Détentions arbitraires, violences, menaces de mort, espionnage : le mois de novembre a été marqué par une nouvelle série de graves attaques contre la presse indépendante nicaraguayenne.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 5 décembre 2018.
Détentions arbitraires, violences, menaces de mort, espionnage : le mois de novembre a été marqué par une nouvelle série de graves attaques contre la presse indépendante nicaraguayenne. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la dérive autoritaire du gouvernement de Daniel Ortega et alerte sur le risque d’extinction progressive de la liberté de la presse dans le pays.
La répression des autorités du Nicaragua contre l’opposition politique et les voix dissidentes ne faiblit pas depuis avril 2018. Les forces de police nicaraguayennes ne se contentent plus d’entraver le travail des journalistes qui couvrent les manifestations et la révolte sociale, mais entreprennent désormais des actions violentes directement contre les journalistes trop critiques du gouvernement.
Drones espions, violences policières
Le 24 novembre, à Managua, le journaliste Gustavo Jarquín, de Radio Corporación, était interpellé puis insulté par trois policiers près des locaux de sa radio. « ‘Tu viens de la radio putschiste et terroriste’, lui ont lancé les agents avant de le frapper violemment au visage. Miguel Mora directeur et propriétaire du canal 100% Noticias ainsi que son épouse Verónica Chávez, présentatrice du programme « Ellas lo dicen », étaient menacés de mort par des agents de police. Depuis de longues semaines, Miguel Mora est harcelé par les forces de l’ordre et surveillé par des individus devant sa radio et son domicile. Le 25 novembre, un drone a survolé sa résidence et le jardin de sa maison pendant plusieurs heures. Le 30 novembre, il était embarqué de force par une patrouille de police qui l’ont frappé et proféré de menaces de mort mentionnant les membres de sa famille. Miguel Mora a été arrêté 6 fois par la police depuis le 24 novembre. Il est désormais accusé d’incitation à la haine et de promouvoir des campagnes de haine sur son site.
Carlos Salinas Maldonado, journaliste et éditeur pour le site confidencial.com.ni et correspondant d’El Pais au Nicaragua, est devenu la cible récurrente de cyber-attaques et de campagnes de harcèlement en ligne. Sa résidence est régulièrement surveillée par des patrouilles de police. Les 27 et 28 novembre, des hommes en moto l’ont suivi sur le trajet de son domicile à la rédaction d’El Confidencial, et lancé à plusieurs reprises « tu es foutu, c’est sûr, tu es foutu ».
Antennes saccagées, fréquences coupées
Cette censure et ces tentatives de déstabilisation sont protéiformes. Ainsi, le 30 novembre, l’organe national de régulation des télécoms, la Telcor, demandait le retrait du signal de la chaîne 100 % Noticias, sans la moindre justification. De nombreuses autres chaînes avaient également été privées de fréquences plus tôt dans l’année (Canal 12, Telenorte, CDNN23, Canal 12, Canal 23, Canal 51 etc). Quelques jours plus tôt, dans le département de Léon, la propriété d’Álvaro Montalván, directeur de Radio Mi Voz, où se trouvent les antennes de transmission de la radio, a été investie et saccagée par des patrouilles de police.
« Ces journalistes et médias persécutés par la police et la garde rapprochée de Daniel Ortega ont en commun d’apporter un traitement indépendant et critique sur l’actualité du pays, ce que ne peut supporter le gouvernement en place. Le travail de cette presse indépendante est pourtant fondamental pour, notamment, alerter sur le féroce répression et le contrôle quasi-total qu’exerce la famille Ortega sur le pays, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de RSF. Cette chasse aux voix dissidentes est intolérable et constitue une grave menace contre la liberté de la presse. RSF apporte son soutien à l’ensemble des médias indépendants nicaraguayens et appelle la communauté internationale à ne pas passer ces exactions sous silence ».
La presse locale au bord du chaos
Loin des centres urbains, les médias communautaires et radios locales subissent de plein fouet cette purge médiatique. Le 23 novembre, dans le département de León, l’un des plus affectés par la censure et la répression et où sympathisants du gouvernement sandiniste sont très actifs, plusieurs membres de la rédaction de Radio Dario, dont les locaux avaient été incendiés et détruits en avril par des sympathisants de Daniel Ortega ont été arrêtés, insultés puis détenus arbitrairement plusieurs heures par la police anti-émeute, avant d’être libérés. Un sort qu’a subi également la rédaction de Radio Vos à Matagalpa. Les locaux de Radio Dario ont par ailleurs été investis par la police ce 3 décembre, dans le cadre d’une opération d’intimidation visant à éteindre tous les équipements journalistiques de la rédaction. RSF a recensé plusieurs autres cas récents de journalistes persécutés à León, comme Eddy López, correspondant pour La Prensa ou encore Álvaro Montalván et plusieurs membres de Radio Mi Voz.
RSF déplore et dénonce également la détention arbitraire de Luis Sánchez Sáncho (76 ans), journaliste et éditorialiste pour le quotidien La Prensa, qui a dû passer 6 jours en prison pour un banal accident de circulation, ainsi que l’exil forcé de Carlos Pastora (Canal 10), Edgardo Pinell (VOS TV et Canal TV) et de Jaime Arellano, animateur du programme « Jaime Arellano en La Nación » pour 100 % Noticias, qui a dû se résoudre à quitter le pays le 25 novembre en raison de menaces de mort et de harcèlement à répétition. D’autres, si cette dérive autoritaire venait à se poursuivre ou s’intensifier, pourraient leur emboîter le pas.
En août dernier, à l’issue d’une mission menée avec la Société interaméricaine de presse (SIP), RSF avait déjà émis plusieurs alertes et recommandations sur la situation de la presse indépendante dans le pays. Le Nicaragua est classé 102e au Classement mondial de la liberté de la presse 2018 publié par RSF.