémistes continueront de menacer, d’attaquer et même de tuer en toute impunité. A la suite de cet examen, PPF, ARTICLE 19 and IFEX avaient fait une déclaration en mars 2018 exprimant leur déception du fait que le Pakistan avait simplement « noté » une série de recommandations visant à protéger les journalistes. Le groupe avait aussi « profondément regretté » que le Pakistan ait refusé d’envisager d’enlever plusieurs menaces majeures à la liberté d’expression et à d’autres droits au Pakistan, tels que la législation sur le blasphème et la peine de mort.
PLUS DE RESSOURCES ET DE RENSEIGNEMENTS
Shan Dahar : Le combat d’une famille pour obtenir justice
ASIE ET PACIFIQUE Pakistan Press Foundation 18 June 2016
Le 1er janvier 2014, le journaliste pakistanais Shan Dahar a été abattu par des hommes armés et, une fois à l’hôpital, n’a reçu aucun soin jusqu’à ce qu’il a succombé à ses blessures. Plus de deux ans après les faits, aucun des auteurs n’a été traduit en justice.