Février en Europe et en Asie centrale: Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression, basé sur les rapports de membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de l’article original.
Turquie: la commission de l’UE décide de suspendre les négociations d’adhésion
Le 20 février, la commission des affaires étrangères du Parlement européen a voté en faveur de la suspension des négociations d’adhésion entre Ankara et l’UE, invoquant le mépris de la Turquie pour les droits humains et les libertés civiles. Alors que la décision a été critiquée par le ministère turc des Affaires étrangères, les événements de février ont beaucoup pesé dans l’argumentaire du Comité.
Tard dans le courant du mois, Erol Önderoğlu, membre de l’IFEX, le défenseur des droits humains Şebnem Korur Fincancı et le journaliste Ahmet Nesin étaient devant le tribunal pour une nouvelle audition dans leur procès pour des accusations grotesques de « propagande terroriste ». Les charges sont fondées sur leur implication dans une action de solidarité pacifique avec le journal kurde Özgür Gündem menée en 2016. S’ils sont condamnés, ils risquent chacun 14 ans et demi de prison. La prochaine audience est prévue pour le 15 avril. Reporters sans frontières (RSF) a lancé une pétition demandant leur acquittement: signez s’il vous plait.
Le leader de la société civile, Osman Kavala (ayant déjà passé plus d’un an derrière les barreaux sans inculpation) a finalement été inculpé en février pour tentative de renversement du gouvernement. Il est l’une des seize personnes (y compris le journaliste de renom Can Dündar) qui ont été inculpées pour leur rôle lors des manifestations de Gezi en 2013. S’ils sont reconnus coupables, ils risquent probablement la prison à vie.
Au milieu du mois, une cour d’appel a confirmé les condamnations liées au terrorisme de 14 membres du personnel du journal Cumhuriyet. La décision a été accueillie avec indignation par les membres de l’IFEX et condamnée par le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Harlem Désir. Huit des condamnés, dont le caricaturiste Musa Kart, vont maintenant retourner en prison pour purger le reste de la peine.
La journaliste Pelin Ünker, condamnée à 13 mois de prison en janvier pour ses reportages sur les « Paradise Papers », fait maintenant face à une autre affaire basée sur la même série d’articles, mais concernant, cette fois, le gendre du président Erdoğan. L’eurodéputé maltais David Casa a rendu visite à Ünker à Istanbul ce mois-ci et a appelé à ce que toutes les charges retenues contre elle soient abandonnées et que tous les journalistes emprisonnés en Turquie uniquement pour avoir exercé leur profession soient libérés.
« The Turkish people deserve a free press » @DavidCasaMEP‘s video appeal 4 @pelinunker + Turkish journalists is great 2 see. Time to drop charges against her. I hope she can indeed visit @Europarl_EN. Release all journalists in Turkey arbitrarily detained. https://t.co/sIb670niqq pic.twitter.com/N1XhgSgoXv
— Tom Gibson (@at_tgibson) February 20, 2019
« Le peuple turc mérite une presse libre »
Appel vidéo de @DavidCasaMEP pour @pelinunker +
Les journalistes turcs, est bien 2 Voir.
Il est temps d’abandonner les poursuites contre elle.
J’espère qu’elle pourra effectivement visiter @Europarl_EN.
Libérez tous les journalistes en Turquie détenus arbitrairement.
Il y a de grandes inquiétudes que des journalistes, des activistes et des opposants politiques en Turquie voient leur droit à un procès équitable violé. Ce mois-ci, les membres de l’IFEX et 47 députés ont adhéré à une résolution de l’Institut international de la presse (IPI) soulignant « l’absence de recours légaux internes efficaces pour les journalistes visés par la répression exercée sur les médias en Turquie ».
Un politicien qui a été déçu par le système judiciaire turc est le prisonnier Selahattin Demirtaş, ancien coprésident du Parti démocratique du peuple (HDP). Il a été nominé pour le Prix Nobel 2019 ce mois-ci et son cas a également été repris par PEN International. Demirtaş purge actuellement une peine de prison pour des accusations douteuses de « propagande terroriste ».
