Sept ans après les manifestations massives de la place Tahrir et à deux mois de la présidentielle pour laquelle le maréchal Sissi est candidat à sa propre succession, la répression de la liberté de la presse s'est encore un peu plus aggravée.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 25 janvier 2018.
Sept ans après les manifestations massives de la place Tahrir et à deux mois de la présidentielle pour laquelle le maréchal Sissi est candidat à sa propre succession, la répression de la liberté de la presse s’est encore un peu plus aggravée. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle vague d’arrestations parmi les journalistes.
Ces quatre derniers mois, une quinzaine de journalistes et journalistes-citoyens ont été interpellés, arrêtés, emprisonnés ou ont tout simplement disparu. A ce jour, seuls deux d’entre eux ont été relâchés. Selon des informations recueillies par RSF, ce sont en tout 30 noms qui composeraient une liste de journalistes recherchés par les forces de sécurité.
Parmi les victimes de cette nouvelle vague d’arrestation, au moins six journalistes sont soupçonnés par les autorités de collaborer avec Mekameleen TV, une chaîne d’opposition, proche des Frères musulmans, diffusée en Egypte mais basée en Turquie. Selon plusieurs journaux égyptiens, les autorités seraient en train de procéder à l’arrestation méthodique des contributeurs de Mekameleen TV, grâce aux informations obtenues par l’interrogatoire d’intermédiaires, emprisonnés également depuis, chargés d’acheter des images aux journalistes pour le compte de la chaîne.
D’autres journalistes freelances -leur nombre exact est impossible à établir en raison de l’opacité maintenue par les autorités- sont également arrêtés, accusés d’avoir diffusé des informations mensongères. Au final, tous risquent d’être poursuivis pour « appartenance à un groupe interdit », un chef d’accusation fréquemment utilisé dans les procès politiques en Egypte.
« Sept ans après une révolution menée au nom d’idéaux démocratiques, le bilan de l’Egypte en matière de liberté de la presse est catastrophique, déplore Reporters sans frontières. Le pays est devenu l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes et la répression n’a de cesse de s’aggraver. La liberté de l’information est littéralement étranglée. Sept ans après, il est urgent que le président Sissi cesse d’étouffer les dernières voix indépendantes de son pays et arrête de considérer les journalistes comme ses ennemis. »
Mekameleen et les journalistes critiques dans le collimateur des autorités
L’inimitié des autorités égyptiennes envers la chaîne de télévision Mekameleen TV n’est pas nouvelle. En 2014 et 2015, la chaîne avait diffusé des enregistrements de conversations très compromettantes pour l’armée. La plupart des personnes mises en cause dans une première « affaire Mekameleen » avaient cependant fini par être libérées.
Cette fois, les organisations locales de défense des droits humains, comme l’Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI), craignent que les personnes soupçonnées de collaborer avec Mekameleen TV ne se trouvent dans « les frigidaires de la police ». Cette expression désigne des pièces où sont jetées les personnes qui ont été arrêtées parfois au hasard dans la rue, dans les cafés et qui sont maintenues en détention provisoire, jusqu’à ce que les services judiciaires trouvent quelque chose à leur reprocher pour justifier leur détention. Personne ne connaît le nombre exact et l’identité de l’ensemble des personnes ainsi détenues. D’après de rares informations qui filtrent des audiences pour décider de la prolongation de leur détention provisoire, les prévenus de l’affaire Mekameleen sont tantôt au nombre de huit, tantôt cinq ou dix. Selon l’ANHRI, le seul point commun des accusés est « d’être jeunes, d’écrire sur les réseaux sociaux, ou de manifester ».
Un journaliste, Ahmed el Sakhawy, soupçonné de travailler pour Mekameleen TV et qui avait été arrêté chez lui le 25 septembre 2017 a été détenu au secret et porté disparu pendant 27 jours. Son nom figure maintenant parmi ceux des accusés de l’affaire Mekameleen.
Ni les autorités égyptiennes, ni la direction de Mekameleen TV contactées par RSF, n’ont pour l’instant donné suite à nos demandes d’explication.
Parmi les autres journalistes récemment arrêtés et soupçonnés de « diffusion d’informations mensongères » et « d’appartenance à un groupe interdit », le jeune caméraman freelance Mohamed Hassan al Husseini a été interpellé le 12 septembre 2017 dans une rue commerçante du Caire, alors qu’il s’apprêtait à réaliser un reportage sur la hausse des prix. Sa famille est restée sans nouvelles de lui pendant plus de deux semaines. Interrogé sur les potentielles raisons de son arrestation, un officiel égyptien, qui souhaite garder l’anonymat, s’est contenté de rappeler que « certains pays n’aiment pas que l’on couvre des sujets gênants ».
L’Egypte occupe la 161ème place sur 180 pays dans le Classement 2017 sur la liberté de la presse dans le monde établi par Reporters sans frontières. Au moins 27 journalistes et citoyen-journalistes sont actuellement emprisonnés en Egypte pour leur travail.