Juillet 2023 en Europe et en Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le mois de juillet a vécu le ciblage, en Turquie, des éditeurs du site Bianet ; alors qu’une nouvelle législation menace la liberté d’expression et la société civile en Biélorussie, en Croatie, en République serbe et en Russie, des victoires pour la défense des droits ont été saluées au Kirghizistan et en Azerbaïdjan.
Les éditeurs de Bianet ciblés
En juillet, deux rédacteurs en chef de Bianet ont été pris pour cible en Turquie, uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.
Le 27 juillet, il a été révélé qu’Ayça Söylemez, rédactrice en chef de Bianet Human Rights, faisait l’objet d’une action en justice pour avoir « attaqué des responsables du contre-terrorisme » dans une chronique qu’elle a écrite pour le journal BirGün en 2020. La chronique en question était un commentaire sur un juge et certains des procès de journalistes et d’hommes politiques qu’il présidait alors. Ce juge est maintenant vice-ministre de la Justice. Söylemez risque jusqu’à trois ans de prison si elle est reconnue coupable.
Le 25 juillet, Evrim Kepenek, rédactrice en chef de Bianet Women and LGBTI+ Rights, était l’une des cinq journalistes arrêtés (les autres étaient Sibel Yükler, Delal Akyüz, Evrim Deniz et Fırat Can Arslan) pour avoir partagé sur Twitter un article de Fırat Can Arslan. L’article révélait que l’un des juges supervisant une affaire très médiatisée contre 18 travailleurs des médias kurdes est marié au procureur qui a préparé l’acte d’accusation. Les cinq journalistes feraient l’objet d’une enquête pour « divulgation et publication mettant en danger un agent public dans le cadre de fonctions antiterroristes ». Tous ont été libérés après une courte période à l’exception d’Arslan, qui a été placé à l’isolement. Une interdiction de voyager à l’étranger a été imposée à Kepenek de Bianet et un tribunal a bloqué l’accès à l’article d’Arslan.
Le mois de juillet a apporté une évolution applaudie dans l’affaire citée plus haut des 18 professionnels des médias kurdes : les 15 qui étaient toujours derrière les barreaux ont été libérés dans l’attente de leur procès. Ils ont passé 13 mois en détention provisoire. Tous les 18 font face à de douteuses accusations de terrorisme.
Un rapport publié ce mois-ci a montré que la censure en ligne en Turquie a augmenté. L’étude Blocked Web de la Freedom of Expression Association a montré que 137 000 adresses Web ont été bloquées en 2022. Cela représente une augmentation de 28 % par rapport au chiffre de 2021 et constitue un nouveau record. Selon cette étude, un total de 6 528 reportages considérés comme d’intérêt public ont été bloqués en raison de prétendues « violations du droit à la vie privée ». Étonnamment, le site Web du journal Sabah, proche du gouvernement, a connu le plus grand nombre d’articles bloqués.
« Répondre aux actions hostiles »
Le 1er juillet, le président Loukachenka a promulgué une loi qui étend le contrôle des autorités sur les médias. Selon l’agence de presse publique BelTA, cette loi – qui amende la loi sur les médias de masse – « vise à améliorer les mécanismes de protection des intérêts nationaux dans le domaine des médias, ainsi qu’à élargir les outils de réponse aux actions hostiles contre la Biélorussie ».
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui a appelé à l’abolition de cette loi, l’a décrite comme l’expression des pratiques répressives déjà largement utilisées dans la sphère juridique. Cette nouvelle législation habilite le ministère de l’Information à interdire les activités des médias étrangers en Biélorussie en représailles aux « actions hostiles » d’un État étranger. Par ailleurs, elle élargit le fondement du blocage des sites d’information étrangers et locaux et permet à l’État de retirer la licence d’un média si son fondateur ou propriétaire est impliqué dans des activités « extrémistes » ou « terroristes ». Ces dernières années, plusieurs médias indépendants et acteurs de la société civile, comme l’Association biélorusse des journalistes (BAJ), membre de l’IFEX, ont été catégorisés comme « extrémistes » ou « terroristes ».
Parmi les personnes visées par des accusations d’« extrémisme » en juillet figuraient le journaliste Pavel Mazheika et l’avocate Yulia Yurhilevich. Ils ont chacun été condamnés à six ans de prison pour « promotion d’activités extrémistes », sur la base de leur prétendu partage d’informations avec la chaîne de télévision polonaise Belsat. Cette dernière avait été qualifiée d’ « extrémiste » en 2021. Comme le souligne Human Rights Watch (HRW), les informations prétendument partagées avec Belsat étaient déjà disponibles sur les sites Web du gouvernement biélorusse et concernaient le travail de Yulia Yurhilevich pour la défense des détenus politiques et sa radiation par les autorités en 2022.
Vers la fin du mois, l’ancienne journaliste Larysa Shchyrakova a été jugée à huis clos pour « facilitation d’activités extrémistes » et « discrédit sur la Biélorussie ». Elle risque jusqu’à sept ans de prison si elle est reconnue coupable.