Sur cette toile de fond sinistre, il y a eu une bonne nouvelle. Vers la fin du mois, le journaliste et artiste Zehra Doğan a été libéré de prison après avoir purgé toute sa peine de prison de 2 ans, 9 mois et 22 jours. Elle avait été reconnue coupable de « faire la propagande pour une organisation terroriste » dans un tableau, un article et des publications sur les réseaux sociaux.
Journalist and artist, Zehra Doğan, finally walked out of prison today after serving her full sentence of 2 years, 9 months and 22 days, after being convicted for a painting, an article and social media posts. https://t.co/r7eW2CaXvG pic.twitter.com/6r92CSs2ea
— PEN International (@pen_int) February 24, 2019
La journaliste et artiste Zehra Doğan est finalement sortie
de prison aujourd’hui après avoir purgé sa peine complète de 2 ans, 9 mois
et 22 jours, après avoir été condamnée pour un tableau,
un article et des publications sur les réseaux sociaux.
Ján Kuciak: Un an après
Février a vécu le premier anniversaire du meurtre, en Slovaquie, du journaliste Ján Kuciak et sa partenaire Martina Kušnírová. Quatre suspects (dont un ancien policier) ont été inculpés d’avoir perpétré le meurtre, mais ceux qui ont commandité le crime n’ont toujours pas été identifiés. Le Projet crime organisé et rapportage de la corruption (OCCRP), en collaboration avec d’autres groupes, s’appuie sur le travail de Kuciak en publiant des rapports sur les liens existants entre le crime organisé en Slovaquie et les milieux politiques. Ils ont récemment publié un récit détaillé et émouvant des événements qui ont conduit au meurtre de Kuciak: « Comment Ján et Martina sont morts ».
La Commission européenne a célébré l’anniversaire du meurtre de Kuciak en appelant les autorités slovaques à traduire rapidement en justice les responsables du crime:
We observe a minute of silence in memory of Ján Kuciak, Slovak investigative journalist who was murdered one year ago, and his fiancée Martina Kušnírová.
Journalists are the pillars of our democratic societies. They must be protected.#JanKuciak pic.twitter.com/AcR8oYgXnC
— European Commission ???????? (@EU_Commission) February 21, 2019
Nous observons une minute de silence en mémoire de Ján Kuciak,
journaliste slovaque d’investigation assassiné il y a un an,
et sa fiancée Martina Kušnírová. Les journalistes sont
les piliers de nos sociétés démocratiques.
Ils doivent être protégés. #JanKuciak
Les membres de l’IFEX ont également célébré cet anniversaire.
L’Institut international de la presse (IPI) et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) ont envoyé une délégation en Slovaquie où ils ont exhorté les autorités à « accélérer » l’enquête. Reporters sans frontières (RSF) a mis en évidence une ingérence politique apparente dans l’enquête.
Index on Censorship, PEN International, ARTICLE 19, l’Organisation des médias du sud-est de l’Europe (SEEMO), la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et d’autres groupes de la liberté de la presse se sont unis pour exprimer leurs inquiétudes quant à l’incapacité des autorités slovaques à enquêter sur les manquements de l’Etat en rapport avec son obligation de protéger les journalistes.
La FEJ, RSF et le CPJ ont également organisé une veillée pour Kuciak et Kušnírová à Bruxelles. À Bratislava, des milliers de citoyens sont descendus dans les rues pour marquer cet anniversaire:
1 year later, justice is still far off for #Slovakia journalist #JanKuciak & Martina Kušnírová. But we are a little bit closer, thx to a public that refuses to accept impunity and to strong, independent media. Inspiring to be in #Bratislava tonight. #justice4jan #endimpunity pic.twitter.com/k7MmCki5hS
— IPI (@globalfreemedia) February 21, 2019
1 an plus tard, la justice est encore loin pour le journaliste
de #Slovaquie #JanKuciak & Martina Kušnírová. Mais nous sommes
un peu plus proches, merci au public qui refuse d’accepter l’impunité et aux médias
forts et indépendants. Inspiré à être à #Bratislava
cette nuit. #justice4jan #endimpunity
France: balles en caoutchouc et « loi anti-voyous »
Les manifestations des Gilets jaunes se sont poursuivies partout en France en février. Il y a eu plus de témoignages de blessures horribles chez les manifestants, des allégations d’antisémitisme, des tactiques de police anti-émeute brutales, des attaques contre la police et de nouvelles batailles de rues chaotiques entre des groupes de Gauche et de Droite qui se sont incrustés au mouvement des Gilets jaunes:
????????????[ FACE À FACE ] LYON | Des « gilets jaunes » appartenant aux groupuscules nationalistes et d’extrême droite affrontent des « gilets jaunes » d’extrême gauche. #ActeXIII pic.twitter.com/hdyWumx8k7
— [ Lies Breaker ] (@Lies_Breaker) February 9, 2019
[FACE À FACE] LYON | Des « gilets jaunes »
appartenant aux groupuscules nationalistes et d’extrême droite
affrontent des « gilets jaunes » d’extrême gauche.
