Juillet en Europe et en Asie centrale: tour d’horizon des principales informations sur la libre expression.
Ceci est une traduction de l’article original.
Turquie : devant la barre, acquitté, encore une fois devant la barre…
Il y avait d’excellentes nouvelles de la Turquie en juillet, quand le membre de IFEX Erol Önderoğlu, le journaliste Ahmet Nesin et la défenseure des droits humains Şebnem Koru Fincancı ont été acquittés de leurs accusations pour avoir participé à un acte de solidarité pacifique avec le journal de langue kurde Özgür Gündem en 2016. Accusés de «propagande pour une organisation terroriste», «d’incitation à commettre un crime» et «d’éloge du crime et des criminels», ils risquaient 14 ans de prison s’ils avaient été reconnus coupables.
Erol Önderoğlu sera à nouveau devant la barre en novembre pour son travail en 2016 dans le cadre de son soutien à la campagne de pétition «Des universitaires pour la paix», qui préconisait la fin des combats entre les forces turques et les membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Les Universitaires pour la paix ont également reçu de bonnes nouvelles à la fin du mois de juillet, lorsque la Cour constitutionnelle a déclaré que leur droit à la liberté d’expression avait été violé lorsqu’ils avaient été inculpés d’infractions terroristes uniquement pour avoir signé la pétition susmentionnée. La Cour a dit que les accusés devraient être rejugés pour éliminer les violations des droits et que chaque accusé devrait recevoir une indemnité de 9 000 lires (1 592 USD).
À la mi-juillet, les réalisateurs Ertuğrul Mavioğlu et Çayan Demirel ont été condamnés par défaut à quatre ans et six mois d’emprisonnement pour «propagande terroriste». Les accusations portaient sur leur documentaire de 2015 «Bakur» («Nord»), qui porte sur la hors-la-loi PKK.
Pour plus d’informations sur ces cas et bien d’autres, veuillez consulter les mises à jour régulières fournies par nos membres régionaux: Bianet, la Plateforme pour le journalisme indépendant (plus le site confrère Expression Interrupted) et l’Initiative pour la liberté d’expression – Turquie.
Russie: dissuasion de la démocratie, danger de réfléchir à voix haute
En Russie, réfléchir à haute voix dans les médias au sujet des motivations derrières des actes de violence est une entreprise dangereuse, comme l’a expérimenté la journaliste de radio Svetlana Prokopyeva : Elle a découvert ce mois qu’elle avait été ajoutée à la liste officielle des «terroristes et extrémistes». Prokopyeva doit sa place sur la liste à un entretien qu’elle a donnés en novembre 2018, dans lequel elle spéculait pour savoir si un anarchiste adolescent qui s’était fait exploser devant le siège du FSB à Arkhangelsk l’aurait fait si la Russie n’avait pas rendu la vie difficile à la dissidence politique pacifique. La police a ouvert une enquête sur Prokopyeva en février 2019, soupçonnée de «justifier le terrorisme». Ses comptes bancaires ont été gelés récemment.
Ce mois-ci a eu lieu le dixième anniversaire du meurtre non résolu de Natalia Estemirova, la plus importante militante des droits humains en Tchétchénie. Le 15 juillet 2009, Estemirova avait été enlevé à Grozny par des agents de sécurité non identifiés et avait ensuite été abattue dans la république voisine d’Ingouchie, située dans le Caucase du Nord. Human Rights Watch (HRW) et d’autres groupes de défense des droits ont publié une déclaration appelant à ce que justice soit rendue à Estemirova.
En Ingouchie, le journaliste Rashid Maysigov a été condamné à rester en détention provisoire après avoir été inculpé de manière douteuse pour possession de drogues illicites. Maysigov, qui enquête sur la corruption et les droits humains, affirme avoir été torturé en détention jusqu’à ce qu’il avoue les charges retenues contre lui. Il est loin d’être le seul journaliste à s’être retrouvé dans cette situation dans la Fédération de Russie: Ivan Golunov a connu en juin une expérience similaire et a été libéré à la suite de manifestations nationales et internationales.À Moscou, les autorités répriment l’opposition politique avant les élections municipales de septembre. De nombreux candidats ont été interdits de postuler et certains d’entre eux font actuellement l’objet d’une enquête pour «ingérence électorale» dans le cadre de l’organisation de rassemblements non autorisés. Plusieurs candidats de l’opposition ont également fait l’objet d’irruption dans leurs maisons par la police. Le 27 juillet, des milliers de manifestants en faveur de la démocratie sont descendus dans les rues de Moscou pour demander que les candidats indépendants soient autorisés à s’inscrire et que le président Poutine démissionne. Plus de 1000 d’entre eux ont été arrêtés.
Malte: vont-ils ou non mettre en œuvre une enquête publique?
