Septembre 2021 en Europe et en Asie centrale. Un tour d’horizon de l’état de la liberté d’expression réalisé par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l’IFEX, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
En septembre, les despotes de la région Europe/Asie centrale ont intensifié la pression sur l’espace civique et ont décidé de resserrer les contrôles sur l’expression numérique, restreignant ainsi l’accès de leurs citoyens à l’information en ligne. Le mois a également connu une initiative louable de la Commission européenne concernant la sécurité des journalistes et une petite victoire pour la communauté LGBTQI+ en Pologne.
Biélorussie : « Des restrictions de plus en plus sévères sur l’espace civique »
La répression contre la société civile et les médias indépendants en Biélorussie s’est poursuivie tout au long du mois de septembre, tout comme les efforts de la communauté internationale pour demander des comptes au président Loukachenko.
Le dialogue interactif intermédiaire sur la mise à jour orale du HCDH (Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme) à propos de la crise des droits humains en Biélorussie a eu lieu le 24 septembre lors de la 48e session du Conseil des droits de l’homme.
Dans sa mise à jour au Conseil, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exprimé sa profonde préoccupation face aux « restrictions de plus en plus sévères à l’espace civique et aux libertés fondamentales en Biélorussie ».
Elle a mis l’accent sur les 129 organisations de la société civile qui ont été interdites (ou qui sont en train d’être liquidées par les autorités), y compris l’Association biélorusse des journalistes (BAJ) et PEN Biélorussie ; sur les plus de 650 prisonniers politiques ; sur les allégations persistantes de « torture généralisée et systématique » de détenus et l’absence d’enquêtes impartiales sur ces allégations ; sur les 27 journalistes derrière les barreaux ; et sur la « violence basée sur le genre dans le milieu carcéral », notant qu’environ 30 % des personnes détenues arbitrairement sont des femmes et des filles.
ARTICLE 19, PEN America, IFEX, Access Now et International Media Support ont présenté une déclaration au cours de la session, dans laquelle nous avons appelé le HCDH à examiner les abus du système juridique par le gouvernement biélorusse pour criminaliser le droit à la liberté d’expression. Nous l’appelons aussi à faire des recommandations et nous l’avons exhorté à veiller à ce que l’examen de la situation des droits humains en Biélorussie soit doté de ressources adéquates.
[ Traduction : « Je suis profondément préoccupée par les restrictions de plus en plus sévères à l’espace civique et aux libertés fondamentales » au #Bélarus, a déclaré la Haut-Commissaire @ONU aux droits de l’homme @mbachelet. Elle faisait le point lors de la 48e session du Conseil des droits de l’homme #HRC48 DÉCLARATION https://bit.ly/3u9U62Q ]
Le Conseil des droits de l’homme continue d’inviter les individus et les groupes à soumettre des informations pertinentes pour le mandat d’examen de la situation des droits humains en Biélorussie jusqu’au 15 novembre 2021.
Un nouveau rapport mondial sur la liberté d’Internet publié ce mois-ci par Freedom House a révélé que la Biélorussie était l’un des rares pays à avoir connu la plus grande détérioration des libertés numériques au cours de l’année dernière. Depuis l’élection présidentielle contestée d’août 2020, les autorités biélorusses s’efforcent de restreindre les informations auxquelles les citoyens peuvent accéder en ligne. Le blocage de sites Web, la suppression forcée de contenus et la qualification d’énormes quantités de contenus comme « extrémistes » a poussé Freedom House à conclure dans son rapport « que les autorités considèrent l’activité en ligne comme un moteur principal de troubles civiques ». La Biélorussie rejoint cinq autres pays d’Europe et d’Asie centrale dans la catégorie « pas libres » de Freedom House. Les autres pays sont l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Russie, la Turquie et l’Azerbaïdjan. Des pays où la société civile est de manière plus générale également soumise à une pression importante.
Le mois de septembre a aussi connu les évènements suivants :
- Maria Kalesnikava (qui a reçu le Prix des droits humains Václav Havel ce mois-ci) et Maxim Znak – tous deux dirigeants éminents du Conseil de coordination de l’opposition démocratique – ont été condamnés à des peines de prison de 11 et 10 ans respectivement pour des accusations ridicules de tentative de prise de pouvoir et de préjudice à la sécurité nationale.
- Une résolution de la Chambre des Etats-Unis dénonçant la suppression brutale des voix indépendantes par le régime de Loukachenko. Cette résolution a été soutenue par PEN America, Amnesty International USA, le Comité pour la protection des journalistes et Reporters sans frontières.
- La cheffe de l’opposition Sviatlana Tsikhanouskaya a rencontré Reporters sans frontières (RSF) et a demandé de soutenir l’appel de RSF à l’UE pour qu’elle fournisse une aide à long terme aux journalistes et médias biélorusses qui ont dû s’exiler.
- La journaliste et ancienne prisonnière Yuliya Slutskaya a été nommée Héros mondial de la liberté de la presse 2021 par l’International Press Institute et l’International Media Support.