#ActeXIII pic.twitter.com/hdyWumx8k7
Selon des chiffres officiels, au 4 février, 2 060 manifestants et 1 325 policiers avaient été blessés lors des manifestations.
Malgré des statistiques aussi choquantes, la majorité des manifestations (et des manifestants) des Gilets jaunes sont en réalité pacifiques. D’où, il est préoccupant que l’Assemblée nationale française ait approuvé en février un projet de loi visant à imposer de sévères restrictions au droit de manifester. Surnommée la « loi anti-casseur » (ou « loi anti-voyous »), la législation permettra aux autorités locales d’interdire directement à certaines personnes de manifester pendant un mois si elles sont considérées comme « une menace pour l’ordre public » (même lorsque ces individus n’ont jamais été condamnés pour un acte criminel). Ces personnes bannies verront leurs informations personnelles enregistrées dans une base de données pour criminels.
La loi donnera également à la police de plus grands pouvoirs pour fouiller les manifestants qui n’ont pas été interdits de manifester. Le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré que dissimuler son visage « sans motif légitime » sera puni, en vertu de la « loi anti-voyous », d’un emprisonnement d’un an et de 15 000 euros d’amende. Le projet de loi a été renvoyé au Sénat pour une deuxième lecture.
Les experts en droits humains continuent de s’inquiéter de certains aspects des techniques policières de contrôle des foules. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a déclaré ce mois-ci que le nombre et la gravité des blessures infligées aux manifestants « soulèvent des questions sur la compatibilité des méthodes utilisées dans les opérations visant à maintenir l’ordre public avec les exigences de respect des droits [de la liberté d’expression et de rassemblement libre] ». Elle a appelé les autorités à suspendre l’utilisation de balles en caoutchouc contre les manifestants et à examiner l’utilisation d’armes intermédiaires.
The @CommissionerHR issues memorandum inviting the #French authorities to show more respect for #HumanRights during operations aimed at maintaining public order & to suspend the use of rubber bullet launchers. @coe @CoE_HRightsRLaw @RepFranceCdE @PACE_News https://t.co/9Rm9UEgkXl
— Council of Europe – Execution of judgments (@CoE_execution) February 26, 2019
La @CommissaireDH publie un mémorandum invitant les
autorités #France à montrer plus de respect pour
les #Droitshumains lors des opérations
visant à maintenir l’ordre public
& à suspendre l’utilisation
de lance-balles en caoutchouc.
Focus sur le genre
Comme Human Rights Watch (HRW) l’a signalé ce mois-ci, l’interdiction des événements LGBTQI + par Ankara est en cours, en dépit du fait que l’état d’urgence en Turquie, en vertu duquel l’interdiction a été décidée, a été levé en juillet 2018. L’interdiction est à la fois stricte et large: même les discussions publiques LGBTQI + sont interdites. HRW a appelé à la levée de l’interdiction et a écrit au gouverneur d’Ankara pour lui demander de commenter.
Roses are red, violets are blue, #LGBTI in #Ankara want to celebrate #Valentine too #EndLGBTIBan via @hrw https://t.co/WgLTAhUsqB
— Abir Ghattas ✊???? (@AbirGhattas) February 14, 2019
Les roses sont rouges, les violettes sont bleues,
#LGBTI à #Ankara veut aussi célébrer #Saintvalentin
#LGBTI#Ankara#EndLGBTIBan via @hrw https://t.co/WgLTAhUsqB
L’interdiction d’Ankara est également mise en avant dans le chapitre consacré à la Turquie du Bilan annuel de la situation des droits humains des lesbiennes, gays, bisexuels, trans et intersexués lancé par ILGA-Europe.
