Un appel à un mandat de l’ONU sur le respect de la vie privée a émergé d’un séminaire d’experts tenu à Genève cette semaine sur le thème du « Droit à la vie privée à l’ère numérique ».
En septembre 2013, à la 34e réunion du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies qui s’est tenue à Genève, un certain nombre d’États ont organisé un événement centré sur la protection du droit à la vie privée en ligne. À la fin de 2013, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé une résolution clé sur le droit à la vie privée.
Et cette semaine, le 24 février 2014, au Palais des Nations à Genève, un séminaire d’experts sur « Le droit à la vie privée à l’ère numérique » s’est penché sur le cadre juridique international des droits de la personne qui entoure le droit à la vie privée, et sur la mesure dans laquelle la surveillance intérieure et extraterritoriale est susceptible d’enfreindre le droit des particuliers au respect de la vie privée. Le séminaire était organisé par les Missions permanentes de l’Autriche, du Brésil, de l’Allemagne, du Liechtenstein, du Mexique, de la Norvège et de la Suisse aux Nations Unies.
UN OHCHR Navi Pillay’s remarks on #privacy in digital age: http://t.co/Dc1vWS4QIK #UNprivacy #netfreedom video: https://t.co/nJdmD19sw0
— cynthia wong (@cynthiamw) February 26, 2014
[Observations de la HCDH de l’ONU, Navi Pillay, sur le #respect de la vie privée à l’ère numérique]
Divers membres de l’IFEX ont participé au séminaire à l’occasion duquel a été lancé un appel en faveur de la création d’un poste de Rapporteur des Nations Unies sur le respect de la vie privée.
Pourquoi le respect de la vie privée, et pourquoi maintenant ?
Le droit au respect de la vie privée est fondamental pour ce que nous sommes comme êtres humains. La vie des défenseurs des droits de la personne peut dépendre de cette protection, mais ce sont aussi tous les citoyens qui en bénéficient. Elle nous permet de parler, de penser et de nous associer librement, sans restriction imposée par des gens qui pourraient vouloir nous faire taire ou nous nuire. Les communications privées faites sans crainte de surveillance gouvernementale constituent une partie importante de presque tout changement social.
Les lois qui préservent la vie privée sont une caractéristique dans nombre de systèmes juridiques, bien que ces protections aient tendance à retarder sur les changements technologiques. Notre vie politique et économique se passe de plus en plus en ligne, tandis qu’en même temps les gouvernements et les entreprises acquièrent des capacités impressionnantes de collecte et de fouille dans nos dossiers numériques.
Le respect de la vie privée faisait l’objet de trop peu d’attention de la part de la communauté des défenseurs des droits de la personne, fait valoir le groupe Privacy International, mais tout cela a changé en juin 2013. Les révélations d’Edward Snowden, l’ancien contractuel de la National Security Agency (NSA), ont confirmé ce que craignaient bien des gens : « Les gouvernements se soucient fort peu des protections juridiques; ils recourent à des techniques invasives pour amasser le plus d’informations possible, tout en compromettant les systèmes sur lesquels nous comptons tous. »
Tandis que les médias multiplient les allusions à l’alliance entre la NSA, le GCHQ et Five Eyes, le nombre des appels à la protection des données s’accroît tout autant. Les gens se disent inquiets de la surveillance de masse, et des coalitions de la société civile se forment pour la contrer. Selon l’expression du groupe Human Rights Watch, le respect de la vie privée est devenu « le droit dont le temps est venu ». Dans un rapport intitulé « The State of Privacy 2014 » [L’état de la vie privée en 2014], rendu public cette semaine afin de coïncider avec la tenue d’un séminaire de l’ONU sur la vie privée, le groupe Privacy International examine attentivement certaines réalisations récentes un peu partout dans le monde et souligne certaines difficultés importantes qui se profilent à l’horizon pour ce droit.
