Plus de dix ans après la proclamation par les Nations Unies d’une Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes – et plus de 30 ans après que le CPJ a commencé à documenter ces assassinats – près de 80 % d’entre eux n’ont toujours pas été élucidés.
Cet article a été initialement publié sur cpj.org le 30 octobre 2024.
Le manque criant de justice pour les journalistes assassinés constitue une menace majeure pour la liberté de la presse. Plus de dix ans après la proclamation par les Nations Unies d’une Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes – et plus de 30 ans après que le CPJ a commencé à documenter ces assassinats – près de 80 % d’entre eux n’ont toujours pas été élucidés. Un rapport du CPJ.
Deux petits pays – Haïti et Israël – sont aujourd’hui les pays où l’impunité pour les meurtriers de journalistes est la plus élevée au monde, selon l’Indice mondial de l’impunité 2024 du CPJ qui mesure les meurtres non élucidés en proportion de la population d’un pays. Cette année marque la première apparition d’Israël dans l’indice du CPJ depuis sa création en 2008.
En Haïti, classé au 1er rang, la faiblesse, voire l’absence du système judiciaire, la violence des gangs, la pauvreté et l’instabilité politique contribuent à l’incapacité de tenir les assassins pour responsables. Haïti a fait sa première apparition dans l’indice en 2023, à la troisième place, alors que les gangs criminels avaient pris le contrôle de grandes parties du pays après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, plongeant les organes de presse dans une « crise existentielle » qui a contraint bon nombre d’entre eux à réduire leur effectif ou à fermer leurs portes.
L’assassinat ciblé de journalistes par Israël à Gaza et au Liban au cours d’une guerre sans merci l’a propulsé à la deuxième place dans l’indice de cette année, qui couvre la période du 1er septembre 2014 au 31 août 2024. Le CPJ a documenté le meurtre de cinq journalistes – quatre Palestiniens et un Libanais – depuis le début de la guerre, et enquête sur les meurtres de 10 autres journalistes qui pourraient avoir été pris pour cible. Compte tenu des défis rencontrés pour documenter la guerre, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé. Au total, Israël a tué un nombre record de journalistes palestiniens depuis que la guerre a débuté le 7 octobre 2023.
Comment le CPJ définit le « meurtre » et l’ « impunité »
Le CPJ enregistre des données sur les meurtres et les emprisonnements de journalistes depuis 1992. La méthodologie que nous utilisons depuis lors dans tous les pays est la suivante :
Meurtre
Seuls les cas définis comme « meurtres » sont répertoriés dans l’indice d’impunité. Le CPJ définit le « meurtre » comme l’assassinat d’un(e) journaliste, qu’il soit prémédité ou spontané, lorsque nos recherches nous permettent d’affirmer avec une certitude raisonnable que la personne a été tuée en lien direct avec son travail de journaliste. Dans de nombreux cas, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer de manière concluante que l’assassinat était lié au travail de quelqu’un (par exemple, dans les pays où les niveaux de corruption et de criminalité sont élevés, comme au Mexique, ou pendant les guerres où le nombre de victimes civiles est élevé, comme la guerre entre Israël et Gaza). Le fait qu’une personne ne figure pas dans la catégorie « assassiné(e) » dans la base de données du CPJ ne doit pas être interprété comme signifiant que le CPJ considère que cette personne a été tuée de manière légitime.
Impunité
Il y a impunité lorsque des individus ou des pays ne sont pas tenus responsables de ces meurtres. L’impunité totale, qui est mesurée par notre indice d’impunité, signifie que personne n’a été tenu responsable du meurtre délibéré d’un(e) journaliste.
Autres classifications
Veuillez consulter la méthodologie du CPJ pour de plus amples informations sur les classifications.
Le CPJ effectue des recherches sur les cas et les met à jour en permanence et peut donc être amené à changer les classifications à mesure que de nouvelles preuves sont recueillies.
Des personnes endeuillées portent le corps du journaliste arabe d’Al Jazeera Ismail Al Ghoul, tué aux côtés du caméraman Rami Al Refee dans une attaque de drone lancée par Israël le 31 juillet 2024. Ils font partie des cinq journalistes de la région délibérément pris pour cible par les forces israéliennes en 2023-2024.
Étant donné que l’indice d’impunité du CPJ mesure le nombre de meurtres de journalistes non élucidés en pourcentage de la population de chaque pays, la population plus importante d’Israël et le territoire palestinien occupé le place proportionnellement derrière Haïti, même si le nombre de cas y est plus élevé. Seuls les pays comptant au moins cinq meurtres non élucidés sont comptabilisés dans l’indice. Israël ne figurait pas dans l’indice de l’année dernière car la guerre à Gaza a débuté après la date limite de l’indice du 31 août 2023. Pour plus d’informations sur la méthodologie de l’indice, cliquez ici.