[ Traduction : Solidarité avec l’ex-journaliste Larysa Shchyrakova, qui est jugée aujourd’hui en #Biélorussie. Elle risque jusqu’à 7 ans d’emprisonnement pour des accusations fallacieuses et elle fait partie des 32 journalistes derrière les barreaux à la suite de la répression de Loukachenka contre l’espace civique. #FreeLarysa ]
Dans une requête conjointe au Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Biélorussie en juin, ARTICLE 19 a mis en exergue l’utilisation par les autorités biélorusses de la législation « anti-extrémisme » pour réprimer la société civile
Le 9 août est le troisième anniversaire de l’élection présidentielle contestée. Celle-ci avait maintenu Loukachenka au pouvoir, déclenché une vague de protestation populaire contre le résultat et lancé une répression sévère contre la liberté d’expression et la société civile. Les membres de l’IFEX et d’autres personnes marqueront cet anniversaire de diverses façons. Pour un aperçu mois par mois des principaux événements en Biélorussie depuis les élections de 2020, consultez la chronologie biélorusse de l’IFEX.
Attaques législatives contre l’espace civique et la liberté d’expression
La Biélorussie n’est pas la seule à avoir connu des développements législatifs inquiétants en juillet.
Malgré les protestations internationales et régionales, la diffamation a été à nouveau criminalisée en République serbe (RS), l’entité à majorité serbe de Bosnie-Herzégovine. Les experts de l’ONU ont appelé la RS à abroger la législation, soulignant le risque évident qu’elle présente pour la liberté d’expression et l’espace civique dans le pays.
En Croatie, des groupes de journalistes ont vivement critiqué un projet de loi restrictif sur les médias, dont le brouillon de travail a fuité ce mois-ci. En vertu du projet de loi dans sa forme actuelle, un « registre » des journalistes sera constitué ; les journalistes devront divulguer leurs sources à leurs rédacteurs en chef ; les propriétaires de médias pourront refuser de publier un reportage sans explications, mais un journaliste ne pourra pas refuser une mission sans donner une bonne raison ; l’État soutiendra les sites sur abonnement, mais seulement s’ils représentent la version en ligne de la presse écrite ; et il sera interdit aux journalistes et aux professionnels des médias de critiquer le travail des tribunaux et des bureaux des procureurs. La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a décrit le projet de loi comme un effort pour « étouffer les médias » et une « tentative des autorités publiques de contrôler les médias, comme en Hongrie et en Pologne ».
La Russie a poursuivi sa guerre législative contre les droits humains et la société civile en juillet. Vers la fin du mois, les législateurs de la chambre basse du parlement ont adopté un projet de loi interdisant de fait la collaboration avec des ONG étrangères non enregistrées. Les sanctions pour infraction à cette loi vont d’amendes pour une première infraction à trois ans de prison en cas de récidive. HRW a décrit cette législation comme une tentative « d’isoler davantage les activistes russes de leurs collègues internationaux et de les laisser sans soutien dans un environnement de plus en plus hostile ».
Le gouvernement russe persécute les personnes LGBTQI+ depuis plus d’une décennie et semble maintenant déterminé à légiférer pour éliminer les personnes trans. Ce mois-ci, le président Poutine a promulgué une loi interdisant aux travailleurs de la santé de « réaliser des interventions médicales visant à changer le sexe d’une personne » et interdisant de modifier le sexe d’une personne sur les documents officiels. La loi interdit également aux personnes trans de devenir des parents nourriciers ou adoptifs et annule les mariages où l’un des partenaires a déjà changé de sexe.
La chambre basse du parlement russe a également adopté une loi accordant l’immunité pour les crimes commis « dans l’intérêt de l’État russe ». Selon HRW, le but apparent de la loi est de protéger les soldats, les représentants de l’État et les mercenaires russes contre toute responsabilité pour les violations des droits humains commises dans l’Ukraine occupée par la Russie. Il existe des preuves très solides que les forces russes ont torturé, détenu illégalement et fait disparaître de force des civils dans les zones occupées. Selon l’Institute of Mass Information (IMI), depuis le début de l’invasion, l’armée russe a également commis 524 crimes et délits contre les médias en Ukraine.
Victoires saluées pour la défense des droits
Au Kirghizistan, une décision de justice fermant le service kirghize de RFE/RL (Radio Azattyk) a été abrogée en juillet. La fermeture avait été ordonnée suite au refus du média de retirer une vidéo montrant les affrontements de l’année dernière à la frontière kirghize-tadjike, ce qui a également conduit les autorités à bloquer le site Web de RFE/RL en octobre. Le président par intérim de RFE/RL, le Dr Jeffrey Gedmin, a attribué l’annulation de la fermeture au plaidoyer de la communauté internationale, auquel les membres de l’IFEX ont participé.
Toujours en juillet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué que l’Azerbaïdjan avait violé les droits humains du journalistes et militant des droits humains Emin Huseynov lorsqu’il a été privé de sa citoyenneté par décret présidentiel en 2015. La révocation de la citoyenneté de Huseynov est intervenue après une longue persécution. l’ayant obligé à fuir en exil. En 2018, l’IFEX, CPJ, International Media Support et International Senior Lawyers Project ont soumis une tierce intervention à la CEDH en soutien à Huseynov.