Tandis que l’Assemblée constituante de Tunisie s’apprête à réviser un projet de Constitution, le TMG de l’IFEX fait part de sa préoccupation devant une ébauche de proposition de réglementation des médias, ainsi que des projets de peines de prison pour raisons religieuses.
(TMG de l’IFEX) – 10 août 2012 – Tandis que l’Assemblée constituante de Tunisie s’apprête dans les prochains jours à réviser un projet de Constitution, le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’IFEX (TMG de l’IFEX), coalition de 21 groupes membres de l’IFEX, fait part de sa préoccupation devant un projet de proposition de réglementation des médias. Le TMG de l’IFEX considère que les références à la réglementation des médias dans le projet de Constitution sont incompatibles avec les obligations internationales de la Tunisie de respecter, protéger et promouvoir la liberté d’expression et la liberté des médias.
Le projet d’article spécial sur la réglementation des médias prévoit de créer un organisme réglementaire centralisé investi d’une gamme de responsabilités et doté d’un pouvoir et d’un contrôle illimités sur tous les médias, ce qui contrevient aux principes démocratiques fondamentaux. L’ébauche proposée est dépourvue de protections suffisantes de la liberté des médias et a été rédigée en l’absence de débat public.
Le TMG de l’IFEX invite le Comité qui a rédigé l’ébauche à la revoir et à la soumettre à un débat public. Il presse en outre le gouvernement tunisien et l’Assemblée constituante de prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre le Décret 2011-116, adopté le 2 novembre 2011, qui jetait les fondements d’une presse électronique nouvellement indépendante grâce à la création de la Haute Autorité indépendante pour la Communication audiovisuelle (HAICA).
Les professionnels des médias exposés à la persécution et à la censure
Le TMG de l’IFEX s’inquiète vivement de ce que les ébauches des articles de l’Assemblée nationale constituante concernant la liberté des médias et la liberté d’expression sont dépourvues de clarté, ce qui prête flanc à une interprétation discutable. Le projet de constitution ne tient pas compte non plus des demandes des journalistes et des professionnels des médias qui craignent d’être persécutés à cause de ce qu’ils publient. Selon les renseignements recueillis par le TMG de l’IFEX, le Comité sur les Droits, les Libertés et les Devoirs de l’Assemblée constituante a suggéré 38 articles; quatre d’entre eux ont déjà été rédigés, les autres restent à discuter.
L’Article 9 dispose que « la liberté d’expression est garantie sous les formes de la parole, de l’écrit, de la photographie et sous toute autre forme de publication ». Les partenaires locaux affirment que le libellé est ambigu et que les auteurs auraient dû énoncer clairement que la liberté d’expression est garantie sous toutes les formes de publication, sans réserves.
Alors que l’Article 10 dispose que la liberté des médias est garantie et que la censure de la presse est levée, l’Article 21 énonce que les journalistes sont susceptibles d’être détenus s’ils diffament ou attaquent des personnes ou s’ils incitent à la violence ou à la discrimination. On pourrait continuer à intenter des poursuites criminelle en diffamation, Avec le retour de la censure moralisante et le climat d’incertitude juridique qui s’ensuivent, où les tribunaux continuent à poursuivre les journalistes en se prévalant du Code criminel et du Code de la presse de 1975.
En outre, cette proposition arrive au moment où le groupe Ennahdha a proposé devant l’Assemblée nationale constituante un avant-projet de loi visant à criminaliser les délits contre les « valeurs sacrées ». Le projet de loi, déposé le 1er août 2012, prévoirait des peines de prison et des amendes pour les personnes reconnues coupables d’insulte au « caractère sacré de la religion » ou de s’en moquer.
Contrôle réglementaire centralisé avec pouvoirs illimités
Le TMG de l’IFEX s’inquiète également de l’article suggérant que le secteur entier de l’information devrait être placé sous le contrôle centralisé d’un seul organisme réglementaire. Cette structure de contrôle de l’information est incompatible avec les principes démocratiques fondamentaux. Les secteurs des médias, des télécommunications et des postes devraient être régulés par des organismes distincts dotés de pouvoirs et de responsabilités différents, sans avoir à subir l’intervention du gouvernement.
Le gouvernement a omis de fournir l’encadrement juridique de l’attribution des permis de radiodiffusion, de l’attribution du spectre, de la réglementation du contenu et de la diversité et du pluralisme des médias. Il a également omis de créer la HAICA promise, conçue pour renforcer la démocratie.
La presse devrait toutefois être auto-régulée au moyen de conseils de presse mis sur pied par la presse écrite elle-même, dont les membres seraient élus parmi les grands intervenants tels les journalistes, les propriétaires de médias, les éditeurs et les représentants de la société civile. De plus, l’organisme de réglementation proposé se verrait confier une gamme étendue de responsabilités et de pouvoirs potentiellement illimités, car l’article omet d’en préciser les limites.
Enfin, tandis qu’il garantit l’accès à l’information, l’Article 20 du projet de Chapitre spécial sur la réglementation des médias exclut l’information qui « concerne la sécurité militaire », ce qui dans les faits permet à l’armée de jouer un rôle dans l’imposition de la censure.
Les membres du TMG de l’IFEX réitèrent leur préoccupation que la liberté d’expression doit être pleinement protégée dans la nouvelle Constitution, et qu’il ne doit y avoir aucune réserve susceptible de tirer la Tunisie vers l’arrière. En juillet, le TMG de l’IFEX a publié un rapport comportant un ensemble complet de recommandations sur la liberté d’expression, la liberté d’association et l’indépendance de la magistrature. Consulter le rapport Du printemps à l’hiver? Réalisations précaires et défis exceptionnels pour les défenseurs tunisiens de la libre expression.
Le TMG de l’IFEX invite les autorités tunisiennes et l’Assemblée constituante à :
• Garantir dans la Constitution la liberté d’expression, l’indépendance des médias et l’accès à l’information, y compris en ligne, et garantir l’indépendance des médias de service public.
• Adopter de nouveau le Décret 2011-115 (également connu comme le nouveau Code de la Presse), qui garantit la protection des journalistes contre le harcèlement et qui abolit les peines de prison pour diffamation criminelle et un certain nombre d’autres délits touchant l’expression; ce qui signifierait donc que le Décret 115 a préséance sur toutes les dispositions antérieures et pertinentes ou sur les lois, en particulier sur le Code de la presse de 1975.
• Adopter de nouveau le Décret 2011-116, qui jette les bases d’une nouvelle presse électronique indépendante grâce à la création de la Haute Autorité indépendante pour la Communication audiovisuelle (HAICA).
• Retirer le projet de réglementation des médias et instaurer une réforme plus exhaustive des médias afin que la Tunisie se conforme pleinement à ses obligations aux termes du droit international relatif aux droits de la personne.
• Faire participer pleinement les organismes publics et les organisations de la société civile à titre de membres de l’organisme de réglementation, de façon à représenter tout l’éventail de la société.