Europe et Asie centrale. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et de nouvelles de la région, par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Répression de la liberté d’expression avant les élections générales en Turquie ; une victoire pour le journalisme en Biélorussie ; des personnalités de premier plan persécutées en Russie pour avoir critiqué la guerre ; des membres de l’IFEX en Europe et en Asie centrale célèbrent la Journée mondiale de la liberté de la presse.
« Démantèlement des médias pro-kurdes »
La répression de la Turquie contre les médias et les voix dissidentes s’intensifie alors que le pays se dirige vers des élections générales le 14 mai.
Le 29 avril, 49 mandats d’arrêt ont été délivrés contre des personnes, dont des journalistes, dans 15 provinces. Les voix kurdes continuent de porter le fardeau le plus lourd de la persécution.
Quelques jours plus tôt, le 25 avril, 128 personnes ayant des liens avec les Kurdes – journalistes, politiciens, artistes et militants – avaient été arrêtées lors de raids dans 21 villes, entraînant 28 arrestations. Reporters sans frontières a décrit ces détentions comme « une manœuvre politique visant à démanteler les médias pro-kurdes et à déstabiliser les partis d’opposition avant les élections ». Des groupes de défense des droits ont appelé à la libération immédiate de tous les détenus. Un groupe de femmes journalistes qui ont protesté contre les arrestations ont été battues et détenues à Diyarbakir, la plus grande ville de Turquie à majorité kurde.
Plus tôt dans le mois, un tribunal a ratifié les charges contre 18 professionnels des médias kurdes arrêtés lors d’une précédente vague d’arrestations et détenus depuis juin 2022. Leur procès pour « appartenance à une organisation illégale » débutera le 11 juillet.
Depuis des années, les membres de l’IFEX expriment leurs inquiétudes quant à la menace que fait peser le gouvernement du président Erdoğan sur la liberté d’expression et le processus démocratique.
En avril, les membres de l’IFEX ont publié une déclaration appelant le régulateur turc des médias audiovisuels (RTÜK) à cesser d’imposer des amendes aux diffuseurs pour leurs reportages critiques du gouvernement. RSF a également formulé 15 recommandations aux candidats aux élections, les invitant à « défendre la liberté de la presse » en restaurant l’indépendance de la justice et en réformant la loi pour protéger les journalistes.
La communauté LGBTQI+ de Turquie continue d’être la cible de la rhétorique de guerre culturelle d’Erdoğan. Le sentiment anti-LGBTQI+ est en hausse depuis plusieurs mois en Turquie, encouragé par le parti au pouvoir. Ce mois-ci, Erdoğan a accusé l’opposition politique d’être « pro-LGBT » et a déclaré aux électeurs que « le 14 mai sera le jour pour donner une leçon à ceux qui soutiennent les LGBT et la violence contre les femmes ».
Il convient de souligner que la préoccupation apparente d’Erdoğan pour les victimes de violences basées sur le genre n’a pas d’écho dans ses actions : en 2021, il a retiré la Turquie de la Convention d’Istanbul sur la prévention de la violence à l’égard des femmes.
Peine lourde pour Raman Pratasevich
Le 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, un tribunal biélorusse a condamné le rédacteur en chef Raman Pratasevich à huit ans de prison pour son travail pour la chaîne Telegram NEXTA. Ses collègues de NEXTA, Yan Rudzik et Stsypan Putsila, ont été condamnés par contumace à respectivement 19 et 20 ans de prison. Ils ont été reconnus coupables de plusieurs chefs d’accusation, dont « l’organisation de manifestations de masse » et l’appel public à « la prise du pouvoir et des actes de terrorisme ». En avril 2022, les autorités ont qualifié NEXTA d’« organisation terroriste ».
[ Traduction : Le régime biélorusse montre à nouveau son mépris pour la justice en condamnant 3 journalistes dans un simulacre de procès le jour de la célébration de la #JournéeDeLaLibertéDeLaPresse. 20 ans pour Stsiapan Putsila, 19 ans pour Yan Rudzik, tous deux jugés par contumace. Raman Pratasevich à 8 ans. Il est l’otage du régime depuis le détournement de l’avion de @Ryanair. ]
Tout au long du mois d’avril, la persécution des journalistes biélorusses s’est poursuivie sans relâche : Kanstantsin Zalatykh, directeur du journal Belorusy i Rynok, a été condamné à quatre ans de prison pour diverses accusations de diffamation ; Aliaksandr Mantsevich, rédacteur en chef de Rehijanalnaja Hazeta, a été accusé de « diffusion de fausses informations » et risque quatre ans de prison s’il est reconnu coupable ; enfin, le journal Infa-Kurier a cessé de paraitre après que les autorités l’ont qualifié d’« extrémiste ».
Cependant, le mois d’avril a également enregistré une victoire pour le journalisme biélorusse lorsque le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a décidé que le régime de Loukachenko avait violé le droit à la liberté d’expression de quatre journalistes. Chacun d’entre eux s’était vu infliger des amendes administratives pour « distribution de produits médiatiques sans accréditation ».
Les journalistes Tatsiana Smotkina, Dzmitry Lupach, Tamara Schapetkina et Larysa Schyrakova avaient été inculpées et condamnées à une amende en vertu de la loi biélorusse draconienne sur les médias de masse, qui interdit aux journalistes de travailler avec des médias étrangers sur le territoire biélorusse s’ils n’ont pas d’accréditation de presse les identifiant comme représentant des médias étrangers.
La Biélorussie est désormais obligée d’indemniser les journalistes pour les amendes et de payer leurs frais de justice ; elle devra également réformer la loi sur les médias de masse.