Ce mois-ci, la Fédération européenne des journalistes (FEJ) a signalé une tendance inquiétante en Ukraine, où les attaques contre les femmes journalistes ont augmenté de 50% en 2018. Selon la FEJ, l’une des principales causes de cette augmentation était le fait que les auteurs d’infractions couraient peu de risques de sanctions. Daryna Bilera, une journaliste qui a parlé à la FEJ, a déclaré qu’elle évitait désormais de faire des reportages sur des événements d’extrême droite en raison des risques accrus pour sa sécurité.
En février également il y a eu quelques nouvelles positives concernant le genre lorsque le Parlement européen a adopté une résolution sur la « réaction brutale » contre les droits des femmes et l’égalité des sexes dans l’UE. La résolution fait un certain nombre de recommandations et invite les États membres à donner la priorité à l’égalité des sexes, en veillant à ce que les droits des femmes et des LGBTQI + soient « protégés et reconnus en tant que principes d’égalité de la démocratie et de l’état de droit ».
En bref
Il y a eu de très bonnes nouvelles du Monténégro ce mois-ci lorsque la police a arrêté neuf suspects dans le cadre de l’enquête sur l’attaque par balle du journaliste Olivera Lakic en mai 2018. Lakic, qui avait reçu une balle dans la jambe, avait déjà reçu des menaces de mort pour son travail d’enquête.
Le Times of Malta a annoncé ce mois-ci que la police avait identifié « trois à cinq » autres suspects dans l’enquête sur le meurtre de la journaliste la plus connue de Malte, Daphne Caruana Galizia. Toutefois, selon le rapport, les autorités s’abstiennent d’arrêter ces personnes jusqu’à ce qu’elles aient des preuves « solides ». Trois hommes sont actuellement en détention et accusés d’avoir perpétré l’attaque. Personne n’a encore été accusé de l’avoir commandité. Vers la fin du mois, le fils de Daphne, Andrew, s’est adressé au Conseil des droits de l’homme de l’ONU et a appelé les États membres à faire pression sur Malte pour qu’elle accepte les demandes d’enquête publique sur le décès de sa mère.
En Espagne, le procès des dirigeants séparatistes de la Catalogne a commencé en février. Arrêtés pour leur rôle dans l’organisation d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne le 1er octobre 2017, ils sont inculpés de sédition et de rébellion et risquent une très longue peine d’emprisonnement s’ils sont reconnus coupables. PEN International proteste contre les accusations (et la longue détention préventive) de deux des accusés: les dirigeants de la société civile Jordi Sànchez et Jordi Cuixart; ils risquent 17 ans de prison. Le début du procès a déclenché une nouvelle vague de manifestations et d’affrontements entre manifestants et policiers en Catalogne. Les relations entre la police espagnole et les Catalans pro indépendance sont tendues depuis la répression brutale menée contre les manifestations en majorité pacifiques du 1er octobre 2017.
En Russie, le procès du rédacteur en chef Igor Rudnikov a commencé ce mois-ci. Il est en détention préventive depuis 15 mois pour des accusations douteuses de tentative d’extorsion de fonds au général Victor Ledenev, un officier de police de Kaliningrad qui a été la cible de certains reportages d’investigation de Rudnikov. Ce dernier risque jusqu’à 15 ans de prison s’il est reconnu coupable.
Enfin, au Royaume-Uni, des députés ont qualifié Facebook de « gangsters numériques » et ont appelé à une réglementation dans les meilleurs délais. Le comité du numérique, de la culture, des médias et des sports examine depuis un an le rôle du géant des médias sociaux dans la diffusion de fausses informations. Le rapport qui en résulte, qui accuse Facebook d’avoir obstrué intentionnellement son enquête et d’avoir omis de s’attaquer aux tentatives de la Russie de manipuler les élections, appelle à un code d’éthique obligatoire pour le secteur, supervisé par un régulateur indépendant. Il demande également que ce régulateur soit légalement habilité à agir en cas de violation du code et que les entreprises de médias sociaux soient obligées de supprimer les sources de désinformation connues et reconnues.