Plus de 60 membres et partenaires de l'IFEX demandent encore une fois la libération du journaliste marocain Ali Anouzla, après que des accusations de terrorisme eurent été portées contre lui.
Le texte qui suit est une lettre signée par plus de 60 organisations, initiée par ARTICLE 19, appelant les autorités marocaines à libérer le directeur de publication Ali Anouzla :
Maroc : Plus de 60 organisations des droits humains demandent la libération immédiate du journaliste Ali Anouzla
Les organisations de défense de la liberté d’expression et des droits humains signataires de cette déclaration demandent la libération immédiate du journaliste Ali Anouzla et l’abandon des accusations contre lui. Anouzla, directeur de la version arabe du site d’information Lakome, a été arrêté le 17 septembre 2013 en relation avec un article publié dans son site.
Les organisations signataires considèrent que l’inculpation d’Ali Anouzla, le 24 septembre 2013, par le juge d’instruction près de la Cour d’Appel de Rabat pour «aide matérielle», «apologie du terrorisme» et «incitation à l’exécution d’actes terroristes» (selon la base de la loi marocaine anti-terrorisme 03-03 du 28 mai 2003) n’a aucun fondement dans le droit international, et constitue une grave violation de la liberté d’expression du journaliste et de son droit d’informer le public. Par conséquent, les charges contre lui doivent être abandonnées et il doit être immédiatement libéré.
Après avoir étudié l’article incriminé, (publié le 13 septembre 2013 sur le site Lakome.com et intitulé : Pour la première fois Al Qaeda attaque le roi Mohamed VI), nous sommes choqués d’apprendre que cet article a été considéré par le procureur général du roi comme une aide matérielle apportée au terrorisme, une apologie du terrorisme, et une incitation à l’exécution d’un acte terroriste. L’article relate simplement le contenu d’une vidéo d’AQMI qu’il a lui-même qualifié de «propagande», et a fourni un lien indirect avec celle-ci.
Nous craignons que l’arrestation et les chefs d’accusation contre Anouzla puissent être interprétés comme une réplique à sa ligne éditoriale, et en particulier à ses articles très critiques des hautes personnalités politiques.
Nous rappelons aux autorités marocaines que, selon le Comité des droits de l’homme des Nations Unies: « Infractions telles que «encourager le terrorisme» et «activité extrémiste», ainsi que «louant», «glorification» ou «justifiant» le terrorisme devraient être clairement définies de manière à garantir qu’elles ne résultent pas en interférence injustifiée ou disproportionnée à la liberté d’expression. Les restrictions excessives à l’accès à l’information doivent également être évitées. Les médias jouent un rôle crucial en informant le public sur les actes de terrorisme, et leur capacité d’action ne devrait pas être indûment limitée. A cet égard, les journalistes ne doivent pas être pénalisés pour avoir poursuivi leur travail légitime » (Commentaire (CCPR/C/GC/34) de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, normes internationales).
Par ailleurs, dans leur déclaration commune de 2008, le rapporteur de la liberté d’opinion et d’expression de l’Organisation des Nations unies et les rapporteurs régionaux de la liberté d’expression et des médias de l’Organisation de la sécurité et la coopération en Europe, de l’Organisation des états américains et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ont clairement indiqué que: «L’apologie du terrorisme ne devrait être pénalisée que si elle constitue une incitation délibérée au terrorisme, c’est-à-dire un appel direct à commettre des actes terroristes qui sont directement responsables de l’accroissement des risques d’actes terroristes, ou de la participation à des actes terroristes . . . Des notions vagues comme la fourniture d’une assistance en communication au terrorisme ou à l’extrémisme, la «glorification» ou la «promotion» du terrorisme ou de l’extrémisme, et la simple répétition de déclarations faites par des terroristes, ne constituent pas en soi une incitation ou une collusion avec le terrorisme. Elles ne doivent pas être pénalisées.»
Les rapporteurs spéciaux ont aussi déclaré que : «Le rôle primordial des médias dans l’exercice de la liberté d’expression et la transmission d’informations au public doit être respecté dans les lois contre le terrorisme et l’extrémisme. Le public a le droit d’être informé sur la perpétration ou les tentatives de perpétration d’actes terroristes, et les médias ne doivent pas être sanctionnés pour la diffusion ou la publication de ces informations.»
Selon le Principe 6 des principes de Johannesburg sur la sécurité nationale, la liberté d’expression et la liberté d’information, développés par un groupe d’experts en droit international, sécurité nationale et droits humains : «L’expression ne pourra pas être punie comme menaçant la sûreté nationale à moins que le gouvernement ne puisse prouver que:
(a) l’expression est destinée à provoquer la violence de manière imminente;
(b) qu’elle est susceptible de provoquer une telle violence; et
(c) qu’il y a un lien immédiat et direct entre l’expression et les actes de violence ou de potentiels actes de violence.»
