Tout en saluant l’acceptation par la Tunisie de 110 de ses 125 recommandations lors d’une revue aux Nations Unies, le TMG de l’IFEX demande au pays de mettre fin à la criminalisation de la diffamation.
(TMG de l’IFEX) – Tout en saluant l’acceptation par la Tunisie de 110 de ses 125 recommandations lors d’un examen la semaine dernière aux Nations Unies, le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’IFEX (TMG de l’IFEX) demande à la direction du pays d’adopter sans retard les recommandations concernant la liberté d’expression. De plus, le TMG de l’IFEX demande une remise en question de la fondation juridique du refus de mettre fin à la criminalisation de la diffamation, comme le demande une recommandation que le pays a rejetée lors de la Examen périodique universelle (EPU) de la Tunisie, recommandation adoptée à Genève.
Pendant sa présentation lors de la séance de la EPU le 19 septembre, le Ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitoire, Samir Dilou, a invoqué une fois de plus l’idée de la « tradition » et de la « culture » pour éviter de répondre à des questions précises concernant la situation des droits de la personne et de la liberté d’expression en Tunisie. Le Ministre s’est servi d’un argument utilisé de manière répétée pour apaiser les défenseurs des droits de la personne lorsqu’il a dit que « la Tunisie a besoin de plus de temps pour bâtir une culture des droits de la personne ».
Les idées sur la tradition sont facilement manipulées pour supprimer la dissidence et la liberté d’association et d’expression en Tunisie, où des violations du droit à la liberté d’expression sont commises en toute impunité au nom des « valeurs sacrées ». Le TMG de l’IFEX invite le gouvernement tunisien à se conformer aux mécanismes du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et à adopter des mesures immédiates pour mettre pleinement en œuvre les recommandations avancées lors de la Revue périodique universelle sur la liberté d’expression.
Tandis que le ministre Dilou affirmait que la Tunisie jette les bases d’un État qui respecte les droits de la personne tout en respectant également son identité culturelle, le TMG de l’IFEX continue de documenter des cas de civils déférés devant des tribunaux d’exception pour les punir d’exprimer leurs opinions, comme dans celui d’un ancien conseiller du président en attente de procès devant un tribunal militaire.
« On continue de citer les professionnels des médias à procès devant des magistrats qui ne sont pas encore pleinement indépendants, pour la simple raison qu’ils font leur travail, ou on les menace de poursuites », dit Kamel Labidi, journaliste tunisien qui a pris la parole le 19 septembre dans une intervention au nom du TMG de l’IFEX et de l’Institut du Caire pour les études sur les droits de la personne (Cairo Institute for Human Rights Studies, (CIHRS), groupe membre du TMG.
Labidi est l’ancien directeur de campagne du TMG de l’IFEX et ancien président de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), qui a mis fin à ses travaux en juillet après avoir annoncé qu’elle ne pouvait plus agir dans l’atmosphère d’instabilité et d’obstruction qui règne actuellement. L’INRIC a en outre rendu public un rapport exhaustif de 300 pages (accessible en ligne en anglais, en arabe et en français) qui contient des recommandations sur la réforme des médias destinées à contrer les effets de l’assaut incessant dirigé contre les médias sous le régime de Ben Ali. Les membres du TMG de l’IFEX, qui ont salué ce rapport, ont adopté un grand nombre des mêmes recommandations, élaborées en consultation avec des représentants, nombreux et variés, de la société civile et des médias en Tunisie.
Aux Nations Unies la semaine dernière, le Ministre tunisien des Droits de l’homme et de la Justice transitoire a déclaré que le gouvernement avait amorcé des consultations auprès des syndicats des médias et autres afin d’assurer la liberté des médias, et qu’il réalisait la réforme avec intégrité. Pourtant, les ONG locales et les experts des médias affirment n’avoir pas été consultés de manière appropriée, et que le gouvernement tunisien agit unilatéralement, sans aucune transparence lorsqu’il décide du sort de la liberté d’expression et des médias.
On assiste depuis le début de l’année en Tunisie à de nombreuses tentatives pour contrôler les médias, notamment à des attaques contre les journalistes.
Le gouvernement continue par exemple à désigner sans consultation les dirigeants des médias. Fin août, les journalistes ont entrepris un sit-in pour protester contre la nomination comme directeur général de l’influente société d’édition Dar Assabah de Lotfi Touati, personnage controversé qui travaillait pour la police, qui a été impliqué dans des affaires de corruption et dans le putsch de 2009, réalisé avec le soutien du gouvernement, contre le bureau élu démocratiquement du Syndicat national des journalistes tunisiens. Le 13 septembre, Touati a frappé avec sa voiture un journaliste qui manifestait, envoyant celui-ci à l’hôpital, lors d’un incident que les témoins et les avocats ont qualifié de « tentative d’assassinat » délibérée. Cet incident faisait suite à des propos tenus par Habib Ellouze lors d’une manifestation publique qui s’est déroulée dans la casbah la semaine précédente. Ellouze est un dirigeant du parti Ennahdha, tenant de la ligne dure, qui a pressé le gouvernement « de frapper les médias opposés à la Révolution ».
Lors d’une intervention devant l’ONU le 19 septembre, Ghias Aljundi du PEN International et du TMG de l’IFEX, a fait part de sa préoccupation devant le recours grandissant à la violence contre les journalistes, les artistes et les écrivains, et devant l’échec du gouvernement qui ne parvient pas à mettre fin à ces agressions. « Les dirigeants politiques et religieux appellent ouvertement à la violence contre les journalistes, et le gouvernement n’intervient pas », a-t-il dit. « Un vide juridique est créé qui permet au gouvernement de contrôler la presse, et on met clairement du retard à entreprendre des réformes juridiques, comme la mise en œuvre des décrets sur les médias, adoptés l’an dernier par le gouvernement provisoire. »
« Jamais, depuis le 14 janvier 2011, le secteur des médias en Tunisie n’a été aussi menacé, en raison de la multiplication des restrictions à la liberté de la presse, et de la volonté du gouvernement de mettre la main sur les médias publics », a déclaré Labidi au TMG de l’IFEX. « Mais, d’un autre côté, et fort heureusement, jamais la solidarité entre les journalistes tunisiens n’a été aussi forte, et leur volonté aussi tenace de défendre la liberté d’expression et l’indépendance des médias publics. »
Le TMG de l’IFEX demande aux autorités tunisiennes de mettre en œuvre de manière inconditionnelle les recommandations du rapport de la EPU, celles en particulier concernant la liberté d’expression, la liberté de réunion et l’indépendance de la magistrature. Il demande également au gouvernement de prendre des mesures pratiques afin de garantir dans la pratique la liberté d’expression dans la nouvelle constitution et, en outre, de mettre en œuvre des réformes véritables de la magistrature.
Enfin, le TMG de l’IFEX se réjouit de la participation du gouvernement tunisien aux activités de l’ONU et d’autres organismes de défense des droits, notamment de la décision d’accueillir en octobre des Rapporteurs spéciaux de l’ONU et de la Commission africaine sur la situation des défenseurs des droits de la personne.