Juillet 2024 en Europe et en Asie centrale : tour d’horizon de la liberté d’expression et de l’espace civique réalisé par Cathal Sheerin, rédacteur régionale de l’IFEX, sur la base des rapports des membres de l’IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La Russie continue de condamner les journalistes qui refusent de suivre la ligne du Kremlin sur la guerre en Ukraine ; quatre années de répression en Biélorussie ; l’accès à l’information menacé en Slovaquie ; la propre loi de l’UE sur les « agents étrangers » ; le droit de réunion pacifique sous pression dans toute l’Europe.
L’état du droit de manifester en Europe
En juillet, un juge britannique a prononcé des peines de prison draconiennes contre cinq militants du mouvement Just Stop Oil, qui militaient pour le climat, après avoir été reconnus coupables de « complot visant à provoquer un trouble public ». Les cinq militants avaient prévu d’organiser une manifestation pacifique.
En juin, la police allemande a arrêté un garçon de sept ans soupçonné d’avoir agressé un policier lors d’une manifestation pro-palestinienne, pour avoir supposément frappé le casque de l’agent avec un drapeau. L’enfant était l’un des six enfants arrêtés lors de l’événement.
En avril, la police française a arrêté 17 défenseurs de l’environnement pour des motifs « antiterroristes » après qu’ils eurent mené une action de protestation sur le site d’une usine de béton à Rouen.
Si vous n’êtes pas encore inquiet de l’état du droit de manifester en Europe, vous devriez l’être.
Exercer notre droit à la liberté de réunion, si étroitement lié au droit à la liberté d’expression, est un moyen essentiel pour nous de nous faire entendre, de faire progresser les droits humains et de faire pression pour un changement politique.
Pourtant, un nouveau rapport d’Amnesty International montre que les pays européens stigmatisent et criminalisent de plus en plus les manifestants pacifiques, déployant « des moyens toujours plus répressifs pour étouffer la dissidence ».
Le rapport, Under-protected and over-restricted: The state of the right to protest in 21 countries in Europe [Peu protégé et trop restreint : l’état du droit de manifester dans 21 pays d’Europe], examine « l’état actuel du droit de rassemblement pacifique » en Autriche, en Belgique, en Tchéquie, en Finlande, en France, en Allemagne, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal, en Serbie, en Slovénie, en Espagne, en Suède, en Suisse, en Turquie et au Royaume-Uni.
S’appuyant sur des recherches menées entre décembre 2022 et septembre 2023, le rapport donne un aperçu de la manière dont des lois et des pratiques spécifiques ont été utilisées pour restreindre le droit à la liberté de rassemblement au cours de cette période. La plupart des exemples fournis par Amnesty se sont produits à ces dates. Toutefois, certains exemples – qui « illustrent les préoccupations actuelles » – proviennent d’une période postérieure à la période en question : on compte notamment les tentatives des autorités européennes de réprimer les voix pro-palestiniennes depuis octobre 2023.
Quelques-unes des principales conclusions du rapport :
- La police a fréquemment fait un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques (parfois même des enfants) en Belgique, en Finlande, en France, en Allemagne, en Grèce, en Italie, en Pologne, en Slovénie, en Serbie, en Espagne et en Suisse.
- Les abus commis par les forces de l’ordre ont fait l’objet d’une impunité généralisée. Parmi les pays où la police échappe fréquemment à toute responsabilité figurent : l’Autriche, la Belgique, la France, la Grèce, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Serbie, la Slovénie, l’Espagne, la Suisse, la Turquie et le Royaume-Uni.
- L’utilisation ciblée et massive d’outils de surveillance contre les manifestants est en augmentation. Cela comprend le suivi et la surveillance de leurs activités, la collecte et le stockage de leurs données, et une augmentation marquée de l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale.
- Les autorités de toute l’Europe ont eu recours à des calomnies pour salir et décrédibiliser les manifestations et les manifestants. Les termes « terroristes », « criminels », « agents étrangers », « anarchistes » et « extrémistes » sont fréquemment employés pour justifier l’adoption de lois toujours plus restrictives.