PEN America a publié son rapport Freedom to Write Index (Classement de la liberté d’écrire) pour 2022 en avril. Il rapporte que 16 écrivains et intellectuels connus ont été détenus en Biélorussie en 2022. Nombre d’entre eux l’ont été pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.
« Une tentative pour démoraliser et étouffer l’activisme civique »
En avril, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné la mort d’un autre journaliste, lorsque des tireurs d’élite russes à Kherson ont abattu un producteur du journal italien La Repubblica, Bohdan Bitik, et blessé le correspondant du journal, Corrado Zunino. Les deux journalistes arboraient des brassards « Presse » au moment de l’attaque.
En Russie, l’homme politique de l’opposition et éminent critique de la guerre Vladimir Kara-Murza a été reconnu coupable de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe et d’implication dans une « organisation indésirable ». Kara-Murza, arrêté en avril 2022, a été condamné à 25 ans de prison. Human Rights Watch a décrit le calvaire de Kara-Murza orchestré par le Kremlin comme une « parodie » et « une partie de ses stratégies pour démoraliser et réprimer l’activisme civique ».
Moins de deux semaines après la condamnation de Kara-Murza, le président Poutine a signé des amendements à la loi permettant de retirer la citoyenneté russe aux citoyens naturalisés reconnus coupables de trahison ou de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe. La peine potentielle pour trahison a également été portée à la réclusion à perpétuité.
À la fin du mois, Oleg Orlov – coprésident du groupe de défense des droits de l’homme Memorial et l’un des plus éminents défenseurs des droits de l’homme en Russie – a été inculpé pour avoir « discrédité » à plusieurs reprises l’armée depuis que la Russie a commencé sa guerre contre l’Ukraine. Il risque jusqu’à trois ans de prison s’il est reconnu coupable. Les accusations sont basées sur les manifestations anti-guerre d’Orlov et sa critique de la guerre sur les réseaux sociaux.
Depuis février 2022, au moins 66 personnes ont été poursuivies pénalement pour avoir « discrédité » à plusieurs reprises l’armée.
[ Traduction: #Russie : l’éminent défenseur des droits humains Oleg Orlov a été stigmatisé et condamné à une amende pour avoir dénoncé l’invasion de l’Ukraine et la répression brutale contre la société civile russe. Arrêtez la censure. Arrêtez la violence. ]
Faire entendre la voix de la liberté d’expression : les membres de l’IFEX célèbrent la Journée mondiale de la liberté de la presse
De nombreuses organisations du réseau IFEX plaident pour la liberté de la presse dans les espaces en ligne et hors ligne tout au long de l’année. Pour honorer la Journée mondiale de la liberté de la presse, des membres d’Europe et d’Asie centrale ont pris part à diverses initiatives et activités pour défendre les droits des journalistes, qui sont inextricablement liés au droit des personnes, à la liberté d’expression et d’information. Voici quelques-uns des faits saillants montrant comment les membres de l’IFEX ont marqué cette journée :
- L’Association biélorusse des journalistes (BAJ) a organisé un Marathon de solidarité pour montrer son soutien aux journalistes biélorusses. La BAJ a lancé l’action à Vilnius, en Lituanie, et a appelé les journalistes et les organisations du monde entier à faire pression sur le président Loukachenko pour qu’il libère les 33 journalistes actuellement emprisonnés en Biélorussie.
- En Turquie, Bianet a publié son rapport de surveillance des médias BIA, qui donne un aperçu de la détérioration de l’environnement de la liberté d’expression avant les élections générales de mai.
- La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a organisé une conférence de deux jours à Bruxelles sur comment créer un environnement de travail plus sûr et plus sain pour les journalistes.
- Independent Journalism Centre de Moldavie a organisé une brève manifestation devant l’ambassade de Russie pour protester contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie et souligner les conséquences de la guerre sur les médias.
- International Press Institute a publié une déclaration appelant la République tchèque à donner la priorité à la sauvegarde de la liberté des médias et le gouvernement à relancer les plans de réforme des médias qui se sont arrêtés l’année dernière.
- Mediacentar Sarajevo a publié un aperçu des principales menaces auxquelles sont confrontés les journalistes en Bosnie-Herzégovine au cours de l’année depuis le 3 mai 2022, soulignant les mesures visant à criminaliser à nouveau la diffamation en République serbe de Bosnie.
En bref
En avril, RSF s’est vu interdire de rendre visite au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, à la prison de Belmarsh, au Royaume-Uni, malgré la confirmation officielle que la visite serait autorisée. Plus tard dans le mois, dans un acte de solidarité avec l’éditeur emprisonné, les syndicats membres de la FEJ ont fait d’Assange un membre de leurs organisations.
Fin avril, un tribunal kirghize a ordonné la fermeture du service en langue kirghize de Radio Free Europe Radio Liberty (RFE/RL), Radio Azattyk, en raison du refus du diffuseur de retirer une vidéo de septembre 2022 sur des affrontements dans une section contestée de la frontière tadjiko-kirghize. Les autorités ont affirmé que la vidéo était pro-tadjike et ont bloqué le site Web de Radio Azattyk en octobre 2022. Le mois suivant, les comptes bancaires du média ont été gelés en vertu de la législation sur le blanchiment de capitaux.
IFEX s’est joint aux groupes de défense des droits pour demander aux autorités de Malte d’accorder une protection totale à l’écrivain, militant et président de l’ONG Republika, Robert Aquilina. Ce dernier a été la cible de plusieurs menaces ces dernières années et est sous protection policière depuis 2021 (bien que celle-ci ait été réduite en juillet 2022). Repubblika est une ONG de défense des droits humains et de l’État de droit ; elle critique fréquemment les manquements des autorités maltaises.