Julian Assange sera autorisé à faire appel pour deux des neuf motifs avancés par son équipe juridique lors de l'audience du jour X en février, tous deux liés à la possibilité qu'en tant que citoyen australien, il puisse se voir refuser les protections de la liberté d'expression offertes par le premier amendement.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 20 mai 2024.
Le 20 mai, la Haute Cour du Royaume-Uni a accordé à Julian Assange le droit de faire appel de son extradition vers les États-Unis, où il risque d’être jugé et emprisonné à vie pour avoir publié des informations classifiées. Reporters sans frontières (RSF) se félicite de cette décision, qui donne à l’éditeur de WikiLeaks une dernière chance d’empêcher son extradition devant les tribunaux britanniques et de contester les assurances formulées par les États-Unis selon lesquelles il bénéficierait d’un procès équitable.
Julian Assange sera autorisé à faire appel pour deux des neuf motifs avancés par son équipe juridique lors de l’audience du jour X en février, tous deux liés à la possibilité qu’en tant que citoyen australien, il puisse se voir refuser les protections de la liberté d’expression offertes par le premier amendement. La Cour a refusé l’autorisation d’interjeter appel au motif qu’il pourrait être condamné à la peine de mort, après avoir reçu ce qu’elle a jugé être des assurances satisfaisantes de la part du gouvernement américain qu’il ne le serait pas. Les six autres motifs d’appel avaient déjà été rejetés en mars.
« Cette décision marque une étape importante dans l’affaire Julian Assange, car elle ouvre une nouvelle voie nécessaire pour empêcher l’extradition. Les deux motifs d’appel qui ont été acceptés signifient que, pour la première fois en trois ans, les tribunaux britanniques examineront les questions au cœur même de cette affaire, liées à la liberté d’expression et au premier amendement. Nous demandons instamment au Royaume-Uni d’agir dans l’intérêt du journalisme et de la liberté de la presse et de refuser d’autoriser ces poursuites dangereuses. »
Rebecca Vincent, Directrice des campagnes de RSF
En avril, le gouvernement américain a fourni des garanties écrites selon lesquelles M. Assange serait autorisé à « invoquer et chercher à invoquer » les droits et protections accordés par le premier amendement, tout en précisant qu’il appartiendrait à un tribunal américain de décider en dernier ressort. L’équipe juridique de M. Assange a qualifié ces assurances de « manifestement inadéquates », étant donné l’absence de promesse explicite de la part du procureur qu’il bénéficierait de ces protections.
En annonçant leur décision, les juges Dame Victoria Sharp et M. Johnson – qui avaient précédemment déclaré que M. Assange avait de « réelles chances de succès » en appel pour les deux motifs retenus – ont donné aux parties jusqu’au 24 mai à 14 heures pour soumettre un projet d’ordonnance. La date de l’appel n’a pas encore été fixée.
La liberté d’informer au coeur d’une longue procédure judiciaire
Julian Assange n’était pas présent au tribunal, n’étant apparemment pas en état d’y assister, bien qu’il ait été autorisé à le faire. Il a passé les cinq dernières années en détention provisoire dans la prison londonienne de haute sécurité de Belmarsh, alors que la procédure d’extradition se poursuit. Les représentants de RSF ont pu lui rendre visite cinq fois en prison depuis août 2023, et ont noté des inquiétudes quant à son état de santé mentale et physique en détention.
Ce lundi 20 mai, l’intérêt international pour l’affaire Assange reste élevé – les journalistes et autres observateurs ont rempli deux salles d’audience et, à l’extérieur du bâtiment, des dizaines de sympathisants ont applaudi lorsque la nouvelle du verdict leur est parvenue. Pour les partisans d’Assange, il s’agit de la première bonne nouvelle dans cette affaire depuis janvier 2021, lorsque la juge de district Vanessa Baraitser s’était prononcée contre l’extradition pour des raisons de santé mentale. Sa décision a toutefois été annulée en décembre 2021 à la suite d’assurances diplomatiques américaines concernant le traitement potentiel de M. Assange en cas d’extradition. La Cour suprême a refusé l’autorisation de faire appel en mars 2022, et la ministre de l’intérieur britannique Priti Patel a signé l’ordre d’extradition en juin 2022. L’appel initial d’Assange contre l’ordre a été rejeté dans une brève décision écrite en juin 2023, ce qui a conduit à cette dernière demande d’appel.
S’il est extradé vers les États-Unis, M. Assange risque jusqu’à 175 ans de prison pour 18 chefs d’accusation liés à la publication par WikiLeaks, en 2010, de plus de 250 000 documents militaires et diplomatiques classifiés ayant fait l’objet d’une fuite. Julian Assange serait le premier éditeur extradé en vertu de la loi sur l’espionnage (Espionage Act), qui ne prévoit pas de défense de l’intérêt public, créant ainsi un dangereux précédent qui pourrait s’appliquer à tout journaliste ou média dans le monde entier. L’auteur de la fuite, Chelsea Manning, ancienne analyste du renseignement de l’armée, a purgé près de sept ans de prison avant que le président Obama ne commue sa peine, déclarant qu’elle était disproportionnée.
La mobilisation de RSF
RSF a été la seule ONG à suivre les quatre années de procédure d’extradition contre Assange. Les représentants de RSF ont également obtenu un accès rare pour rendre visite à Assange à la prison de Belmarsh, après en avoir été empêchés dans un premier temps. Parallèlement à la procédure d’extradition au Royaume-Uni, RSF a également plaidé directement auprès du gouvernement américain et continue d’exhorter l’administration Biden à trouver une solution politique à cette affaire afin d’empêcher l’extradition d’Assange et de permettre sa libération sans plus tarder.
Le Royaume-Uni et les États-Unis sont respectivement classés 23e et 55e sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2024 de RSF.