- Les militants écologistes ont souvent été qualifiés d’« écoterroristes » ou de « criminels » dans des pays comme l’Allemagne, l’Espagne et la Turquie, où les autorités les ont ciblés en les mettant sous le coup des lois antiterroristes et de sécurité nationale.
- Plusieurs pays ont imposé des restrictions radicales aux manifestations pacifiques (et en particulier aux manifestations pro-palestiniennes) pour de faux motifs de « sécurité nationale » et d’« ordre public ».
- Huit pays – l’Autriche, la Belgique, la Tchéquie, la France, l’Allemagne, le Portugal, la Turquie et le Royaume-Uni – ont interdit totalement les manifestations à proximité des bâtiments gouvernementaux et autres bâtiments publics. Dans quatre pays – la Belgique, le Portugal, la Serbie et la Turquie –, les manifestations et les rassemblements sont limités à certaines heures.
- Les groupes racialisés et marginalisés sont touchés de manière disproportionnée par les mesures anti-manifestations et les mesures de maintien de l’ordre. Les restrictions imposées aux manifestations par – ou en solidarité avec – « des groupes racialisés, des personnes LGBTQI+, des migrants, des demandeurs d’asile ou des réfugiés ont été justifiées par des inférences basées sur des stéréotypes raciaux et sexistes, manifestant un racisme institutionnel, de l’homophobie, de la transphobie et d’autres formes de discrimination ».
Amnesty International présente une longue liste exhaustive de recommandations pour aider les États à mettre leurs législations, leurs politiques et leurs pratiques en matière d’application des lois en conformité avec leurs obligations au titre du droit international des droits humains. Consultez le rapport pour en savoir plus.
Condamnations de personnalités en vue en Russie
En Russie, la répression du journalisme indépendant qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par Poutine en 2022 ne montre aucun signe d’affaiblissement. En juillet, le Moscow Times a été interdit en tant que « organisation indésirable » et de lourdes peines ont été prononcées dans plusieurs affaires très médiatisées.
Le journaliste américain Evan Gershkovich a été condamné à 16 ans de prison pour des accusations d’espionnage fabriquées de toutes pièces. Il a été arrêté en 2023 et accusé d’avoir collecté des « informations secrètes » pour la CIA sur une usine de chars russes.
Lors d’un procès secret, la journaliste de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) et citoyenne américano-russe Alsu Kurmasheva a été condamnée à 6,5 ans de prison pour « diffusion de désinformation » sur l’armée russe. Reporters sans frontières a lancé une pétition demandant au Département d’État américain de déclarer Mme Kurmasheva « détenue à tort » et de « défendre clairement et systématiquement » sa cause.
Dans des procès séparés, les journalistes Masha Gessen et Mikhail Zygar ont été respectivement condamnés par contumace à huit et huit ans et demi de prison. Tous deux ont été reconnus coupables de « diffusion de désinformation » sur l’armée russe.
Ces dernières semaines, les autorités russes ont pris pour cible plus d’une douzaine de journalistes exilés dans ce que le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a qualifié de « campagne croissante de répression transnationale ».
Quatre ans de persécution en Biélorussie
En Biélorussie, le mois d’août marquera le quatrième anniversaire de l’élection présidentielle truquée qui a ramené Loukachenko au pouvoir et déclenché une vague de persécutions contre les médias indépendants et la société civile.
Au cours de ces quatre années, le journalisme indépendant en Biélorussie a été décimé : la plupart des médias indépendants ont désormais été déclarés « extrémistes » et interdits. Selon l’Association biélorusse des journalistes (BAJ), 38 journalistes et professionnels des médias sont actuellement derrière les barreaux. 400 autres ont été contraints à l’exil.
La « purge » des organisations de la société civile (OSC) menée par Loukachenko a été tout aussi destructrice. Selon Law Trend, 1 696 OSC ont été fermées depuis août 2020. Parmi elles, 1 061 ont été liquidées de force par le gouvernement ; les 635 restantes ont choisi de cesser leurs activités en raison du contexte répressif général.
