Mai en Europe et en Asie centrale: Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression, basé sur les rapports de membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de l’article original.
L’Etat de droit et l’affaire Daphne Caruana Galizia
Le 29 mai, la commission des questions juridiques et des droits humains de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a approuvé, sans amendement aucun, le rapport de Pieter Omtzigt, Rapporteur spécial sur l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia et l’Etat de droit à Malte. Le rapport d’Omtzigt est accablant, liant les faiblesses du système de justice pénale à l’incapacité persistante de punir les assassins de Daphne. Il souligne que les trois hommes actuellement en détention et inculpés du meurtre devront être libérés bientôt s’ils ne sont pas déférés devant la justice dans les deux prochains mois, et que les responsables du crime n’ont toujours pas été arrêtés. Le rapport appelle à une enquête publique indépendante sur le meurtre de Daphne.
Avant une réunion de la Commission des questions juridiques et des droits humains, le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias et des membres de l’IFEX ont envoyé une lettre ouverte aux membres maltais de l’APCE, les exhortant à soutenir le mandat et le rapport d’Omtzigt et leur demandant de « promouvoir de manière constructive la mise en œuvre immédiate de ses recommandations ».
Quatre attaques brutales
En mai, au moins quatre attaques brutales ont été perpétrées contre des journalistes en Turquie. Le 24 mai dans la ville d’Adana , un homme armé non identifié a tiré à la jambe Hakan Denizli, fondateur du journal Egemen; le 20 mai à Antalya, Ergin Çevik, rédacteur en chef du site d’information Güney Haberci, a été agressé dans la rue par trois assaillants non identifiés; le 15 mai, le journaliste d’investigation İdris Özyol a été hospitalisé après une agression devant le bâtiment du journal Yeni Yüzyıl à Antalya; et le 10 mai, le journaliste et critique du gouvernement Yavuz Selim Demirağ a été agressé devant son domicile par un gang armé de battes de baseball. Six hommes ont été arrêtés à la suite de l’attaque de Demirağ, mais ont été relâchés par la suite. Aucune arrestation n’a été signalée en rapport avec les autres incidents.
Le 28 mai, Kadri Gürsel, membre de l’IFEX et du conseil d’administration de l’Institut international de la presse (IPI), a été brièvement emprisonné, après s’être rendu aux autorités pour purger le reste de sa peine de deux ans et demi d’emprisonnement prononcée en 2018 à la suite de sa condamnation pour des accusations fallacieuses en lien avec le terrorisme. Il a été libéré sous probation.
Une application de sécurité pour militants
Le journaliste Vadym Komarov a été battu jusqu’au coma aux premières heures du 4 mai à Tcherkassy, en Ukraine. Komarov, qui travaille sur la corruption locale, est toujours inconscient. La police traite cette attaque comme une tentative de meurtre préméditée, mais personne n’a encore été arrêté. Komarov a déjà fait l’objet d’attaque à au moins deux reprises.
Un membre régional de l’IFEX, Institute of Mass information (IMI), a annoncé en mai qu’une nouvelle application en ligne serait lancée dans le but d’améliorer la sécurité des militants. Des experts du droit des droits humains collaboreront avec des organisations de technologies pour développer l’application, qui fournira un « bouton panique » pour alerter les services d’urgence lorsqu’un militant est en danger imminent, un robot de clavardage qui fournira des conseils sur la sécurité et des directives sur la sécurité numérique et physique (y compris les premiers soins de base). Cela pourrait s’avérer un outil très utile: en novembre 2018, la militante Kateryna Gandziuk est décédée des suites d’horribles blessures subies lors d’une attaque à l’acide des mois auparavant.
Le 20 mai, Volodymyr Zelenskiy, le nouveau président, a pris ses fonctions. Human Rights Watch (HRW) l’a instamment prié de « prendre à bras-le-corps plusieurs préoccupations majeures en matière de droits humains, comme un élément central du programme de son administration ». Parmi ces préoccupations figurent les attaques contre des militants de la société civile et des journalistes, ainsi que le manque de redevabilité des forces de l’ordre et des agences de sécurité.
Arrêté pour avoir brandi une pancarte vierge
Avec une élection présidentielle anticipée prévue pour le 9 juin, des manifestations publiques ont lieu au Kazakhstan à propos de son mauvais bilan en matière de libertés civiles et de la crainte que l’élection (la première depuis 1991) ne soit pas juste. Les autorités kazakhes répriment les signes de dissidence. Lors des manifestations qui ont eu lieu au début du mois de mai, un grand nombre de sites d’information et de plateformes de médias sociaux ont été bloqués; des militants ont également été arrêtés lors de manifestations ou empêchés de quitter leur domicile.
Pour souligner la tolérance ridiculement faible des autorités kazakhes à l’égard de la dissidence, le militant Aslan Sagutdinov a décidé de brandir une pancarte vierge et de se tenir en face des bureaux du conseil central de la ville d’Oral au début du mois de mai. Comme prévu, il a été arrêté en quelques minutes, bien que la police l’ait relâché par la suite, faute de motif d’inculpation. La manœuvre de Sagutdinov est devenue virale.