- La célèbre organisation biélorusse de défense des droits humains Viasna a lancé sa campagne #FreeViasna, appelant à la libération de sept défenseurs des droits humains de Viasna, dont son président Ales Bialiatski.
[Traduction : Félicitations à Maria Kalesnikava, qui vient d’être annoncée comme lauréate du Prix des droits humains Václav Havel 2021 ! #HavelPrize ]
Russie : la Big Tech « complice » de Poutine
Les élections législatives de septembre en Russie ont permis au parti Russie Unie du président Poutine de conserver sa majorité. Il y a eu des signalements de fraude généralisée du scrutin, entre autres activités douteuses. Un observateur indépendant a décrit cette élection comme « l’une des plus sales » de l’histoire de la Russie.
Cherchant à faire pression sur les voix discordantes avant les élections, les autorités russes ont publié une série de dénonciations d’« agents étrangers » ou d’« organisations indésirables » contre les médias indépendants. L’une de ces organisations, le Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), a annoncé qu’elle suspendrait son travail en Russie afin de protéger les journalistes avec lesquels elle collabore.
Le chef de l’opposition emprisonné Alexei Navalny a de nouveau été la cible de la répression. À la veille des élections, l’organe russe de surveillance des communications a exigé que Google et Apple suppriment l’ « application Navalny » de leurs magasins d’applications en Russie. Les géants de la technologie ont rapidement obtempéré, neutralisant ainsi la stratégie de « vote intelligent » de l’organisation de Navalny. Les citoyens pouvaient utiliser l’application pour participer à un vote tactique dans le but de réduire le nombre de sièges détenus par le parti au pouvoir de Poutine. ARTICLE 19 a appelé Google et Apple à contester les ordonnances de blocage et de suppression des autorités russes. L’application de messagerie Telegram – la plus prisée de nombreux militants pro-démocratie – a également bloqué le bot « Smart Voting » de Navalny, ainsi que tous les bots de discussion pendant les élections.
Navalny a répondu par un fil cinglant sur Twitter, dans lequel il accusait Google et Apple de s’être transformés en « complices » de Poutine.
[Traduction : Fil (1/14) Si quelque chose m’a surpris lors des dernières élections, ce n’est pas la façon dont Poutine a fabriqué les résultats, mais la façon dont les toutes-puissantes entreprises de la Big Tech sont devenues ses complices.]
Turquie : « Une chasse aux sorcières est sur le point de commencer »
La menace contre la liberté d’expression en ligne et l’accès à l’information en Turquie devrait s’intensifier en octobre. Le gouvernement présentera au parlement le nouveau projet de loi sur les médias sociaux, très discuté. Bien qu’il soit ostensiblement destiné à lutter contre la désinformation, il y a peu d’informations disponibles sur ce projet de loi (à part qu’il inclura des peines allant jusqu’à cinq ans de prison pour les personnes condamnées en vertu de celui-ci). Les opposants avertissent que cela conduira à plus de censure, et plus d’autocensure. Expression Interrupted a récemment interviewé trois grands experts du droit des technologies de l’information pour avoir leur avis sur ce à quoi s’attendre, dont le vice-président de l’information et de la communication du Parti républicain du peuple (CHP), Onursal Adıgüzel, qui prévient qu’ « une chasse aux sorcières est sur le point de débuter ».
Une loi restreignant la liberté d’expression sur Internet en Turquie existe depuis longtemps et est fréquemment utilisée pour étouffer les critiques contre les riches et puissants. Selon un rapport publié ce mois-ci par la Media Research Association (MEDAR), entre octobre 2020 et avril 2021, 658 articles de presse en ligne ont fait l’objet d’ordonnances de retrait. La grande majorité de ces articles traitaient de « corruption » ou « d’inconduite ».
[Traduction : D’après les données recueillies, 580 des 658 ordres de retrait ont invoqué la « violation des droits de la personne » comme motif de la demande de retrait des plateformes d’information. ]
[Le rapport révèle que ceux qui demandent la suppression de contenus d’information traitant de corruption et d’irrégularités sont principalement des « hommes d’affaires » (69 éléments), des hauts fonctionnaires (65 éléments) et des « avocats » (47 éléments).]
Internet est un espace à risques pour les journalistes en Turquie. Ils sont non seulement confrontés à des ordonnances de suppression de contenu et à des poursuites judiciaires pour leurs tweets, mais également à un grave harcèlement en ligne. Les femmes journalistes sont particulièrement exposées aux abus ciblés sur les plateformes numériques. Dans une interview ce mois-ci avec International Press Institute, des femmes journalistes turques décrivent comment elles sont attaquées non seulement pour leur travail, mais pour qui elles sont, et comment leurs familles sont également fréquemment ciblées.
Le mois de septembre a connu des développements dans trois affaires présentant un intérêt particulier pour les membres de l’IFEX :
Le Conseil des ministres de l’Union européenne a annoncé qu’il engagerait une procédure d’infraction si Osman Kavala, un leader de la société civile emprisonné, n’était pas libéré conformément à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Conseil votera sur la décision lors de sa prochaine réunion en novembre. Osman Kavala est accusé de tentative de « renversement de l’ordre constitutionnel » et d’« espionnage ». Sa prochaine audience devant le tribunal est fixée au 8 octobre.
