Depuis le coup d’Etat militaire et l'arrivée au pouvoir en 2013 d’Abdel Fattah Al-Sissi, Reporters sans frontières (RSF) déplore la chape de plomb qui s’est abattue sur les médias et l’arrestation de plus d’une centaine de journalistes.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 21 février 2018.
Ce lundi 25 janvier, les Égyptiens célèbrent les dix ans de la révolution qui a conduit à la destitution du président Hosni Moubarak et à l’élection de Mohamed Morsi. Depuis le coup d’Etat militaire et l’arrivée au pouvoir en 2013 d’Abdel Fattah Al-Sissi, Reporters sans frontières (RSF) déplore la chape de plomb qui s’est abattue sur les médias et l’arrestation de plus d’une centaine de journalistes.
Elle avait suscité l’espoir. Aujourd’hui, il n’en reste plus grand chose. Si la révolution du 25 janvier 2011 qui a marqué la chute du président Hosni Moubarak est depuis un jour chômé pour la plupart des Egyptiens, cette journée permet surtout aux chaînes de télévision officielles de célébrer le président Abdel Fattah Al-Sissi et les forces de l’ordre.
Ces émissions qui font l’éloge de la stabilité et de la sécurité en Egypte sont monnaie courante dans le pays. En occupant l’espace médiatique, elles contribuent à occulter les critiques envers le président actuel, arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État en juillet 2013 contre Mohamed Morsi, le premier chef d’Etat égyptien démocratiquement élu, issu du mouvement islamiste des Frères musulmans. La quasi-absence de couverture médiatique de sa mort prématurée est d’ailleurs à l’image de cette reprise en main autoritaire : la “sissification” des médias a permis une reconfiguration totale de la presse, pour mieux refléter le discours officiel incarné par Abdel Fattah Al-Sissi.
“Dix ans après la révolution égyptienne, le pouvoir d’Abdel Fattah Al-Sissi a imposé une chape de plomb sur les journalistes et les médias, analyse la responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Sabrina Bennoui. Les journalistes qui étouffent n’ont d’autres choix que de se taire et de répéter le discours officiel, sous peine d’être accusés de menacer la stabilité de l’Etat et d’être jetés en prison.”
Quelques années ont suffi pour transformer considérablement le paysage médiatique. Dans son projet Media Ownership Monitor, RSF a déterminé que près de la moitié des médias les plus populaires du pays sont désormais contrôlés par l’Etat, via ses agences officielles ou ses organes de renseignement. Et lorsqu’ils ne sont pas détenus par l’Etat, ils le sont par des hommes d’affaires proches du pouvoir.
Le tournant sécuritaire
La reprise en main des médias s’est faite au prix d’une répression féroce. Les rares médias indépendants survivants sont censurés sur le web par les autorités. Au total, plus de 500 sites Internet ont été bloqués, comme celui de l’un des derniers médias indépendants du pays, Mada Masr, dont les locaux ont aussi été récemment perquisitionnés et sa rédactrice en chef Lina Attalah, lauréate du prix RSF 2020 de l’Indépendance, interpellée.
Le nombre d’arrestations de journalistes a fortement augmenté depuis le coup d’État contre Mohamed Morsi. Depuis janvier 2014, RSF a recensé plus d’une centaine de journalistes emprisonnés ou interpellés arbitrairement. Le rythme des arrestations s’est intensifié à partir de 2017, au moment même où le gouvernement adoptait un arsenal de lois antiterroristes et créait un nouvel organe de contrôle : le Conseil suprême de régulation des médias. Depuis, les journalistes critiques sont systématiquement visés par des enquêtes pour “appartenance à un groupe terroriste” et “diffusion de fausses nouvelles”.
La plupart des journalistes sont en détention provisoire et le restent pendant deux ans, voire au-delà, bien que le droit égyptien fixe à cette durée le délai maximal de détention provisoire autorisé. Pour contourner cette limite légale, la justice ouvre de nouvelles enquêtes. C’est le cas du journaliste Mahmoud Hussein, emprisonné sans jugement depuis décembre 2016, et dont le seul tort est d’avoir travaillé pour la chaîne qatarie Al Jazeera, que l’Egypte accuse de soutenir les Frères musulmans et de déstabiliser le pays.
Théoriquement, la Constitution égyptienne garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le 11 janvier, le ministre des Affaires étrangères Sameh Choukri affirmait : “aucun journaliste en Egypte n’a été visé par des accusations en lien avec la liberté d’expression”. De fait, les autorités préfèrent brandir la menace terroriste et poursuivent les journalistes pour des charges montées de toutes pièces, sans lien direct avec leur travail journalistique.
L’une des plus grandes prisons pour journalistes au monde
Avec 32 journalistes actuellement derrière les barreaux, l’Egypte est aujourd’hui l’une des plus grandes prisons au monde pour journalistes, derrière la Chine et l’Arabie saoudite. Certains ont été torturés, comme la blogueuse et figure de la révolution Esraa Abdel Fattah. D’autres, privés de soins appropriés voient leur santé se dégrader dangereusement, comme le rédacteur en chef du quotidien Al-Shaab Amer Abdel Moneim qui souffre de diabète. Le journaliste indépendant Mohamed Monir, n’a lui pas survécu à l’épidémie de la Covid-19 contracté en prison…
L’Egypte occupe la 166e place sur 180 pays au Classement de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.