Le mois d’août en Europe et en Asie centrale: un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression, réalisé sur base des rapports des membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de l’article original.
Daphne Caruana Galizia: Toujours pas d’enquête publique
Le 26 août 2019, la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia aurait célébré son 55e anniversaire, si elle n’avait pas été assassinée en octobre 2017. Des membres de l’IFEX et d’autres groupes de la liberté d’expression ont profité de son anniversaire pour souligner le fait que personne n’a encore été reconnu coupable du meurtre, et que Malte n’a toujours pas mis en place une enquête publique indépendante sur le crime, comme le stipule le Conseil de l’Europe.
Deux ans aujourd’hui j’ai invité mes parents à sortir pour un diner. C’était le 53ème anniversaire de ma mère et elle était contente. Je venais de me marier il y a quelques jours et nous avions parlé des petits enfants qu’elle ne verrait jamais. Son assassinat avait déjà été programmé.
Des arrestations massives à la suite de la destitution de maires kurdes
En Turquie, la répression contre la presse, la liberté d’expression et d’autres droits se poursuit.
Du 19 au 23 août, au moins neuf journalistes ont été arrêtés au cours d’une vague de détentions massives consécutive à la destitution, par le gouvernement, de trois maires kurdes à Diyarbakır, Mardin et Van. Parmi les personnes arrêtées figuraient Ziyan Karahan, Ayşegül Tözeren, Ahmet Kanbal, Mehmetah Oruç, Rojda Aydın, Nurcan Yalçın, Halime Parlak, Taylan Özgür Öztaş et Tunahan Turhan. ARTICLE 19, le Comité pour la protection des journalistes et la Fédération européenne des journalistes ont appelé à leur libération immédiate.
La décision du gouvernement de remplacer les maires – accusés de «soutien du terrorisme» – par des représentants de l’État était perçue comme une attaque contre la démocratie locale et avait provoqué des manifestations de rue dans les villes touchées. À Diyarbakir, la police a répondu aux manifestants en utilisant des canons à eau et des matraques. À Van, les manifestants ont également été brutalement battus. La vidéo suivante de la police attaquant des manifestants à Van a été partagée sur les médias sociaux par un député du parti au pouvoir l’AKP (il a condamné l’attaque):
Une vidéo a également fait surface montrant un policier tirant délibérément des balles en caoutchouc sur la tête d’un manifestant à bout portant.
Plus tôt en août, un tribunal a ordonné le blocage de 136 sites Web et URL, y compris des sites de nouvelles et leurs comptes de médias sociaux. Au début, il a été signalé que Bianet, membre de l’IFEX, figurait parmi les 136 sites. Cependant, à la suite de protestations internationales de la part de membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense des droits, il a été annoncé – bizarrement – que Bianet avait été ajouté à la liste par erreur et que celui-ci ne serait donc pas bloqué.
Pour rester au courant de toutes les arrestations, les procès et les attaques contre la liberté d’expression en Turquie, veuillez consulter les mises à jour régulières fournies par nos membres régionaux: Bianet, la Plateforme pour le journalisme indépendant (plus sa consœur Expression Interrupted) et l’Initiative pour la liberté. d’expression – Turquie.
Des manifestants de Moscou arrêtés, battus et fichés
Les manifestations de masse dans les rues appelant à des élections locales équitables à Moscou, en Russie, se sont poursuivies ce mois-ci, de même que la répression menée par les autorités. De nombreux journalistes ont été arrêtés et / ou agressés par la police lors des manifestations de juillet et août. Des membres de l’IFEX et d’autres organisations de la liberté de la presse ont appelé les autorités à cesser de viser les journalistes pour le simple fait de faire leur travail en rendant compte de ces manifestations.
Les chefs de l’opposition figuraient parmi le nombre record de manifestants arrêtés. Parmi ceux-ci, le militant anti-corruption Alexei Navalny, qui a également vu une affaire de blanchiment d’argent lancée contre lui en août et les comptes bancaires de son ONG, la Fondation anti-corruption, gelés.
FLASH: Les autorités russes ont commencé à geler les comptes bancaires de la Fondation anti-corruption de @Navalny et de son personnel.
Les tactiques souvent violentes de la police lors de manifestations en faveru de la démocratie ont été largement condamnées. Un clip vidéo montrant un policier anti-émeute battant une jeune femme déjà détenue est devenu viral:
Les autorités russes ont également poursuivi en ligne leur répression contre la manifestation. Roskomnadzor, le régulateur des communications, a demandé à Google de censurer les séquences vidéo des manifestations en les retirant de YouTube. Selon Maxim Edwards, qui écrit pour le site Web Global Voices, il est prouvé que les agences de sécurité d’État ont également fait pression sur les opérateurs de réseaux mobiles pour réduire la disponibilité de l’Internet afin de déjouer les tentatives de coordination des manifestants.
Le plus troublant est peut-être la nouvelle selon laquelle des informations personnelles concernant environ 3 200 personnes détenues pendant les manifestations ont été publiées en ligne par des personnes non identifiées. Les informations seraient venues d’une base de données de la police et ont été rendues publiques la veille du jour où une manifestation devait avoir lieu.
Focus sur le genre
En Ouzbékistan, la police a pris pour cible la famille du militant LGBTQI +, Shokhruh Salimov, après une déclaration publique video appelant les autorités à lutter contre la violence homophobe. Quand sa vidéo a été diffusée, la police a effectué une descente au domicile de sa famille, déclarant qu’elle voulait arrêter le militant. Salimov vit à l’étranger parce que l’homosexualité est illégale en Ouzbékistan.
Une veillée a eu lieu devant le consulat de Russie à Londres, au Royaume-Uni, pour demander que justice soit rendue pour la militante LGBTQI + assassinée, Yelena Grigorieva. Assassinée à Saint-Pétersbourg en juillet, elle était parmi les noms figurant sur une liste notoire de personnes LGBTQI + à «neutraliser»; la liste a été affichée sur de nombreux sites Web en Russie. Grigorieva avait déjà reçu des menaces de mort.
Pourchassée et assassinée pour avoir été homosexuelle! C’est cela la Russie de Putin. Justice pour Yelena Grigorieva. En savoir plus sur la manifestation de Londres: http://ow.ly/oRQU50vAyQU #Justice4Yelena SUIVRE les groupes russes LGBT+ @ComingOutSpb @rulgbtnet
Le Parti de la loi et de la justice, parti au pouvoir en Pologne, est connu pour ses opinions anti-LGBTQI +, et des recherches récentes montrent que les sociétés d’État polonais ont dépensé des sommes considérables en publicité dans des publications faisant la promotion de l’homophobie. Selon un reportage de Reuters, l’hebdomadaire conservateur Gazeta Polska, qui avait diffusé le mois dernier des autocollants «exempté de LGBT», avait vu «des flux de publicité passer d’un peu plus de 10 000 euros en 2015 à plus de 2 millions d’euros en 2018».
Dans une nouvelle extrêmement troublante en provenance de Turquie, la détenue transsexuelle Buse s’est mutilée elle-même fin juillet, en signe de protestation contre les autorités pénitentiaires pour continuer à refuser son opération de conversion sexuelle. Un tribunal a décidé que Buse devrait subir l’opération et que cela est essentiel pour sa santé mentale.
Agressions, attaques, impunité
Au Royaume-Uni, le journaliste et militant politique Owen Jones, du Guardian, a été violemment agressé par un gang alors qu’il célébrait son anniversaire à Londres avec des amis. Jones, qui avait déjà reçu des menaces de mort et des abus homophobes – et sur qui des activistes d’extrême droite avaient craché et bousculé en public – estime que les assaillants étaient des membres de l’extrême droite et que l’attaque était préméditée. Des membres de l’IFEX et d’autres groupes de défense de la liberté d’expression ont écrit à la secrétaire d’État britannique au Digital, à la Culture, aux Médias et aux Sports pour lui demander de veiller à ce que les autorités traduisent en justice les responsables de cette attaque.