Par ailleurs, le Comité a également appelé la Turquie à respecter la décision de la CEDH, de libérer Selahattin Demirtaş, l’ancien chef emprisonné du Parti démocratique du peuple (HDP), pro-kurde, et d’annuler la procédure en cours contre lui.
Erol Önderoglu, représentant de RSF en Turquie et membre de l’IFEX, et ses deux coaccusés, le défenseur des droits humains Şebnem Korur Fincancı et l’écrivain Ahmet Nesin, étaient de retour devant le tribunal le 30 septembre après un long report de leur procès pour des accusations ridicules liées au terrorisme. Des observateurs de RSF, de l’Institut international de la presse et d’Expression Interrupted ont assisté à l’audience qui n’a duré que dix minutes. Le procès a de nouveau été reporté au 1er février 2022.
[Traduction : Le procès de @ErolOnderoglu et de ses coaccusés @SKorurFincanci et @AhmetNesin1 a été reporté au 1er février 2022. IFEX réclame toujours que les accusations ridicules portées contre eux – qui constituent une attaque claire contre leur droit à la liberté d’expression – soient abandonnées.]
[Fil : Nous tous, @IFEX, soutenons @ErolOnderoglu, @SKorurFincanci & @AhmetNesin1 avant le nouveau procès de demain en #Turquie. Ils encourent de longues peines de prison pour des accusations injustes, celles d’avoir soutenu une campagne #pressfreedom il y a 5 ans. #SupportErol #FreeTurkeyMedia. ]
En bref
Le 16 septembre, deux hommes ont été inculpés du meurtre de la journaliste Lyra McKee, abattue lors d’émeutes à Derry, en Irlande du Nord, en 2019. Au total, trois hommes sont maintenant inculpés de ce crime. Au moment du meurtre, la New IRA – un groupe républicain dissident et armé – a reconnu sa responsabilité mais a déclaré que Lyra McKee n’était pas la cible qu’ils visaient.
La Commission européenne a publié sa toute première Recommandation sur la sécurité des journalistes dans l’UE. Elle comprend une série de mesures destinées à inciter les États membres à s’attaquer au problème des attaques contre les journalistes et met en lumière plusieurs préoccupations actuelles, notamment : la sécurité des journalistes femmes et de ceux issus de groupes minoritaires ; la sécurité en ligne et lors des manifestations, face à l’augmentation des attaques contre les journalistes. La recommandation a été largement saluée par les groupes de défense de la liberté de la presse.
IFEX s’est joint à 61 organisations dans une déclaration conjointe exhortant la Commission européenne à renforcer son rapport annuel sur l’état de droit.
[Traduction : Les voix des acteurs non gouvernementaux sont essentielles pour la défense de l’ #EtatdeDroitUE. Mais dans le rapport 2021 sur l’état de droit, elles n’ont pas été suffisamment entendues ! Les OSC ont rédigé une déclaration commune sur la façon dont cela peut être corrigé http://ow.ly/ujds50GeDIG @VeraJourova @dreynders ]
Au Kazakhstan, la chambre basse du parlement a approuvé en première lecture un projet de loi qui obligerait les médias sociaux et les services de messagerie à ouvrir des bureaux de représentation dans le pays sous peine de restrictions de leurs activités. Les autorités espèrent que la loi, qui exige également que le chef du bureau local soit un citoyen kazakh, et qui fait écho à la législation répressive introduite en Turquie l’année dernière, permettra plus facilement de contraindre les géants internationaux des médias sociaux à retirer les contenus considérés « inappropriés ». Ces dernières années, le gouvernement kazakh est devenu très préoccupé par les rassemblements anti-gouvernementaux organisés via les réseaux sociaux.
En Pologne, quatre régions qui s’étaient déclarées zones « sans LGBT » ont abrogé leurs déclarations après une menace de retrait des financements de l’UE afin de lutter contre la discrimination. Près de 100 municipalités polonaises se sont déclarées zones « sans LGBT » ces dernières années, inspirées par la politique homophobe du parti au pouvoir en Pologne, Droit et justice (PiS).
Ce mois-ci également, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les autorités polonaises pour leurs attaques contre l’État de droit et la liberté des médias, et pour leur discrimination continue contre les personnes LGBTQI+. Il a également exhorté la Commission à lier le versement des fonds de l’UE au respect des résolutions de la Cour de justice européenne par la Pologne.
Le 28 septembre, les membres de l’IFEX et d’autres réseaux ont marqué la 2e Journée internationale pour l’accès universel à l’information, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2019. Cette journée est le point culminant d’années de plaidoyer mené par les membres de l’IFEX en Afrique et leurs partenaires. Que ce soit sur la scène mondiale, régionale ou nationale, les membres de l’IFEX en Afrique sont des chefs de file mondiaux à la fois dans la promotion de lois efficaces sur l’accès à l’information et dans celle du droit à l’information. IFEX a marqué la journée avec une édition spéciale de son podcast Africa Brief (en anglais).