Appels à l’action de la part de l’ONU
La Rue: privacy is such a distinct right that it would merit a new, unique special procedures mandate #UNprivacy
— Carly Nyst (@carlynyst) February 24, 2014
[La Rue : Le respect de la vie privée est un droit tellement distinct qu’il mériterait un mandat nouveau, des procédures spéciales uniques #UNprivacy]
L’appel à la création d’un poste de Rapporteur des Nations Unies sur le respect de la vie privée est venu de Frank La Rue, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection et la promotion du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Lors du séminaire sur « Le droit à la vie privée à l’ère numérique », parlant de l’importance du respect de la vie privée pour la libre expression, La Rue a déclaré que « le droit à la vie privée et le droit à la liberté d’expression ne sont pas seulement liés, ce sont aussi des facilitateurs de la participation citoyenne, du droit à une presse libre, de l’exercice de la libre opinion […] et de la capacité à critiquer les politiques publiques. »
La demande d’un rapporteur sur le respect de la vie privée a trouvé un écho dans une lettre au Haut-Commissaire des Nations Unies adressée par le groupe Global Network Initiative (GNI), un groupe de compagnies des TCI, d’organisations de la société civile, d’investisseurs et d’universitaires qui défendent et promeuvent la libre expression et le respect de la vie privée en ligne.
À la demande de l’Assemblée générale de l’ONU, le Haut-Commissaire doit produire un rapport sur le droit au respect de la vie privée. Ce rapport offrira une « occasion unique d’inscrire dans un cadre juridique international sur les droits de la personne le débat qui s’amorce à l’échelle mondiale sur ces questions », indique le GNI. Dans sa lettre, le groupe souligne un certain nombre de recommandations qui devraient animer le rapport du Haut-Commissaire, et recommande que « le Haut-Commissaire établisse d’abord un processus de consultation et d’engagement largement inclusif afin d’éclairer la rédaction du rapport… nous prions instamment le Haut-Commissaire de consulter les gouvernements – en particulier les agences de renseignement et de sécurité qui effectuent de la surveillance, ainsi qu’un vaste éventail de voix non gouvernementales, y compris la société civile et le secteur privé. »
Cette semaine, dans un communiqué adressé aux États membres des Nations Unies, l’Electronic Frontier Foundation attire l’attention sur les 13 Principes internationaux concernant l’application des droits de la personne à la surveillance des communications. Plus connus sous l’appellation de Principes nécessaires et proportionnés, ces principes ont été ébauchés par des organisations de la société civile en réponse aux révélations sur la surveillance de masse. Les gens de partout dans le monde peuvent s’en servir pour faire pression en faveur de protections juridiques locales plus vigoureuses, tout comme les États membres des Nations Unies ou n’importe quel gouvernement désireux de promouvoir de solides garanties en matière de protection de la vie privée.
Pas uniquement au niveau gouvernemental
L’action du gouvernement n’est pas la seule façon de combattre l’excès de surveillance, fait remarquer l’EFF. Les entreprises de communications – Internet et télécommunications – peuvent apporter leur contribution en sécurisant leurs réseaux et en limitant les renseignements qu’ils amassent. « Le fait de travailler ensemble, avec des efforts juridiques comme les Principes nécessaires et proportionnés qui servent de base à des réformes nationales et internationales, et avec aussi des efforts techniques comme le déploiement du chiffrement et la limitation de la collecte des renseignements, peut servir de fondation pour une nouvelle ère de communications numériques privées et sûres. ».
Comme le fait remarquer Privacy International, « voici un moment charnière pour le droit au respect de la vie privée à travers le monde; nous devons continuer à éduquer les citoyens et les décideurs sur la nécessité de fortifier les protections juridiques, élaborer des cadres réglementaires et éradiquer les pratiques qui, de manière illégale et disproportionnée, menacent la vie privée ».
« Depuis deux siècles, les citoyens, les entreprises et les civilisations luttent pour instaurer des déclarations des droits contraignantes et des chartes des droits. Mais depuis dix ans, les gouvernements de partout dans le monde enfreignent ces règles –contreviennent à la loi – par le recours effréné aux nouvelles technologies. »