Le TMG de l'IFEX a écrit à l'UIM pour obtenir leur appui en faveur des juges de Tunisie qui font l'objet de persécutions.
(IFEX-TMG) – Les membres du TMG de l’IFEX ont écrit à l’Union internationale des magistrats (UIM) pour obtenir leur appui en faveur des juges de Tunisie qui font l’objet de persécutions parce qu’ils exigent ouvertement l’indépendance de la magistrature ou pour avoir critiqué le gouvernement. La lettre est transmise à l’UIM et aux associations de juges à travers le monde dans le cadre de la campagne de démarches du TMG de l’IFEX pour promouvoir l’indépendance du pouvoir judiciaire et la fin des sanctions administratives pour punir les vues dissidentes en Tunisie:
Monsieur José Maria Bento Company, Président,
Madame Fatoumata Diakite, première Vice-présidente et Présidente du Groupe régional africain de l’UIM
Union internationale des magistrats
Palazzo di Giustizia, Piazza Cavour,
00193 Rome – Italie
tél. : +39 06 68832213
fax. : +39 06 6871195
courriel : secretariat@iaj-uim.org
http://www.iaj-uim.org/site/index.php?lang=en
CC. M. Antonio Mura, Sécrétaire-général
Délégués aux Affaires africaines :
M. Giacomo Oberto, Sécrétaire-général adjoint
M. Raffaele Gargiulo, Sécrétaire-général adjoint
Monsieur José Maria Bento Company, Madame Fatoumata Diakite, chers collègues,
Le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’Échange international de la liberté d’expression (TMG de l’IFEX), coalition mondiale composée de 20 groupes membres de l’IFEX, vous écrit pour exprimer sa profonde inquiétude devant la persécution incessante des membres démocratiquement élus du Bureau de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) depuis que des partisans du gouvernement s’en sont emparés en 2005.
Le TMG de l’IFEX a documenté diverses formes de cette persécution depuis le passage en Tunisie de sa deuxième mission d’exploration, en septembre 2005. La dernière mission d’exploration, la sixième, dans ce pays où le prix de la liberté d’expression ne cesse de s’élever depuis cinq ans, s’est déroulée du 25 avril au 6 mai 2010. Ses constatations ont été consignées dans un rapport rendu public le 6 juin à Beyrouth et intitulé « Derrière la façade : Comment un système judiciaire politisé et des sanctions administratives minent les droits de la personne en Tunisie ». Ce rapport s’appuie principalement sur des entrevues avec d’éminents universitaires, des juristes et des juges. (Voir à : http://ifex.org/tunisia/2010/06/07/tmg_report/fr/ )
Ce harcèlement de nature politique continue à susciter des protestations et pousse à la solidarité parmi les défenseurs tunisiens des droits civils.
En 2005, ces juges ont été transférés arbitrairement de Tunis à des endroits éloignés, à des centaines de kilomètres de leurs familles. En 2006, le règlement intérieur de l’AMT a été modifié afin d’empêcher les juges assignés loin de la capitale, Tunis, de se porter candidats au comité exécutif de cette association. Cette modification discriminatoire avait clairement pour but de cibler la direction expulsée de l’AMT en raison uniquement de son dévouement à la cause de l’indépendance de la magistrature, inscrite dans la Constitution tunisienne de 1959 et aussi dans le Statut universel du juge, proclamé en 1999.
En août de cette année, le Secrétaire général de l’AMT, Kalthoum Kennou, a été déplacé de Kairouan, dans le centre du pays, vers la ville méridionale de Tozeur, beaucoup plus loin de Tunis, tandis que d’autres collègues visés ont vu leurs assignations à l’extérieur de la capitale être prolongées. Ils se sont aussi vu refuser des promotions.
C’est sans surprise que les partisans du gouvernement qui ont la responsabilité de la bonne marche du Bureau de l’AMT depuis 2005 ferment les yeux sur les mesures vindicatives que le gouvernement inflige à leurs collègues, notamment sur les déductions, arbitraires et répétées, de portions importantes de leur salaire.
Le 25 août, l’Observatoire tunisien des droits du travail et des libertés rapportait que le Ministère de la Justice et des Droits de la personne avait prélevé, en juillet et en août, 800 et 1200 dinars respectivement, sans la moindre explication, du salaire du juge Ahmed Rahmouni, président élu démocratiquement du Bureau de l’AMT. On n’a pas épargné à son épouse, la juge Leila Abid, le même harcèlement incessant. Son salaire du mois de février 2010 a été retenu arbitrairement.
Les médias dirigés par l’État donnent la parole au Bureau de l’AMT que soutient le gouvernement, mais pas au juge Rahmouni et à ses collègues persécutés du Bureau élu démocratiquement en 2004. Le 15 août, le juge Adnane El Heni, président du Bureau favorable au gouvernement, a affirmé dans une déclaration citée dans le quotidien Assabah, qui appartient à l’un des beaux-fils du Président Ben Ali, que la décision de transférer le juge Kennou de Kairouan « n’était pas arbitraire ». Une réponse écrite et bien documentée à cette affirmation sans fondement a été ignorée par la presse d’État, qui demeure l’une des plus muselée du monde, selon les groupes internationaux de défense de la liberté de la presse.
En plus du juge Rahmouni, la réponse publiée le 21 août par l’hebdomadaire d’opposition Attariq El Jedid a reçu les signatures des juges indépendants et persécutés suivants : Kalthoum Kennou, Wassila Kaabi, Raoudha Karafi, Leila Bahria, Hamadi Rahmani et Noura Hamdi, qui continuent, avec leurs familles respectives, à payer un lourd tribut à cause de leur engagement inébranlable à défendre l’indépendance de la magistrature.
La juge Kaabi a eu une rare occasion publique, plus tôt cette année, de faire la lumière sur la persécution constante imposée à elle et à ses courageux collègues, et sur les restrictions draconiennes à leur liberté de mouvement, 53 ans après l’instauration de la République de Tunisie. (Voir : http://bit.ly/bVOU1V )
Le juge Mohktar Yahyaoui, démis en 2001 après avoir invité le Président Zine El Abidine Ben Ali à relâcher l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire, et sa famille subissent aussi un harcèlement sans répit (Voir : http://bit.ly/bZv3v8 ). Il demeure privé de son droit de sortir du pays et sa fille, Amira Yahyaoui – actuellement aux études à Paris, se voit refuser depuis deux ans le renouvellement de son passeport.
Merci pour toute action que vous souhaiteriez entreprendre pour contribuer à mettre fin à la persécution de ces juges courageux et indépendants et à préserver leur droit bafoué aux libertés d’association, d’expression, de mouvement et à l’égalité, tous garantis par la Constitution de la Tunisie et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que la Tunisie a ratifié il y a plus de 30 ans.
Salutations,
Amadou C. Kanoute
ARTICLE 19, Sénégal
et Rohan Jayasekera
Président du TMG de l’IFEX et rédacteur associé, Index on Censorship