Six d’entre-nous ont quitté le bar à 3h du matin et nous nous disions aurevoir à 30m de là, alors un groupe de 3-4 personnes ont quitté le bar, se sont dirigés droit vers moi, m’ont donné des coups de pieds dans le dos, m’ont jeté par terre, m’ont cogné la tête et donné des coups de pieds à la tête. Mes amis ont reçu des coups de poing en voulant me défendre.
La Fédération européenne des journalistes a publié ce mois-ci une étude sur l’attitude du public à l’égard de la presse en Bosnie-Herzégovine. Les statistiques citées montrent une histoire effrayante: au cours des six dernières années, 44 attaques physiques contre la presse, 21 menaces de mort et 48 cas de harcèlement graves ont été signalés. Pire encore, 21% de la population pensent que les journalistes montent eux-mêmes ces attaques.
En Irlande du Nord, personne n’a encore été inculpé du meurtre de la journaliste Lyra McKee, assassinée par balle alors qu’elle couvrait une émeute en avril 2019. Le Real IRA, un groupe terroriste, a déclaré qu’il était responsable de sa mort, mais qu’elle n’était pas la cible visée. Neuf personnes ont été arrêtées en lien avec le crime, mais toutes ont ensuite été relâchées. La partenaire de McKee a déclaré publiquement ce mois-ci qu’elle comprenait pourquoi les témoins potentiels pourraient se sentir trop effrayés pour se faire connaître.
En Pologne, la police a visé des journalistes qui couvraient une manifestation organisée par l’extrême droite pour commémorer le 75e anniversaire du soulèvement de Varsovie. Un journaliste a été attaqué et jeté à terre par un officier; deux autres ont été expulsés de la manifestation.
En bref
En Azerbaïdjan, la Cour suprême a confirmé des accusations fallacieuses et motivées par des considérations politiques contre la journaliste Khadija Ismayilova. Ismayilova, qui est persécutée par les autorités azerbaïdjanaises depuis des années, a été reconnue coupable d’évasion fiscale et de détournement de fonds en 2014 et condamné à sept ans et demi de prison. Elle a été libérée sous condition en 2016 et condamnée à une peine avec sursis, mais il lui est interdit de quitter le pays et son compte bancaire a été gelé.
En Allemagne, les menaces de poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes se multiplient. Selon un rapport publié en août, les services juridiques des médias reçoivent en moyenne trois lettres par mois menaçant de poursuites judiciaires concernant des reportages. Le rapport indique que le but de ces lettres est d’intimider les rédacteurs en chef et, surtout, d’influencer la manière dont une histoire est rapportée avant d’être imprimée.
En Belgique, les journalistes protestent contre un projet de loi qui exposerait les journalistes et les lanceurs d’alertes à des poursuites s’ils révélaient des informations classifiées dans la presse. Reporters sans frontières a également ajouté sa voix à la manifestation, soulignant les sanctions draconiennes qui en résulteraient: « En vertu de l’article 22 du projet de loi », il est indiqué que « les journalistes pourraient être condamnés à une amende pouvant aller jusqu’à 5 000 euros, tandis que les lanceurs d’alertes risqueraient une probable peine de cinq ans d’emprisonnement ».
En Ukraine, un tribunal s’est prononcé en faveur de C14 – un groupe nationaliste d’extrême droite qui souscrit aux points de vue Nazis et s’attaque aux camps de Roms – en déclarant qu’il avait subi « des atteintes à la réputation » lorsque la chaîne de télévision sur Internet Hromadske avait publié un tweet le qualifiant de « néo-Nazi ». Il a été ordonné au média de retirer le tweet et de payer 136 USD de frais de justice. Human Rights Watch a condamné la décision, notant que « la liberté d’expression s’est progressivement détériorée en Ukraine, de même que la violence de groupes d’extrême droite comme le C14 a augmenté ». C14 est considéré comme néo-nazi par la plupart des experts.