De nombreux journalistes, ainsi qu’une partie de la classe politique, ont vivement critiqué cette décision qu'ils considèrent une tentative de museler la presse, relevant que nombre des médias inclus dans la décision se démarquent par leur indépendance vis-à-vis du gouvernement, voire par leurs fréquentes prises de position à l’encontre de celui-ci.
(RSF/IFEX) – Le 28 juin 2012 – Les tensions entre médias et autorités en Irak ont atteint leur paroxysme ce mois-ci avec d’un côté, la décision, qui reste en attente d’application, de la Commission des médias et des communications (CMC) de fermer 47 télévisions et radios au prétexte que celles-ci n’ont pas les licences nécessaires pour travailler dans le pays et, de l’autre, une forte mobilisation des professionnels de l’information pour demander l’abrogation de la “Loi sur les droits des journalistes”, votée en août 2011 par le Parlement, et jugée liberticide par de nombreux acteurs.
Une décision préoccupante de la part d’une instance dont l’indépendance est contestée
Reporters sans frontières exprime ses inquiétudes face à la décision de la Commission irakienne des communications et des médias d’interdire 47 médias qui, d’après l’organisme, travaillent en Irak sans licence officielle. Face à la levée de boucliers qu’a suscité cette décision, le ministère de l’Intérieur a accordé 45 jours, à compter du 25 juin 2012, pour que ces médias régularisent leur situation auprès de la CMC.
Prise depuis plus d’un mois, cette décision a été révélée, documents officiels à l’appui, par l’Observatoire des libertés journalistiques (JFO), le 23 juin
2012. Elle concerne des radios et des chaînes de télévision locales et étrangères, dont la BBC, Voice of America, Radio Monte Carlo, Radio Sawa, Al-Baghdadia TV et Al-Sharqiya News, pour ne citer que les plus notables.
De nombreux journalistes, ainsi qu’une partie de la classe politique irakienne, ont vivement critiqué cette décision. Ils considèrent qu’il s’agit d’une tentative de museler la presse, relevant que le directeur de la CMC a été nommé par le Premier ministre, Nouri Al-Maliki, et que nombre des médias inclus dans la décision se démarquent par leur indépendance vis-à-vis du gouvernement, voire par leurs fréquentes prises de position à l’encontre de celui-ci, comme c’est le cas pour Al-Baghdadia et Al-Sharqiya.
L’Irak traverse actuellement une importante crise politique, le Premier ministre rencontrant une opposition de plus en plus forte. Il est fréquemment accusé d’autoritarisme, de népotisme et de corruption.
Malgré un tel contexte, cette décision ne serait pas politiquement motivée, selon la CMC, mais servirait à inciter ces 47 radios et chaînes de télévision à payer leurs droits de licence. L’organisme régulateur a également rappelé avoir diffusé une annonce dans tous les journaux en février dernier, invitant les médias sans licence à en faire la demande dans un délai de deux mois. “Seul un petit nombre en a fait la demande, 39 médias préférant ne pas le faire et ne pas appliquer la loi”, a déclaré, à l’Agence France-Presse, Salem Machkour, membre du conseil d’administration de la CMC.
La BBC et Voice of America ont déclaré que leurs employés ne rencontrent actuellement aucun problème de la part des autorités. Ces deux radios ont également assuré être en train de travailler avec la CMC pour renouveller leur licence. Quant à Radio Sawa, média arabophone financé par les États-Unis, elle a été très surprise de se retrouver sur la liste de la CMC, assurant qu’elle possède bel et bien une licence.
Par ailleurs, d’après Reuters, certains des médias cités n’ont plus de bureau en Irak. En outre, la radio Sawt Al-Iraq figure à deux reprises sur la liste (une fois comme n’ayant pas de licence et une autre comme ayant vu sa licence suspendue par la CMC).
Reporters sans frontières demande à la CMC de s’assurer que le montant des droits demandés pour l’octroi de licences restent raisonnables. D’après le journal en ligne Elaph, les sommes exigées l’année dernière par la commission se situaient entre 180 000 et 1,5 million de dollars (entre 145 000 et 1,1 million d’euros). Ainsi, le montant exorbitant de certaines licences pourrait, dans certains cas, expliquer que des médias refusent de s’acquitter du paiement des droits ; d’autant plus que, face aux actes de violences contre la presse, les médias travaillant en Irak doivent déjà
consacrer une partie importante de leur budget pour assurer la sécurité de leurs employés et de leurs bureaux.
La CMC a été fondée en 2004 par l’Autorité provisoire de la coalition. Destinée à devenir un organisme régulateur non-lucratif et pleinement indépendant, la commission a, depuis la passation du pouvoir aux autorités irakiennes, essuyé de nombreuses critiques portant sur son manque d’indépendance, les sommes exorbitantes qu’elle peut demander à certains médias mais aussi sur certaines de ces décisions qui constituent de réelles atteintes à la liberté de la presse.
Mobilisation des professionnels de l’information contre la “Loi sur les droits des journalistes”
Reporters sans frontières apporte son soutien aux journalistes irakiens déterminés à faire entendre leur mécontentement face à un gouvernement qui semble de plus en plus déterminé à étouffer la liberté d’information dans le pays.
Sous l’impulsion de l’Organisation de défense des droits des journalistes, les opposants demandent l’abrogation de cette loi liberticide. Plus de 700
d’entre eux ont signé un communiqué appelant le président de la Cour suprême irakienne, Madhat Al-Mahmoud, à accepter la révision du texte, afin
de faire invalider les dispositions règlementaires de la “Loi sur les droits des journalistes” (anciennement la “Loi sur la protection des journalistes”). Votée le 9 août 2011 par le Parlement, elle promet en réalité une régression majeure des droits des professionnels de médias.
Les sages irakiens ne peuvent ignorer la requête des journalistes (requête enregistrée n°34, du 26/04/2012, d’après uragency.net ), dénonçant l’illégalité de la loi qui viole plusieurs articles constitutionnels, à savoir les articles 13, 14, 38 et 46, ainsi que les engagements internationaux dont l’Etat irakien est signataire, dont notamment l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
En septembre 2011 , Reporters sans frontières avait estimé que l’adoption de cette loi “n’améliorera en rien, voire constituera un nouveau danger pour la liberté de presse et d’information”.
Les détracteurs de la loi invoquent une régression majeure des droits acquis en matière de liberté de la presse et d’information, après 2003. Nombre de voix ont clamé haut et fort leur désaccord et dénoncé la politique du gouvernement Al-Maliki, en manifestant dans les rues irakiennes (manifestation à Baghdad le 20/06/2012).