Répression avant les Jeux Européens
Les Jeux Européens doivent commencer en Biélorussie à la fin du mois de juin et les autorités répriment déjà les tentatives des activistes de saisir l’occasion pour attirer l’attention sur le sombre bilan de la Biélorussie en matière de droits humains. Selon l’Association des journalistes biélorusses (BAJ), le président Loukachenko a signé un décret donnant à la police le pouvoir de fermer des sites Web dans les 24 heures s’ils sont réputés avoir appelé à des « manifestations non autorisées ». Avant les Jeux, HRW a appelé les Comités Olympiques Européens (COE) à veiller à ce que tous les journalistes couvrant l’événement puissent exercer leurs activités sans être harcelés. Selon HRW, les dirigeants des COE ont confirmé qu’ils avaient nommé une « personne de contact pour surveiller » les droits des journalistes pendant les jeux. HRW a demandé aux COE de veiller à ce que les informations relatives à cette personne de contact soient facilement accessibles à tous les journalistes avant les Jeux. Au cours des deux dernières années, les autorités biélorusses ont déposé un nombre record de plaintes pénales contre des journalistes et des blogueurs.
Focus sur le genre
Au cours des deux dernières années, les purges anti-LGBTQI+ en Tchétchénie – au cours desquelles des homosexuels ont été emprisonnés, torturés et violés par des agents de la force publique – ont fait la une des journaux. Cependant, les voix des femmes victimes ont été largement absentes des reportages. Un article récent sur Open Democracy explique pourquoi tel est le cas, citant l’État très conservateur de la Tchétchénie, ses lois religieuses et coutumières (qui exercent une pression supplémentaire sur les femmes pour qu’elles restent silencieuses), la peur des réactions de la famille et les représailles potentielles de la police. En raison de la pression exercée sur elles pour qu’elles restent des victimes silencieuses, « les femmes tchétchènes [sont] le groupe le plus vulnérable des purges anti-LGBTQI+ de la région ».
Le 10 mai, une Marche des Fiertés des étudiants de l’Université technique du Moyen-Orient, à Ankara, en Turquie, a été brutalement dispersé par la police qui a utilisé des gaz lacrymogènes, du gaz poivré et des balles en caoutchouc contre les marcheurs. Vingt-cinq étudiants auraient été arrêtés. Cet acte de répression violente a eu lieu quelques semaines à peine après qu’Ankara ait levé l’interdiction des événements LGBTQI+ qu’elle avait décidées pendant l’état d’urgence en Turquie.
Cependant, il semble à présent qu’il y ait deux interdictions distinctes visant les événements LGBTQI+ à Ankara: une imposée pendant l’état d’urgence et une autre prononcée après la fin de l’état d’urgence en octobre 2018 (cette dernière n’a apparemment pas été levée). Bianet clarifie les détails.
Après avoir lu les paragraphes précédents, il ne sera pas surprenant que la Russie et la Turquie se classent parmi les quatre pays les moins bien classés en Europe en termes de droits des LGBTQI+ (les deux autres sont l’Arménie et l’Azerbaïdjan). Leur classement est basé sur une étude réalisée par ILGA-Europe. Les quatre pays les plus accueillants pour les gays sont Malte, la Belgique, le Luxembourg et la Finlande.
En bref
Ce mois-ci, les membres de l’IFEX, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), la Fédération européenne des journalistes (EFJ), HRW, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et Reporters sans frontières (RSF) ont tiré la sonnette d’alarme à la suite d’une tentative apparente des autorités en France pour intimider les journalistes travaillant sur des affaires « sensibles » potentiellement gênantes pour le gouvernement. En mai, huit journalistes ont été convoqués pour interrogatoire par l’agence française de renseignement national, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Les journalistes enquêtaient sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et sur la dissimulation apparente d’infractions présumées de Alexandre Benalla, ancien adjoint à la sécurité du président Macron.
Il y avait de très bonnes nouvelles d’Ouzbékistan, en mai, lorsqu’il a été annoncé que de nombreux sites Web d’informations et d’ONG, précédemment bloqués, seraient débloqués (beaucoup ne sont plus disponibles en Ouzbékistan depuis 2005). Depuis la mort du président Islam Karimov en 2016, il y a eu un mouvement lent mais bien accueilli en vue de permettre une expression plus libre dans la presse et en ligne.
Début mai, la police a arrêté quatre hommes liés au meurtre de la journaliste Lyra McKee lors d’émeutes qui ont eu lieu en Irlande du Nord en avril. La nouvelle IRA a déclaré que ses membres étaient responsables du meurtre, mais a laissé entendre qu’elle n’avait pas été la cible visée.
RSF a annoncé le lancement d’un Groupe parlementaire multipartite (APPG) sur la liberté de la presse au Royaume-Uni. Le groupe se concentrera sur la promotion et la défense de la liberté de la presse au Royaume-Uni. Le groupe se concentrera sur la promotion et la défense de la liberté de la presse au Royaume-Uni et dans le monde.
Le journaliste pour les droits humains Azimjon Askarov est le plus célèbre prisonnier politique du Kirghizistan. Un Ouzbek qui a dénoncé la corruption dans les forces de police essentiellement kirghizes, il a été condamné à la prison à vie en 2010 pour avoir été déclaré, de manière douteuse, coupable de complicité dans le meurtre d’un policier lors des émeutes interethniques. En mai, son épouse, Khadicha, a déclaré que les autorités menaçaient de lui confisquer son domicile si elle ne payait pas les plaignants contre son mari (y compris la femme du policier décédé) à hauteur de 2 550 $ des dommages moraux. En tant que retraité, Khadicha reçoit 58 $ par mois. Les autorités ont tenté en vain de saisir le domicile familial en 2012.
En Grèce, la journaliste Mina Karamitrou a été visée par une voiture piégée devant son domicile le 14 mai. Karamitrou, journaliste de la police pour l’édition grecque de CNN, n’a pas été blessée lors de l’attaque, qui, selon elle, serait liée à sa couverture de l’affaire Dimitris Koufodinas (qui purge actuellement 11 peines de prison à vie pour des meurtres commis alors qu’il était affilié au groupe anarchiste 17 novembre).