Et selon le Principe 8, «L’expression ne peut pas être empêchée ou punie simplement parce qu’elle transmet une information provenant ou à propos d’une organisation qu’un gouvernement a déclaré menaçante pour la sécurité nationale ou pour toute autre raison ayant un lien avec la sécurité nationale.»
De même, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le terrorisme et les droits de l’homme a défini la «provocation publique à commettre une infraction terroriste» en référence à trois éléments: «D’abord un acte de communication (« la diffusion ou toute autre mise à disposition, d’un message au ‘public …»). Deuxièmement, il doit y avoir une intention subjective de la part de la personne à inciter le terrorisme («… avec l’intention d’inciter à commettre une infraction terroriste … si préconise directement ou non les infractions terroristes …»). Enfin, il doit y avoir un danger d’autre objectif que le comportement de la personne va inciter le terrorisme («… lorsqu’un tel comportement … crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises»).» (Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, droits de l’homme, le terrorisme et contre-terrorisme) (Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme : droits de l’homme, le terrorisme et contre-terrorisme)
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies dans son commentaire du mois juillet 2011 (CCPR/C/GC/34) de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a déclaré à propos de la question du terrorisme et des médias (Para. 46) que :
«Les États parties devraient veiller à ce que les mesures de lutte contre le terrorisme soient compatibles avec le paragraphe 3. Des infractions telles que l’«encouragement du terrorisme» , «activités extrémistes», ainsi que le fait de «louer», «glorifier» ou «justifier» le terrorisme devraient être définies avec précision de façon à garantir qu’il n’en résulte pas une interférence injustifiée ou disproportionnée avec la liberté d ‘expression. Les restrictions excessives à l’accès à l’information doivent aussi être évitées. Les médias jouent un rôle crucial en informant le public sur les actes de terrorisme, et leur capacité d’action ne devrait pas être indûment limitée. À cet égard, les journalistes ne doivent pas être pénalisés pour avoir mené leurs activités légitimes.»
Le Plan d’action de Rabat relatif à l’interdiction de l’incitation de la haine nationale, raciale et religieuse, d’Octobre 2012, recommande, entre autres, que l’incitation nécessite un seuil élevé parce que «comme une question de principe fondamental, la limitation de la parole doit rester une exception». Elle se réfère à un test de seuil élevé qui devrait être appliquée de façon uniforme par un pouvoir judiciaire indépendant et comprend un examen du contexte, l’orateur, l’intention de l’orateur, le contenu de l’expression, l’étendue et l’ampleur de l’expression et de la probabilité, y compris l’imminence de l’action préconisée de se produire.
Le Plan d’action de Rabat recommande en outre que : «Les sanctions pénales liées à des formes illégales d’expression doivent être considérées comme des mesures de dernier recours et doivent être appliquées que dans des situations strictement justifiées. Des sanctions civiles et les recours doivent également être pris en compte, y compris les dommages pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que le droit de rectification et le droit de réponse.» Plus important encore , le plan de d’action de Rabat estime que des médias indépendants et pluralistes jouent un rôle vital dans la lutte contre la discrimination et la promotion de la compréhension interculturelle, et donc recommande que: «Les États devraient mettre en place une politique publique et un cadre réglementaire qui favorisent le pluralisme et la diversité des médias, y compris les nouveaux médias, et qui favorise universalité et la non-discrimination dans l’ accès et l’utilisation des moyens de communication.»
Concernant le communiqué du Ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement, du 23 septembre 2013 (mincom.gov.ma), critiquant la position de plus de 60 organisations en faveur de la libération d’Anouzla, nous apportons les précisions suivantes:
• Nous condamnons toute violence et tout appel qui incite à la discrimination, à l’hostilité ou la violence par n’importe quelle organisation ou personne, y compris l’AQMI. Nous appelons aussi à la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains qui pourraient être victimes de ces violences.
• Nous rappelons au Ministre de la Communication que l’article incriminé qualifie la vidéo comme «propagande». Cet article ne peut pas être considéré comme une incitation à la violence sous les standards internationaux mentionnés plus haut.
Sur la question de la Déclaration de Vienne du 6 Octobre 2009 dont plusieurs des organisations internationales, régionales et nationales signataires sont les auteurs, le Ministre de la Communication nous accuse dans son communiqué cité plus haut de ne pas l’avoir respectée. Nous pensons que notre position exprimée dans notre communiqué du 20 septembre 2013 reflète le contenu et l’esprit de la déclaration de Vienne. Et pour rappel, celle-ci affirme entre autres que «Les médias doivent être libres dans leur couverture du terrorisme, y compris les actes et l’idéologie terroristes, tant que cela ne constitue pas une incitation intentionnelle au terrorisme.» En conséquence, nous insistons encore sur le fait que la déclaration de Vienne protège Anouzla contre l’invocation arbitraire de la loi anti-terroriste contre sa liberté d’expression et son droit d’informer.
Nous, organisations signataires, demandons la libération immédiate du journaliste Anouzla, l’abandon des accusations contre lui, la remise au journal Lakome de ses équipements électroniques et la cessation du harcèlement judicaire et médiatique contre lui.