Selon l’organisation biélorusse de défense des droits humains Viasna, plus de 5 000 condamnations pénales pour motifs politiques ont été prononcées depuis août 2020. On compte près de 1 400 prisonniers politiques.
En juillet, PEN Belarus a publié un aperçu des quatre dernières années de répression du point de vue du secteur culturel. Les statistiques présentées sont surprenantes :
- Fin juin 2024, au moins 164 travailleurs du secteur culturel étaient en prison ou assignés à résidence.
- Au moins 1 900 membres du secteur culturel ont été victimes de persécutions et de censure à motivation politique depuis 2020.
- Au moins 960 travailleurs culturels ont été détenus arbitrairement.
- Au moins 281 travailleurs du secteur culturel ont été condamnés au pénal.
- Au moins 209 personnalités du secteur culturel ont été répertoriées comme impliquées dans des activités « extrémistes » et au moins 31 ont été répertoriées comme « terroristes ».
En bref
Chypre semble suivre les traces de la Russie et de la Turquie. Les législateurs proposent des modifications à la loi qui introduiront des peines de prison allant jusqu’à cinq ans pour toute personne surprise en train de diffuser de « fausses » nouvelles ou d’écrire des commentaires « offensants ». La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a demandé le retrait de l’amendement. Il devrait être présenté lors de la session plénière du parlement en septembre.
La persécution des journalistes critiques en Turquie se poursuit sans relâche, comme en témoigne la condamnation douteuse début juillet de huit journalistes kurdes à six ans de prison chacun. Ils sont accusés d’« appartenance à une organisation terroriste ». En réponse à cette répression continue, IFEX s’est jointe aux groupes de défense de la liberté d’expression pour demander aux gouvernements et aux décideurs politiques européens de faire davantage pour aider les journalistes indépendants dans le pays et de « garantir que la liberté des médias et les droits fondamentaux soient placés au cœur des relations futures avec la Turquie ».
Le gouvernement de Slovaquie envisage de restreindre le droit d’accès à l’information. Un récent projet de loi propose de facturer des frais pour répondre à certaines demandes d’accès à l’information et introduit le concept d’« information limitée », qui permettrait aux autorités de rejeter les demandes d’information qui porteraient atteinte à l’activité ou à la crédibilité d’une autorité publique. ARTICLE 19 a appelé la Slovaquie à retirer ces propositions.
ARTICLE 19 a également appelé l’UE à abandonner une proposition de Directive sur les services de représentation d’intérêt pour le compte de pays tiers qui « pourrait avoir un impact grave sur les droits à la liberté d’association et à la liberté d’expression et réduire l’espace civique ». En l’état actuel des choses, le texte actuel de la Directive exige que les OSC des pays de l’UE s’enregistrent si elles reçoivent des fonds d’un pays étranger et qu’elles mènent des « activités de représentation d’intérêts » pour ce pays ; elles sont également tenues de rendre compte de leurs financements et de leurs activités aux autorités, sous peine de sanctions.
À la mi-juillet, Ursula von der Leyen a été reconduite à la présidence de la Commission européenne. Des membres de l’IFEX et d’autres organisations l’ont publiquement exhortée à « veiller à ce que la liberté des médias, la protection des journalistes et l’accès des citoyens de l’UE au journalisme d’intérêt public restent des priorités politiques majeures » pendant son mandat.
En Roumanie, Active Watch, le Center for Independent Journalism et d’autres groupes de défense des droits des médias ont écrit une lettre ouverte aux autorités judiciaires, demandant à la Direction d’enquête sur le crime organisé et le terrorisme (DIICOT) de mettre fin à son harcèlement continu des journalistes. Ces groupes ont lancé cet appel public après que la DIICOT a exigé que les journalistes de Rise Project (qui avaient récemment publié une enquête sur les passeurs de migrants et le sort des travailleurs étrangers) partagent leurs sources avec les autorités.