Plus d’informations sur l’impunité
- Après 3 décennies, 30 journalistes assassinés n’ont toujours pas obtenu justice
- Impunité accrue avec la recrudescence des assassinats au Pakistan en 2024
- Explorez l’impunité dans la base de données mondiale du CPJ
À l’échelle mondiale, l’indice du CPJ révèle que la grande majorité – 77 % – des meurtriers de journalistes s’en sont tirés en toute impunité, ce qui signifie que personne n’a été tenu responsable de leurs meurtres, qui restent donc non élucidés. Bien que ce chiffre représente une nette baisse par rapport au taux de 90 % enregistré par le CPJ il y a dix ans et une légère amélioration par rapport aux 78 % documentés par le CPJ en 2023, il n’y a certainement aucune raison de se réjouir. Avec environ quatre assassins de journalistes sur cinq qui restent impunis, l’impunité s’est enracinée dans le monde entier.
Bien qu’Haïti et Israël aient détrôné les pays qui occupaient depuis longtemps la première place de l’indice d’impunité, cela ne signifie pas pour autant que les autres pays ont amélioré leur bilan peu encourageant en matière de justice pour les journalistes.
La Somalie, la Syrie et le Soudan du Sud complètent le top cinq des pays où l’impunité est la plus élevée en 2024. Tous les trois figurent dans l’index du CPJ depuis au moins dix ans ; la Somalie est l’un des six pays présents depuis les 17 années d’existence de l’indice, ce qui souligne la nature persistante de l’impunité.
Une impunité enracinée, même dans les démocraties
Bien que les pays soient répartis sur plusieurs continents, tous ceux figurant dans l’indice sont en proie à un ou plusieurs des facteurs corrosifs qui permettent aux assassins de journalistes d’échapper à la justice : guerres, insurrections, gouvernements autoritaires, gangs criminels et absence d’action politique et judiciaire. L’effet sur la liberté de la presse est pernicieux. Plus ces conditions durent, plus l’impunité risque de s’enraciner et d’obliger les journalistes à fuir leur pays d’origine, à s’autocensurer ou à abandonner complètement leur profession.
Les démocraties ne sont pas à l’abri de cette tendance inquiétante.
Le Mexique a enregistré le plus grand nombre de meurtres impunis de journalistes – 21 – au cours de la période visée par l’indice et occupe le huitième rang de l’indice en raison de sa population importante. Longtemps considéré comme l’un des pays les plus dangereux au monde pour les médias, le Mexique enregistre une hausse de la violence meurtrière en 2024 après une baisse par rapport au niveau record de 2022. Un rapport conjoint du CPJ et d’Amnesty International révèle que l’incapacité du gouvernement mexicain à combler de manière adéquate les lacunes du Mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes limite les moyens dont il dispose pour prévenir la violence contre les journalistes. Du fait de la corruption endémique et du crime organisé, il est souvent difficile de déterminer si un journaliste a été directement pris pour cible en raison de son travail.
Au Brésil, pays doté d’un système démocratique depuis les années 1980, la corruption et la censure restent omniprésentes et ont contribué à la mort de 10 journalistes au cours de la période visée par l’indice. La plupart des cas se sont produits en dehors des grands centres urbains et concernaient des journalistes issus de petits médias locaux (5), de stations de radio (3) ainsi que des pigistes (2). L’impunité est généralisée ; même les cas entraînant des répercussions internationales, comme le meurtre de Dom Phillips en 2022 en Amazonie brésilienne, restent non élucidés. Trois accusés ont été arrêtés et doivent être jugés. Le cerveau présumé a également été arrêté, mais justice n’a pas encore été rendue.
Il existe de nombreux autres pays figurant dans l’indice dans lesquels les assassins de journalistes échappent régulièrement à la justice, notamment :
- Le Pakistan, qui figure chaque année dans l’indice d’impunité depuis sa création en 2008. La mauvaise collecte de preuves, les ressources limitées, l’ingérence politique et la corruption ont conduit à plusieurs reprises à des enquêtes et à des poursuites inefficaces dans le cas d’assassinats de journalistes. Le CPJ a confirmé qu’au moins deux journalistes pakistanais ont été tués en représailles directes à leur travail jusqu’à présent en 2024, et enquête sur quatre autres meurtres qui pourraient être liés à leur travail.
- Les Philippines, qui figurent également dans l’indice chaque année depuis 2008, souvent à la 1ère ou à la 2e place, et comptent presque chaque année depuis 1992 un meurtre non élucidé d’un journaliste. La justice n’a toujours pas été pleinement rendue pour les 32 journalistes et professionnels des médias tués lors du massacre de Maguindanao il y a 15 ans – l’une des attaques les plus meurtrières contre la presse – et des journalistes comme Gerry Ortega, un animateur de radio tué en 2011.
- L’Irak, …