L’affaire du meurtre de Daphne Caruana Galizia a connu deux faits nouveaux importants ce mois-ci. Le premier était une déclaration du ministre maltais des Affaires étrangères, Carmelo Abela, selon laquelle une enquête publique sur les événements entourant le meurtre du journaliste d’investigation aurait lieu dans les trois mois prévus par le Conseil de l’Europe le mois dernier. Toutefois, quelques jours plus tard, la déclaration d’Abela a été remise en cause par le ministre de la Justice, Owen Bonnici, qui a refusé de se soumettre au délai imparti par le Conseil de l’Europe. Ces messages confus, évasifs et dénotant le manque de volonté de faire ce qui s’impose ne surprendra pas ceux qui suivent l’évolution de la situation à Malte depuis l’assassinat de Caruana Galizia en 2017.
Le deuxième événement concerne l’annonce heureuse disant que les trois hommes, emprisonnés depuis 2017 et soupçonnés d’avoir placé la bombe qui a tué Caruana Galizia, doivent être jugés. Harlem Désir, représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, s’est félicité de la décision:
Fait important, ceux qui ont ordonné le meurtre n’ont toujours pas été identifiés.
Genre en bref
Trois groupes LGBTQI + russes ont remporté un vif succès ce mois-ci, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que la Russie avait fait preuve de discrimination à l’égard de ces organisations pour avoir refusé leur enregistrement ces dernières années. La Rainbow House, le Movement for Marriage Equality et la Sochi Pride House avaient tenté d’enregistrer leurs organisations respectives de 2006 à 2011, mais leurs demandes ont été rejetées à plusieurs reprises car les autorités ont interprété le travail de ces groupes comme une promotion de la «propagande gay», affirmant qu’elles «détruiraient les valeurs morales de la société» ou «porterait atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale [de la Russie]… en réduisant sa population». La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Russie à leurs verser 46 000 euros de dommages et intérêts.
En Pologne, un tribunal a interdit à l’hebdomadaire conservateur Gazeta Polska de distribuer des autocollants portant le message «Zone exemptée de LGBT» dans son édition imprimée. Le magazine, qui soutient le parti au pouvoir Law and Justice Party (dont le leader anti-immigrés et anti-LGBTQI + a décrit les droits des LGBTQI + comme une « menace pour l’identité polonaise »), a publié un éditorial justifiant la décision de publier l’autocollant, affirmant que les droits des LGBTQI + « avaient toutes les caractéristiques d’une idéologie totalitaire ».
Plus tôt dans le mois, des hooligans polonais du football et des membres de l’extrême droite ont attaqué le premier défilé de la fierté organisé dans la ville de Bialystok. Vingt-cinq personnes ont été arrêtées.
En bref
Le 19 juillet, 20 groupes de défense de la liberté de la presse, dont plusieurs membres de l’IFEX, ont appelé la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à inclure la liberté de la presse, la protection des journalistes et l’accès à l’information parmi ses principales priorités politiques.
Les autorités de l’Ukraine ont suspendu l’enquête sur un homme politique régional de haut rang soupçonné par la police d’avoir ordonné une horrible attaque à l’acide contre la militante des droits Kateryna Handzyuk en 2018 (Handzyuk est décédée trois mois plus tard des suites de ses blessures). En juin, cinq hommes ont été condamnés à des peines allant de trois à six ans et demi d’emprisonnement pour avoir perpétré l’attaque.
Le Centre du journalisme indépendant (IJC) a relaté la montée du harcèlement des journalistes de Moldavie ces dernières années. Ce mois-ci, des membres de IJC et de l’IFEX ont publié une déclaration condamnant une série d’agressions contre des journalistes commises lors de manifestations à Chisinau par des individus associés au Parti démocratique de Moldovie.
Ce mois-ci en France, les députés ont adopté une loi qui ne donnera aux plates-formes en ligne que 24 heures pour supprimer les discours de haine sous peine de payer les amendes d’un montant de 1,2 million d’euros. Les critiques ont fait valoir que la loi donne trop de pouvoir aux plateformes. Facebook a déclaré que 24 heures était une période insuffisante pour analyser certains messages et fournir des conseils juridiques souvent assez complexes. Compte tenu de la hauteur de l’amende potentielle, il est à craindre que de nombreuses plateformes se contentent de supprimer les contenus suspects en cas de doute.
Le Sénat français va maintenant examiner la législation qui, comme beaucoup l’ont souligné, est basée sur une loi controversée entrée en vigueur en Allemagne l’année dernière. Cependant, selon Deutsche Welle, la police allemande a du mal à faire respecter sa législation en ligne sur le discours de haine, puisque la plupart des plateformes n’ayant apparemment pas fait assez pour juguler les auteurs présumés d’infractions.
En Grèce, les bureaux de Athens Voice ont été attaqués par une quinzaine de personnes masquées qui ont détruit du matériel à l’aide des barres de métal et de la peinture; personne n’a été blessé. Le groupe anarchiste Rouvikonas a revendiqué la responsabilité de l’attaque, en représailles de la couverture par le journal de la mort d’une femme arménienne. Athens Voice a publié une vidéo des dégâts sur YouTube: